[Interview] Mclean

Une semaine après sa venue en France pour la seconde fois en quelques mois (et selon le premier intéressé pas prêt d’être la dernière), le chanteur et musicien franco-ontarien Mclean dévoile ce vendredi un double clip-vidéo ambitieux prolongeant largement l’immersion sonore et visuelle de son single « Picaroon ». Le natif de Grand Sudbury dans le Nouvel-Ontario nous détaille son processus d’écriture à l’imaginaire très littéraire. Il nous partage d’ailleurs dans cette grande entrevue son attachement à la francophonie autant qu’à son territoire tout en nous apportant quelques indices bienvenus sur sur les curieux protagonistes de son nouveau court-métrage.

  • Bonjour Simon Jutras ! Tu es auteur-compositeur-interprète, à la fois chanteur et guitariste sous le nom de Mclean. Ce surnom artistique, de surcroit très anglophone, j’ai pu lire que tu l’avais choisi en référence à un hôpital psychiatrique américain situé à Belmont dans le Massachusetts et qui a accueilli quelques personnalités célèbres, notamment Ray Charles et James Taylor. Ton univers entretient-il une certaine connexion, un attrait curieux avec le domaine de la psychiatrie ?

Oui c’est un domaine qui me fascine, mais j’avoue que la musique reste avant tout la façon que j’aime explorer mon monde intérieur. Comme tu expliques, il y a plein d’artistes qui sont allés passer un « petit séjour » dans cet hôpital. Il représente donc pour moi un point de rencontre entre la créativité et la folie : c’est-à-dire, dans un cas d’essayer de voir le monde d’une façon différente et dans l’autre de ne pas pouvoir s’en empêcher.

  • Tu es originaire de Sudbury dans la province canadienne de l’Ontario est connu pour abriter la plus grande communauté francophone canadienne hors du Québec. Et il se trouve que Sudbury est une ville qui soutient très fortement la francophonie avec son pôle culturel comptant entre autres le Théâtre du Nouvel-Ontario, la maison d’édition franco-ontarienne Prise de parole ainsi que le centre franco-ontarien de folklore. Autant d’infrastructures et d’initiatives qui t’ont invité à incarner à ton tour cette francophonie canadienne dans tes textes ?

Mes deux parents sont francophones alors le français a toujours été la langue principale au foyer. Ensuite, en toute honnêteté, cette infrastructure est restée quasi invisible pour moi jusqu’à beaucoup plus tard, même si elle contribuait à la vie culturelle de la ville. Je dirais qu’une des premières fois que j’ai été conscient qu’il y avait quelque chose pour moi dans la culture franco-ontarienne a été en entendant Konflit, un groupe rock expérimental avec une approche contre-culturelle. C’est à ce moment que j’ai compris qu’être franco-ontarien pouvait dire autre chose que ce qu’on apprenait à l’école ; que c’était une identité à définir pour soi-même.

  • Ton répertoire évolue habilement entre le folk et l’indie rock francophone à travers une approche subtile entre influences intemporelles et une volonté de toucher aussi de plus jeunes audiences. Comment avec tes mots parlerais-tu de ton répertoire à un.e inconnu.e pour lui donner envie de t’écouter ou de te découvrir sur scène ?

Je dirais simplement que j’ai décidé un jour (dont j’ai un très fort souvenir) de dédier ma vie à la musique et d’utiliser le monde sonore pour m’exprimer aussi authentiquement que possible. J’ai un immense respect pour le processus créatif et c’est dans cette optique que je prends mes choix musicaux.

  • Peux-tu nous parler de ton processus d’écriture qui, quand on se plonge dans les paroles, transpire d’une intention littéraire très forte, très imagée également ? Je pense notamment à « Stalker » qui est inspiré par le film d’Andreï Tarkovski du même nom.

C’est un film incroyable qui m’a marqué à la fois pour sa profondeur et sa naïveté. Il contient dans ses images une facilité vers la beauté, qui propulse si naturellement ce voyage mystique vers une énorme salle dans une zone démilitarisée où tous les vœux sont exaucés. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y rendre hommage ! Je trouve que dans ma musique, les films et la littérature n’ont pas seulement une influence sur les textes, mais aussi sur les choix musicaux. Dans le cas de Stalker, le film est divisé en deux parties ; la première dans le « vrai monde » en noir et blanc et la deuxième, dans la zone démilitarisée, en couleur. La musique miroite cette distinction avec une première partie émotive et intime, un bris, et une deuxième moitié éclectique et apocalyptique.

  • Parmi les figures du patrimoine musical franco-ontarien, on se doit de citer le groupe folk et rock progressif CANO, né d’ailleurs de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario dans les années 1970, également originaire de Sudbury et qui a connu ses heures de gloire entre 75 et 85. Quels liens entretiens-tu avec la scène musicale locale, passée comme présente ? Un mot sur la relève musicale de ta ville peut-être ?

Quand j’ai remporté mon premier Trille Or (un Gala pour la francophonie hors Québec), j’étais assis à la table avec Marcel Aymar, un des membres de CANO, et je dois dire qu’avoir à choisir entre le prix et la chance de discuter avec Marcel, j’aurais choisi la discussion. Le groupe CANO avait la tâche herculéenne de forger un mythe fondateur pour notre culture et le geste reste aussi significatif aujourd’hui que dans les années 70s. En ce qui concerne la relève, je pense que c’est mieux de laisser aux autres de juger !

  • En août 2021, après une demi-finale l’année précédente, tu étais finaliste de la 53e édition du Grand Concours Hydro-Québec dans le cadre du festival international de la chanson de Granby, bien connu pour révéler les nouveaux visages de la chanson francophone. Tu as pu jouer tes chansons en live avec un groupe pour l’occasion, une grande première pour toi, il me semble. Est-ce que cette expérience t’a donné envie d’accueillir d’autres musiciens de chez toi dans ton aventure solo ? Et plus largement, que retiens-tu de cette expérience de Granby où tu as pu collaborer avec le compositeur André Papanicolaou, mais également le respecté metteur en scène franco-ontarien Robert Bellefeuille pour travailler sur les histoires autour et entre tes chansons ?

J’ai déjà joué avec plusieurs musiciens (autant que neuf) pour mettre en scène les arrangements complets de mon premier disque, mais c’était la première fois que je jouais ces nouvelles chansons devant un public. Ç’a été une expérience top notch de travailler avec André et ses musiciens : Amélie, Simon, Joss Tellier, pour en nommer quelques-uns. Ce sont des pros parmi les pros (une de mes chansons avait une fugue en Fa mineur dans le pont, donc je ne leur ai pas rendu la vie facile !). Je continue aussi présentement ma collaboration avec Robert Bellefeuille, le metteur en scène à Granby, pour monter mon prochain gros spectacle full-band.

  • Ton second album « Une dernière fois » est paru en août 2018, mais on a pu découvrir sur ta chaîne YouTube un double clip « Hommage / Picaroon » qui annonce du nouveau pour 2023. Cette nouvelle direction musicale et artistique est-elle le fruit de rencontres, de nouveaux partenaires ?

En fait, c’est plutôt une continuation d’un travail entamé avec mon dernier disque. J’ai retravaillé avec Olivier Fairfield (percussions/co-réal) et Sébastien Perry (ingénieur sonore) au même studio. J’aime bien retravailler avec la même équipe et c’est la même histoire pour ce double clip. Shawn Kosmo le réalisateur avait signé le clip de « Kyrie hérisson » sur mon dernier disque et Janie Pinard la chorégraphie. Connaissant d’avance leurs forces artistiques, j’ai laissé cela me guider dans la conceptualisation de cette nouvelle proposition.

  • Peux-tu nous raconter le tournage de ce long métrage particulièrement déjanté réalisé par Shawn Kosmerly qui connecte deux histoires, deux personnages dans des réalités parallèles ?

C’est l’histoire de deux personnages, le Roi des rats et Picaroon, qui sont en combat existentiels avec des forces internes qui les tiraillent entre l’illumination et le désespoir.
Le roi des rats est pris dans un monde de pouvoir éphémère et ses forces internes, les Humeurs, le tourmentent dans une fugue endiablée qu’il n’arrive plus à contrôler. Le désillusionnement de Picaroon se manifeste dans son agoraphobie et dans ces anges fabulateurs qui la suivent partout. Les deux protagonistes existent parallèlement, mais se croisent à la mi-vidéo quand on réalise que le Roi des rats est un personnage dans un livre à Picaroon.
Le tournage a été fait sur quatre jours et plusieurs endroits à Sudbury dans l’Ontario. Un des points forts pour moi a été la fabrication sur mesure d’un trône en glace d’une tonne. Il n’occupe qu’une vingtaine de secondes dans la vidéo, mais je tenais absolument à cette image comme métaphore pour la futilité du pouvoir humain face aux forces du temps.

  • Tu bénéficies d’un précieux coup de pouce de la part de l’ANIM, qui vise à donner de la visibilité aux professionnels de l’industrie musicale francophones en réseautant entre structures et en multipliant les collaborations. Qu’est-ce que représente pour toi, comme nouvelles opportunités, de faire partie de ce réseau qui valorise la francophonie minoritaire pancanadienne ?

C’est fou de pouvoir représenter la culture franco-ontarienne à outre-mer. J’aime bien que c’est autant une opportunité de faire rayonner nos différences culturelles que de découvrir les nombreux points en commun. J’ai déjà fait des amis à vie grâce à ces initiatives alors je suis très reconnaissant.

  • Tu as pu vivre des expériences de vitrines en Europe, du côté de Lyon ainsi qu’en Belgique au printemps dernier avec ta compatriote Rayannah, mais aussi pu bénéficier d’une résidence à Belvezet dans le sud de la France. Peux-tu nous parler de ces dates partagées avec elle et vous connaissiez-vous auparavant ? Et qu’as-tu pu travailler, voire peaufiner durant ta semaine de résidence ?

Je connaissais Rayannah de réputation, mais l’occasion ne s’était jamais présentée de travailler ensemble. L’Ouest canadien, c’est quand même à des milliers de kilomètres de chez nous. On se retrouvait les deux au festival Changez d’Air alors je lui ai tout simplement demandé de m’accompagner sur scène. C’est une musicienne très talentueuse. Elle m’a même laissé utiliser ses in-ears pendant le soundcheck parce que j’avais oublié les miens. Ça, c’est du bonding !

  • Tu es également soutenu localement par le Réseau Ontario, qui permet la diffusion des arts de la scène francophone en Ontario. Et tu as notamment participé à une soirée vitrine grand public au Centre des Arts Shenkman en janvier dernier. Quels souvenirs en gardes-tu ?

Ç’a été un événement rempli de retrouvailles ; la première édition en présentiel depuis que le mot présentiel est apparu dans notre langue. Il y avait mon ami Étienne Fletcher et plein d’autres artistes le soir où j’ai joué. Au after-party, tout le monde était là, des gens que je n’avais pas croisés depuis des années. Ç’a faite ben du bien.

  • On l’a compris, de belles choses arrivent pour toi cette année. Peux-tu nous donner quelques indices sur tes prochaines actualités et aura-t-on bientôt l’occasion de te (re)voir en France ?

J’étais dernièrement de passage à la mi-mars dans le bout de Montpellier et Lyon. J’ai bien hâte d’être de retour parmi vous pour la troisième fois en moins d’une année. À bientôt, j’espère !


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques