[Live] Moderat au Bikini

Il suffit de voir la ligne de plusieurs dizaines de mètres de fans devant les portes du Bikini – et ce, malgré l’absence de transports en commun en ce 1er mai – pour comprendre l’engouement débridé pour le trio électro allemand. Plus qu’une simple association de deux des plus grands noms de la scène électronique, Apparat et Modeselektor, Moderat est un groupe qui a réussi à se créer une fanbase inébranlable grâce à trois albums d’une qualité époustouflante et une réputation de bêtes de scène qui s’est accrue tournée après tournée.

crédit : Birgit Kaulfuss
crédit : Birgit Kaulfuss

La soirée commence donc avec Shed, producteur venant lui aussi de Berlin, dont l’électro s’écoule doucement vers le spectateur, le musicien prenant progressivement le contrôle de la salle et de l’attention des gens, exercice difficile pour une première partie lorsque le public est venu presque uniquement pour la tête d’affiche. La lumière suit les ondes sonores évasives et acérées, maintenues dans le droit chemin par des basses vrombissantes et élégantes. La torpeur délicate et hypnotisante des premières minutes s’enrichit de percussions à la limite de l’indus, ainsi que de lignes de synthé cinématiques ; petit à petit, le minimalisme se libère de ses chaînes et s’ouvre à de nouvelles perceptions. La foule arrête définitivement ses discussions, captivée par l’évolution du torrent sonore s’écoulant des claviers du producteur berlinois.

Shed

La basse, seul élément présent depuis le tout début, paraît être ainsi un fil conducteur autour duquel les sons se lient, les chansons se tissent ; et, à mesure que Shed accélère le rythme, que le nœud se resserre autour de la percussion saccadée et toujours plus percutante, des pas de danse s’esquissent et répondent aux mélodies franches et pénétrantes. Les chansons s’enchaînant, la foule hurle de plaisir devant les artifices musicaux du musicien, alors les nappes sonores semblent créer un véritable tapis sous les pieds des premiers rangs ravis. Ni les interludes d’ambient ni les courtes parenthèses d’un glitch bruyant n’en font démordre aux danseurs effarouchés, et c’est avec déception que l’on voit le compositeur sortir de scène au bout de quarante minutes seulement, finissant abruptement un concert qui paraît trop court mais, au final, comme le paraissent tous les bons sets.

On ne peut que féliciter les programmateurs d’avoir su choisir une première partie aussi effervescente, laissant derrière elle une impatience électrique de continuer la soirée avec la tête d’affiche. Et c’est sous les acclamations générales que Moderat s’avance sur scène, dans la pénombre, alimentant encore davantage la tension en prenant deux minutes avant de lancer « Ghostmother ». Dès les premières notes, sublimées par la voix fantomatique d’Apparat, on a l’impression qu’un spectre sonore envahit la salle, tel un brouillard mélancolique et éthéré. La musique paraît portée par l’écran et les lumières, présentant un univers visuel à mi-chemin entre Dune et Blade Runner, et les musiciens semblent ne faire plus qu’un avec le tout, se fondre dans leur propre art. Aussitôt la chanson finie, les premières notes de « A New Error » lancent définitivement le show, et la foule semble elle aussi danser à l’unisson, sporadiquement illuminée par des rayons frénétiques de lumière, comme une marée de corps mue par la même exaltation. Loin de jouer les chansons comme sur l’album, le groupe évolue toujours dans le remix et il est bientôt difficile de percevoir si ce sont les spectateurs qui s’accordent à la musique ou l’inverse.

Moderat

Le groupe continue avec « Let In The Light » et son minimalisme subtil qui paraît être une pause contemplative après le débordement d’énergie de la précédente chanson, montrant par la même occasion leur capacité à envoûter le public de diverses manières. Les percussions galopantes reviennent néanmoins rapidement avec « Reminder », où la voix criarde et les lignes de basse euphoriques évoluent en une techno irrésistible et furieuse. Après la marée d’applaudissements, le groupe nous explique que, chose rare pour eux, le chef de la salle de concert leur a cuisiné un excellent repas et qu’ils veulent donc fournir un bon spectacle en guise de remerciement. Et cela paraît chose réussie lorsque l’on voit tout le monde sauter de bon cœur devant la house débordante de « Running  » ou la reprise de « Abandon Window » de Jon Hopkins, et plus particulièrement devant l’outro étendue qu’ils font repartir quatre fois en amplifiant progressivement le beat et en déclinant les lignes mélodiques, poussant la foule au bout de son grand plaisir. La soirée continue avec « Eating Hooks », au cours de laquelle les faisceaux lumineux semblent transpercer la scène et former une prison flamboyante, cadenassée par les paroles et des suites de chiffres s’affichant sur l’écran. En véritable spectacle vivant, les ondes lumineuses et sonores s’associent et emportent le public dans leur ronde acharnée.

Le trio ne laisse pas l’atmosphère se refroidir une seule seconde et continue avec « Rusty Nails » et ses synthés retentissants qui nous redonnent immédiatement envie de danser. Après un pont retenant la musique pendant quelques secondes, l’écran affiche « Hell is above », et il semble alors que le démon de la danse fonde sur la foule et la fasse exploser furieusement ; le groupe ne desserrant pas son emprise lors de l’effréné « Animal Trails ». Pour nous donner le temps de reprendre notre souffle après ce bouillonnement intense, « This Time » porte l’association du timbre enjôleur d’Appart et des mélodies à son paroxysme, dégageant une tristesse gracieuse voyant certaines personnes sortir leurs briquets. Ils ne peuvent cependant pas se retenir longtemps, car les synthés languissants sont vite rattrapés par un beat fougueux typique de Modeselektor faisant la transition jusqu’au puissant « Nr. 22 » qui relance le dance-floor, chaque pulsation étant comme un coup de hache dans ce qui pourrait nous retenir de danser. Après un tel déchaînement pulsatile, il était évident que leur départ de scène ne pouvait qu’être transitoire, et c’est sous un tonnerre d’applaudissement que le groupe revient.

Ces mêmes applaudissements s’intensifient encore plus alors que le groupe tease « Bad Kingdom » en nous demandant si on reconnaît le son de synthé si familier qui rythme la chanson, allant jusqu’à prétendre que le prochain titre s’appelle « One More Time ». Et celle-ci tient toutes ses promesses, et même plus encore ; car, pour la première fois du concert, la foule décide de chanter les paroles du refrain, le groupe allant même jusqu’à interrompre la musique pour mieux nous entendre. Après cet instant de communion collective, c’est avec l’intimité de « The Fool » et son riff poignant accentué par la ligne de guitare d’Apparat puis avec le très progressif « Intruder », qui passe de percussions tribales à un glitch expérimental, que le concert continue, ne cessant jamais de nous surprendre et de nous charmer. C’est finalement avec le splendide « Versions » que le set se termine, les applaudissements continuant pendant plus de dix minutes après que le trio est sorti de scène et que les lumières ont été rallumées.

Moderat prouve donc, grâce à son contrôle de l’environnement sonore et visuel, que c’est un groupe à absolument voir en concert. Loin de trop en faire, il a su produire une prestation sans fausse note ni erreur de rythme, et nous a démontré qu’un projet excellent en studio peut produire quelque chose de différent, mais à la qualité similaire, sur scène.


Retrouvez Shed sur :
Site officielFacebookTwitter

Retrouvez Moderat sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général