[Interview] Marvin Jouno

Marvin Jouno est un impatient gourmand. Ou l’inverse. Le genre d’artiste qui est le premier à la FNAC pour acheter, à sa sortie, les yeux rouges d’émotion, une copie du CD qu’il a tant rêvé, travaillé, fantasmé, peaufiné, pleuré, détesté, revendiqué, conspiré, institué, et dont il voit le reflet brillant de la couverture devenir l’ouverture vers une brillante carrière.
Après une période épique de décape et d’EPs, voici enfin le fruit défendu de sa collaboration avec ses acolytes du début, pugnaces et tenaces tout comme lui, pour amener sur les platines et dans vos oreilles l’absolu son et l’absolution de ses paroles et de ses musiques emplies de certitudes. Sur un fil avec les mots et sans jamais se défiler avec les mélodies, « Intérieur Nuit » se relève un EP prémonitoire et se révèle être l’une des plus belles surprises et emprise musicale francophone de 2016.
Et Marvin de nous en parler dans cet entretien, troublé par des horizons sur lesquels il n’avait pas vu le soleil se lever. Le cœur rempli d’idées, de sagesse et parfois de tristesse, qu’il s’évertue avec vertu à partager et à amplifier pour nous momifier, sans nous méfier, dans son intérieur inouï, sans ennui.

crédit : Élise Toïdé
crédit : Élise Toïdé
  • Marvin Jouno se conjugue au pluriel. Parle-moi tout d’abord de ceux qui sont avec toi dans ton projet.

Il y a Angelo Foley, un ami d’enfance, on se connaît depuis qu’on a 8 ans. C’est lui qui a réalisé les titres. On avait fait partie d’un groupe de lycée et, après, j’ai bifurqué. Contrairement aux membres du groupe, je n’ai pas fait ensuite d’études de musique, mais je me suis dirigé vers le cinéma. Jusqu’à ce qu’on me mette la MAO entre les mains. Grâce à un petit Cubase sur un PC, j’ai commencé à bidouiller, à faire des samples. Comme j’avais des textes de scénarios de côté, je me suis dit que je pourrais essayer de chanter… J’ai mis plus tard en ligne un EP sept titres appelé « L’Éclipse », qui a eu une micro vie sur MySpace et Jamendo (NDA : avec tout de même 200 000 lectures). J’avais tout fait tout seul de A à Z, y compris le mixage et c’était… catastrophique (rires). Je n’étais pas un grand technicien et j’avais un rapport bizarre au chant. Je ne faisais aucun effort d’articulation, je marmonnais…

  • Et, du coup, qu’est-ce qui a provoqué le déclic du chant ?

Au fur et à mesure. Après la mise en ligne de cet EP, que je qualifierais de maquette, j’ai retrouvé Angelo et Agnès Imbault, qui est pianiste. Ils se sont dit qu’il y avait un truc et qu’il fallait qu’on travaille.
On s’est mis à la tâche sur de nouvelles compos pour donner cet EP « zéro » qui s’appelle « L’Ivoire », un quatre titres plutôt pop années 90, plus acoustique, sorti en 2013. Quand j’ai signé sur un label, on a décidé de l’écarter afin de pouvoir reprendre certains titres sans qu’une première version ne traîne. Tout cela se faisait alors encore en dilettante, le week-end, car nous avions tous des activités en parallèle.

  • Justement, à partir de quand as-tu considéré le projet comme sérieux, nécessitant un investissement à 100% ? 

Dès les premiers concerts, courant 2013. La toute première date fut à L’Angora, un petit bar à Bastille, avec comme public uniquement des proches bienveillants. Il y avait un piano acoustique à l’étage, qui était pour ainsi dire notre référence. On se prenait un peu pour Arcade Fire, on est arrivé à six pour jouer (rires) !  Et j’ai dû faire tout le concert les yeux fermés, car je ne savais pas si j’étais compatible avec la scène ! Il paraît que c’était touchant, et pas mal pour un bout d’essai. Le deuxième s’est fait au China, toujours à six ; mais, cette fois-ci, j’ai ouvert les yeux. Et là, j’ai commencé à prendre un peu de plaisir. Puis on a enchaîné aux Trois Baudets, mais à quatre, car on n’a pas eu l’autorisation d’être plus. On peut dire que cela a été notre vrai premier concert.

  • Comment as-tu vécu ce passage de six à quatre sur scène ?

Très difficilement, d’un point de vue humain. Laisser des gens sur le carreau est un principe qui ne me plaît pas trop. J’ai un souci des valeurs de fidélité, mais je n’ai pas pu, malgré moi, les embarquer avec moi. Pareil pour mes premiers copains, qui ont fait le graphisme, une première copine qui m’a aidée en tant qu’attachée de presse et qui avait son métier à côté. C’était des gens qui étaient là quand il n’y avait pas d’argent et de relais ; et cela m’embête beaucoup, sur le fond, de ne pas avoir pu continuer avec eux.

crédit : Élise Toïdé
crédit : Élise Toïdé
  • C’est hélas le revers de la médaille, lorsque tu atteins une certaine maturité dans un projet, de ne pas pouvoir toujours rester entouré de ceux qui font partie de ton écosystème personnel…

Pour mon LP, j’ai toutefois fait en sorte de ne pas appeler les potes pour ne pas les décevoir. Même s’ils étaient très talentueux. Je voulais que des gens « frais », que je ne connaissais pas et dont je pouvais « basher » les idées. Je voulais être libre de ne pas mettre trop d’affect… Hum, cela n’a pas été plus simple que si j’avais travaillé avec des copains, mais je tenais vraiment à pouvoir dire ce que je n’aimais pas…que ce soit pour le clip, la pochette, les photos de presse, le stylisme…

  • Tu t’es rapidement inscrit dans un univers qui t’est devenu propre. Voix, musique, graphisme, clips, etc. Tu sembles extrêmement clairvoyant sur le projet…

Ce qui est chouette avec mon label (NDA : Un Plan Simple), c’est que je suis le moteur – et on me le demande, d’ailleurs. Après, du fait de mon cursus lié à l’image (j’ai fait mon premier site et ma première pochette tout seul), j’ai acquis une espèce d’expertise, même si ce n’est pas ma spécialité. En fait, je crois savoir ce que je veux. Après, j’adore me frotter au talent des autres pour échanger.
Pour le clip « Quitte à me quitter », il y a un micro décalage, une espèce de strabisme. Un mec se casse, la fille lui dit « Casse-toi, tu vas revenir », mais on ne voulait pas inscrire l’histoire dans une imagerie classique. On l’a transposé dans un truc de science-fiction dans lequel je me suis engouffré et que j’ai tenté d’alimenter. J’ai des scénars pour toutes les chansons, en fait… Je pense que j’écris des films…
C’est un long cheminent, je dois être un cinéaste frustré. Car je devais me retrouver là-dedans et, par un concours de circonstances, je me suis retrouvé technicien. C’était épanouissant, mais, durant dix ans, je me suis trouvé des plages où je m’épanouissais encore plus. J’ai choisi la musique et la photo, car on n’a pas besoin de matos à dix millions d’euros ; a priori, on peut tout faire tout seul.

  • Cela ne t’entraîne-t-il pas sur un terrain névrotique ? Est-ce les images qui conduisent ta musique ou l’inverse ?

Pour moi, en tant que spectateur, il n’y a rien de plus intimement lié. C’est incroyable d’avoir des images avec une bande-son. Je pourrais regarder pendant des heures des images au ralenti, avec la bonne musique. Je vis moi-même avec une bande-son… je crée mon propre film… quand j’écoute Radiohead, je ferme les yeux, je ne cherche pas à comprendre les paroles. C’est pour cela que j’écoute très peu de musique française (rires).

  • Et pourtant, tu écris et chante en français, avec une très haute maîtrise des mots…

C’est un jeu. Certains ont dit que ma plume était banale (rires). Je n’ai pas toujours une grande confiance en moi, mais, si je peux prétendre à quelque chose, c’est qu’il y a un réel effort d’écriture… Il y a deux défis : faire sonner le français à l’anglaise et trouver des mots et des punchlines. Au départ, j’aimais d’ailleurs ne pas être toujours compris. Puis, j’ai appris à simplifier. Mais en gardant des doubles sens, comme dans le premier EP, « L’Ivoire » : ce qu’on entend n’est pas ce qu’on lit. Et c’est cela qui me plaît.

  • Quand est-ce que les gens ont commencé à s’intéresser sérieusement au projet ?

On avait déposé, sans trop y croire, trois dossiers pour l’EP « zéro » : à un radio-crochet France Inter, pour les Jeunes Talents d’Europe 1 et aux iNOUïS du Printemps de Bourges.
On a fait la finale Île-de-France des iNOUïS, on a fini second dans le top 10 des talents Europe 1 et on a été pris à France Inter. Les choses se sont vite précisées. Cela s’est joué à quinze jours près entre la maison bleue et la maison rouge pour qu’ils puissent dire qui m’avait découvert le premier ! Thierry Lecamp (Europe 1) m’a invité dans sa dernière émission. Je le considère comme un parrain bienveillant, au même titre que Didier Varrod (France Inter).

Après ça, j’ai dû arrêter mon métier de technicien en mars 2014. Il y avait beaucoup de curiosité de la part des labels (on en a vu 14 !). C’était important pour moi de signer dans un label pour concrétiser quelque chose, avoir toute l’aide utile autour de moi, avec des moyens et des gens dont c’est le métier. Ça change vraiment tout ! Moi, j’ai mis trois ans pour arriver à avoir 5000 vues sur la vidéo de « Quitte à me quitter » ; alors qu’ensuite, il n’a fallu que trois mois pour en faire 20 000 !

crédit : Élise Toïdé
crédit : Élise Toïdé
  • Es-tu quelqu’un de patient, justement ?

Absolument pas. Les choses se font petit à petit, et on me rappelle souvent d’être patient… tout en sachant que j’ai du mal à placer mon barème d’ambition et de satisfaction. J’ai du mal à me satisfaire des bonnes nouvelles qui arrivent, je suis un éternel insatisfait. Et je n’ai pas envie que mon ambition me rende malheureux. Je te disais que je n’écoute pas de musique française ; mais, en fait, je le fais tout de même depuis quelque temps, pour arriver à me situer. D’autant plus qu’il se passe beaucoup de choses, que l’on est dans une période passionnante.

  • Confirmes-tu qu’il y a à nouveau un attrait pour la musique avec des textes en français ?

J’ai subi le français en en entendant beaucoup chez mes parents (Bashung, Manset, Murat, Daho) et, quand je suis parti de chez eux, je n’écoutais absolument plus cela, à part un Gainsbourg de temps en temps. Mais, depuis deux ans, je suis à l’affût, et je suis conscient de tout ce qui sort ! Il y a eu une espèce de grand écart de Stromae à Fauve en passant par La Femme et Feu! Chatterton. Tous ces artistes sonnent, ils sont hyper crédibles…

  • Oui, on ne les entend pas, on les écoute !

Tout à fait ; et on n’est pas dans la variété, dont j’ai une peur bleue ! Dès que tu chantes un peu trop, selon les thèmes que tu abordes, il y a cette difficulté de placer le curseur. On m’a dit un jour que j’étais entre Frànçois and The Atlas Mountains et Grégoire… Je n’ai pas compris (rires).

  • Et comment s’est passé l’enregistrement de l’album ?

C’était un rêve d’ado. Déjà, de se retrouver avec Angelo durant quinze jours dans un lieu dédié à cela, le Studio Vega à Carpentras. On l’a fait à quatre, avec une vieille console EMI dont le modèle avait servi aux Beatles et à Pink Floyd ! On envoyait tout dans cette console et cela partait ensuite dans l’ordi d’Angelo, où tout était prémixé. Bertrand, l’ingé son, n’avait jamais vu ça ! Un total mélange d’analogique et de numérique. J’avais quinze chansons prêtes, mais il a fallu faire un choix pour que cela soit plus digeste. Certains diront que la reprise de « Grand Sommeil » d’Étienne Daho n’a peut-être pas sa place dans le LP, mais j’avais envie de le défendre. On a remis un prisme nostalgique et mélancolique, très dream pop, à la Beach House… De toute façon, les chansons écartées seront jouées sur scène.

  • Et en concert, joues-tu d’un instrument, ou es-tu l’homme derrière le micro ?

J’ai déjà bien à faire à chanter, à incarner les textes. Même si je pourrais me planquer derrière un instrument (rires). Ceci dit, le pied de micro est déjà une frêle carapace !
Ça me suffit en fait, je voudrais même des fois m’en affranchir. Je me fais violence. Je tends à être totalement à l’aise… Même si, pour l’instant, je préfère jouer dans une salle obscure qu’à 17h30 devant une pelouse, avec un public clairsemé et éloigné.

  • De l’extérieur, on te sent posé, avec une extrême maturité, une maîtrise de ce personnage à la fois mystérieux et séducteur. Et à côté de cela filtre une fragilité très touchante…

Parfois, je trouve que ma carapace n’est pas assez costaude. Je suis hyper sensible, voire susceptible. Faut absolument que je me blinde… Là, j’ai de la chance, car je suis préservé, je n’ai pas de mauvaise critique, cela n’intéresse pas les gens de m’écorcher. Même sur YouTube, personne ne me démonte, alors que je suis une bonne tête à claques !

crédit : Élise Toïdé
crédit : Élise Toïdé
  • Arrives-tu de temps en temps à t’extraire de ta carapace, à sortir de ton enveloppe corporelle et à regarder le projet avec distance ?…

De dézoomer ? Oui bien sûr… Stromae dit qu’après tout, tout cela n’est que de la musique. En même temps, pour moi, c’est toute ma vie. Il n’y a que cela qui m’intéresse… et ce n’est pas terrible pour ma vie perso. Je joue gros ! Je suis monomaniaque, je n’arrive pas à me laisser distraire par d’autres choses.

  • Tu as tout de même des échappatoires, tel le cinéma…

Oui, mais que j’ai mis un peu de côté, du moins dans la pratique. J’ai un peu lâché la photo aussi, avec mon site Picture A Song (NDA : réalimenté depuis l’interview avec des photos de tournage du film « Intérieur Nuit »). J’ai fait des expos à Paris et en Belgique sous ce même nom, Marvin Jouno – qui est d’ailleurs vraiment le mien. J’ai cherché pendant deux ans un autre qui m’irait bien, mais bon… même si Marvin n’est pas très breton, car je viens de St-Brieuc !
Pour la petite histoire, mes parents, à ma naissance, ne m’avaient pas choisi de prénom ; et, en rangeant des disques, devine…

  • Cela aurait pu être pire (rires) !

Oui, par exemple, Rod Stewart !

  • Ou alors Gérard Manset… cela aurait fait Gérard Jouno…

(Rires) Ah ah, oui, franchement pas terrible !!!!
J’ai donc gardé ce patronyme. Et la musique a pris le pas sur la photo. Je prends plutôt plus de plaisir à un concert qu’à un vernissage ! Et c’était un nouveau défi qui se présentait et vers lequel je devais aller !

  • Tu aimes aller en concert, te fondre dans la foule, regarder, observer, décortiquer ?

Oui. C’est comme quand j’étais en école de cinéma : je ne regardais plus la télé de la même manière. Maintenant, mon rapport à la musique est complètement biaisé.
Après, en concert, c’est encore autre chose : c’est du spectacle vivant. Je me souviens être allé voir Sufjan Stevens il y a quelque temps ; j’avais de grosses attentes et j’ai été terriblement déçu. Un mythe s’est effondré chez moi… du moins en live. Je continuerai d’écouter ses sublimes disques. Et, à côté de cela, je me prends des claques monumentales en allant voir, par exemple, Other Lives à La Flèche d’Or…

  • Comment verrais-tu le projet à l’étranger, avec la contrainte de la langue ?

Je pense que tu perds pas mal de l’univers si tu ne comprends pas les paroles…

  • Mais tu me disais que tu aimais Radiohead sans pour autant comprendre ce qu’ils disaient ?…

Je n’ai pas encore ce recul et cette sagesse par rapport à mon projet, donc je pense que les mots sont des composants importants. Mais c’est de la musique, et cela doit voyager… Quand j’avais mes musiques sur Jamendo, j’ai eu beaucoup de synchros avec les États-Unis, l’Europe de l’Est, l’Amérique du Sud… j’ai une petite vie, là-bas !
Je suis le premier à vouloir partir.
Mais commençons par assurer les dates de la prochaine tournée.

Marvin Jouno - Intérieur Nuit

Marvin Jouno sera en concert le 5 avril à La Flèche d’Or, le 14 avril au Printemps de Bourges et dans toute la France du 2 avril au 4 août.
Son premier album, « Intérieur Nuit », est disponible depuis le 11 mars 2016.


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans