[Interview] Morning Parade

Après le succès de son premier album sorti en 2012 et malgré quelques déboires dus à un changement de label, le quintette anglais Morning Parade est de retour avec un deuxième LP, « Pure Adulterated Joy », sorti en mars dernier chez So Recordings.
13 titres (dont 3 versions acoustiques) qui fleurent bon le rock alternatif, un savant mélange entre influences britanniques et US : synthés 80’s, batteries et riffs de guitare grungy et refrains brit pop !
Entretien avec Steve Sparrow et Andy Hayes, respectivement chanteur et batteur du groupe, à l’occasion de leur passage à Paris.

Morning Parade par Benoit Billard

  • Hello Steve et Andy, comment allez-vous ?

Ça va plutôt bien, même si on est fatigués ! On jouait à Cologne hier, et on a pas beaucoup dormi…

  • Vous venez de sortir votre deuxième album, « Pure Adulterated Joy », et vous êtes de retour à Paris pour jouer à la Flèche d’Or ; ce n’est pas votre premier concert ici, n’est-ce pas ?

Tout à fait, on a déjà joué deux ou trois fois à la Flèche d’Or, et à Paris on a aussi fait cette grande salle avec le sol qui rebondit quand le public saute ! La Cigale, c’est ça ?

  • Que pensez-vous du public français, réputé « difficile » ?

À vrai dire, le groupe n’a pas une énorme fanbase en France ; enfin je dirais que jusqu’ici, on était presque plus suivis en province qu’à Paris. Mais les fans que l’on a rencontrés ont toujours été sympas ! Je me rappelle de cette fille, quand nous sommes allés à Toulouse : elle savait que le groupe avait un jour off pour visiter les environs et elle nous a préparé un book de photos réalisées par elle-même avec tous les sites intéressants à voir, c’était génial !

  • Vous avez récemment déclaré que ce disque était comme un nouveau départ pour le groupe, parlant même d’un retour aux sources, avec beaucoup de fun, du bruit et pas de pression… Pouvez-vous nous parler des difficultés que vous avez rencontrées avec votre ancien label et la façon dont vous voyez le business de la musique avec l’expérience ?

Oui, « The beginning of the end », vraiment !
C’est un peu dur à expliquer rapidement, mais pour faire simple… On était signés chez Parlophone qui faisait partie d’EMI ; EMI a été racheté par Universal, mais Parlophone a été revendu séparément à Warner. EMI voulait continuer à travailler avec nous mais comme Parlophone ne leur appartenait plus, ils nous ont dit bye bye…
Nous étions aux US à ce moment-là et nous voulions garder le même staff, et le seul moyen était de signer sur un label indé, sous licence Universal. Je sais que ça peut paraître compliqué, mais le music business est lui-même compliqué ! Au final, on a toujours les mêmes personnes autour de nous, mais on est maintenant chez So Recordings !

À l’époque Parlophone, on était mentalement « jeunes », assez naïfs par rapport à l’industrie musicale et son fonctionnement ; on a fait des choix que l’on ne voulait pas forcément faire, jusqu’à devenir un groupe qui ne nous ressemblait plus. Il y avait une sorte de volonté de faire de nous le nouveau Coldplay, mais nous ne voulions pas du tout le devenir !
Je pense que c’est du spectacle, tout ce business, ce n’est plus de la musique ! Du spectacle et de l’argent… Si tu parlais de Miley Cirus dans ton article, je pense que tu aurais beaucoup plus de clics !

  • Votre musique sonne très « pop rock », mais on dirait que vous essayez de porter un message plus profond, de ne pas vous contenter de mélodies catchy et d’histoires à l’eau de rose… Vos paroles (disponibles sur le site officiel) parlent d’aliénation, de YouPorn, d’enfants qui crient, d’un système… Êtes-vous effrayés par le monde qui nous entoure ?

En fait, c’est assez marrant, on n’est pas « conspirationnistes », mais le fait est que l’on est submergés d’informations, tout spécialement en provenance d’internet, et il est devenu très difficile de discerner le vrai du faux, de savoir en qui tu peux avoir confiance. Quand on est en tournée par exemple, on passe nos vies sur nos smartphones, et notre seule fenêtre sur l’extérieur, c’est à travers les réseaux sociaux, qui te montrent une sorte de réalité fabriquée plus qu’un véritable regard sur le monde.

  • Peut-on parler d’engagement politique à travers ce que vous dénoncez ?

Non, je ne suis pas encore Bono ! (rires)
C’est juste un univers qui m’a inspiré pour écrire, c’était intéressant de tourner autour de ces thèmes et ça a permis de donner un fil conducteur à l’album.

  • Aviez-vous commencé l’écriture avant la fin du monde de 2012 ?!

Haha ! Excellent ! Et tu as raison ! En fait, à peine le premier album terminé, nous étions déjà en train de composer la suite et certains morceaux présents sur « Pure Adulterated Joy » ont été maquettés avant la fin du monde !

  • Après avoir mis en ligne plusieurs « lyric videos », vous avez aussi sorti un nouveau clip pour le titre « Reality Dream ». La production est très esthétique mais aussi minimaliste (le groupe jouant sur fond blanc). Est-ce un choix artistique afin que les gens se focalisent sur les paroles ?

C’est le choix de notre label ! (rires) Ils ont dit : « On veut une vidéo vraiment simple, qui touche un public le plus large possible ! » Et pour être honnête, à un moment donné, ce sont eux qui mettent l’argent dans le projet, alors tu leur fais confiance et tu leur donnes carte blanche ! Mais l’idée ne nous dérangeait pas, c’était simple, direct, alors on a dit « OK, Let’s go for it ! ».

  • C’est très difficile pour un groupe de rock, et encore plus dur en France qu’en Grande-Bretagne je pense, d’être diffusé en radio ou la télé. À votre avis, que doit faire un groupe aujourd’hui pour gagner de la notoriété ?

C’est difficile de te répondre ; je veux dire, ce n’est pas noir ou blanc et si l’on connaissait la recette du succès, ce serait plus simple ! Pour moi, ce qui compte c’est de faire de bonnes chansons, mais malheureusement, ça ne suffit pas ! Il faut s’entourer des bonnes personnes, avoir un bon attaché de presse, qu’il y ait un concept, des choses intéressantes derrière ton projet et que ça corresponde avec une demande du public. Mais surtout, il faut beaucoup d’argent derrière tout ça ! Marketing !!!

  • Vous êtes presque cyniques quand vous parlez du business de la musique ; croyez-vous encore au concept d’album pour autant ? La production de disques n’est-elle pas finalement devenue juste une carte de visite pour promouvoir la tournée suivante ?

C’est vrai que l’on peut se poser la question de qui fait la promo de qui ! La tournée pour faire parler de l’album ou l’inverse ?
Mais on est un peu old school et je crois toujours dans le concept d’album ; ça me paraît plus simple d’exprimer un message à travers 12 titres connectés les uns aux autres. On pourrait même un jour se lancer dans un opéra rock comme Queen ou Muse !
Ce que j’aime avec un album, c’est que ça offre un instantané de la vie d’un groupe. Je trouve que c’est intéressant de voir dans quel état d’esprit était un artiste à un instant T…
Si l’on voulait juste faire de l’argent avec notre musique, on sortirait un single par trimestre et jamais d’album, ou juste une sorte de Best Of tous les deux ans.
Mais ce serait horrible de ne faire que des singles, et ultra formaté !

  • Pensez-vous que la révolution internet a été bénéfique pour les musiciens ou finalement c’est quelque chose qui a tué la créativité ?

Encore une fois c’est compliqué, il y a du pour et du contre.
Internet, c’est un bordel d’informations qui arrivent en vrac sur ta tête… Aujourd’hui, tu entends parler de 10 nouveaux artistes par jour dans ton fil d’actualités ; tu n’as pas le temps de découvrir 10 artistes par jour ! Mais je pense quand même que c’est un outil extraordinaire pour partager les informations et connecter les gens entre eux ; il y a encore beaucoup à faire pour adapter la musique à cette révolution, mais ça a le mérite de donner sa chance à chacun.

  • La difficulté est donc de sortir du lot ?

Oui, et malheureusement, comme à peu près tout sur cette planète, ça fini par être contrôlé par l’argent…
Mais les gens comme nous, les artistes, ne font pas ça pour le fric ; ils font de l’art pour eux-mêmes, et le fait qu’internet créé cette sorte de compétition artistique, c’est plutôt enrichissant !

  • Vous avez eu la chance de tourner avec des groupes énormes comme les Smashing Pumpkins ou Biffy Clyro. Que préférez-vous ? Ouvrir un concert pour 20 000 oreilles qui n’ont jamais entendu parler de vous, ou jouer dans un club bondé, devant votre public, avec les gouttes de sueur qui tombent du plafond, comme ce sera probablement le cas ce soir ?

La nuit dernière, en Allemagne, on a joué devant une centaine de personnes et c’était génial ! Ca faisait longtemps que l’on avait pas fait de petites salles comme sur cette tournée européenne et c’est vraiment agréable, tu ressens une vraie intimité avec le public, ça ressemble plus à une répétition où tu as invité tous tes potes, tu te sens relax !
Il y a quand même quelque chose de dingue à te retrouver devant 10 000 personnes, mais ça peut paraître un peu « clinique » comme sensation, tu es véritablement « séparé » du public quand tu es sur ce genre de scène, tu ne peux pas voir le visage ou le regard des gens.

  • Ce sentiment de détachement doit être encore plus fort quand tu utilises un système de ear-monitors (oreillettes) au lieu de retours classiques ?

On est old school j’te dis ! Hormis Andy à la batterie, on utilise pas de ear-monitors…
Mais j’en ai pas mal parlé avec Matthew des Wombats, avec qui nous avons beaucoup tourné ; et il dit que c’est peut-être 30% moins fun avec des ears, mais c’est mieux pour le show, pour la propreté du son, et tu t’entends parfaitement… Ce qui est pratique pour chanter juste !
On a signé un contrat avec Sony, j’y viendrai peut-être un jour !

  • J’aimerais que l’on parle de la musique qui vous influence. Pouvez-vous citer les groupes vous ayant le plus marqués au cours des dernières décennies : 70’s, 80’s, 90’s ?

Oh, dans les 70’s, c’est définitivement Pink Floyd et son « Dark Side Of the Moon » !
Bowie aussi, on adore David Bowie et plus particulièrement Ziggy Stardust.
Euh… 80’s…

  • C’est plus dur ?

Non, non, allez… Talking Heads ! (rires)
On a les mêmes influences génériques que la plupart des groupes ! Talking Heads, Pink Floyd, The Police !
90’s : Radiohead… et la brit pop !
Clairement, on a grandi avec ce mouvement célébré par John Robb (le Philippe Manœuvre local, NDR) ; le premier concert que je suis allé voir, c’était Oasis à Wembley ; forcément, ça marque !

  • Du coup, ça vous a fait quoi lorsque vous avez enregistré le premier album ? Je crois que c’était dans le studio de Blur, non ?

Oui, c’était cool de se retrouver chez Damon Albarn ; on l’a rencontré, il était toujours dans les parages… Il bossait sur un spectacle musical avec des singes, non ?!
Mais on n’a pas vraiment parlé avec lui parce qu’on était juste comme des kids : « Oh my god! It’s Damon Albarn! », et c’était une période spéciale pour nous, on était de jeunes pousses, à la fois émerveillés et naïfs face à tout ce qui nous arrivait ! « Waouh, on vient de signer sur un label ! Waouh, on est dans le studio de Damon !», on ne savait pas vraiment dans quoi on s’embarquait !

  • Le dernier album a, lui, été produit par Ben Allen ? Connaissiez-vous Ben ou est-ce encore une idée de votre label ?

Non, non, en fait, on se connaissait avant même de signer avec notre label ; la rencontre a été provoquée par son manager, Paul Adams, un mec fantastique ! En fait, quand je pense à quelqu’un de bien dans l’industrie musicale, je pense à lui !
Paul s’intéressait à nous, il a suivi notre carrière, et lors d’une discussion après un concert au SXSW, il nous a dit « Vous devriez enregistrer avec Ben ». On était pas trop sûrs, notamment à cause des autres disques qu’il a produits…

  • Oui, il a travaillé avec des artistes comme Christina Aguilera, Cee-Lo Green… Des sonorités très pop…

Exactement, et on voulait quelque chose de plus « Heavy » ! Mais il nous a convaincus et c’était vraiment cool ; il y a eu quelques prises de têtes où nos différences se sont faites sentir, mais c’était quelque chose de très sain, on voulait tous tirer le groupe vers le haut et on est contents du résultat.

  • Et combien de temps êtes-vous restés enfermés en studio ?

Enregistrement et mixage ? Deux mois je crois… C’est ça : six semaines de prises de son puis deux pour le mix, et on y était six jours par semaine !

  • Avez-vous de nouveaux artistes british ou en provenance d’Harlow (ville d’origine de Morning Parade, NDR) à conseiller aux lecteurs d’indiemusic ?

Oh God ! Je ne crois pas qu’il se passe quoi que ce soit à Harlow en ce moment ! Mais je peux te parler d’un groupe découvert aux US quand on enregistrait l’album : Phox.

C’est un groupe du Wisconsin avec une chanteuse à la voix incroyable ! Quand tu vas à un concert aujourd’hui, tout le monde a son smartphone à la main pour filmer plutôt que profiter du moment. Avec Phox, le public n’y pense même pas, les gens sont scotchés !

Après, je consomme beaucoup de musique, j’essaie d’écouter un album par jour : quelque chose que je n’ai jamais entendu avant, mais ce n’est pas nécessairement une nouveauté, ça peut être une vieille pépite, comme un album de Wilco.

  • Quels sont vos plans pour les prochains mois ? Vous serez en tournée bien sûr, mais composez-vous déjà de nouveaux titres ?

Oui, comme je te le disais, on n’arrête jamais d’écrire et la majorité de nos chansons sont composées sur la route, ou du moins, ce sont des idées que l’on met de côté et que l’on travaille ensuite, de retour à la maison.

  • Pas d’autre projet particulier ? Un film sur le groupe ? C’est à la mode en ce moment !

Haha ! Oui, c’est ce qu’on devrait faire !
On pourrait aussi imaginer un show télévisé dont le concept serait de faire venir un panel de membres de jury, les faire chanter sur une étoile en prime time le samedi soir et qu’ils soient jugés à leur tour ! Ça s’appellerait « Kill Factor » ! Et si tu ne chantes pas assez bien, on t’exécute « live on television » !

  • Merci de nous avoir donné de votre temps, on fait une petite photo de famille avec les autres membres du groupes avant que vous ne filiez aux balances… Bon concert !

Merci à vous !


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Benoit Billard

Véritable baroudeur du music business version DIY, à la fois acteur et spectateur, impatient de voir se mettre en place de nouveaux modèles encourageant la création indépendante et la diversité musicale.