[LP] Mark Lanegan Band – Gargoyle

Avec son second album sous le nom du Mark Lanegan Band, le songwriter américain poursuit les aventures ténébreuses entamées sur le formidable « Blues Funeral » en affirmant encore plus son sens de l’écriture et de l’atmosphère, quelque part entre les noirceurs cycloniques d’un rock épais et pluvieux et les illuminations, brèves mais intenses, de clartés presque religieuses.

Une carrière inépuisable et qui, si l’on en croit ce nouvel effort, n’est pas prête de s’interrompre de sitôt ; Mark Lanegan fait partie de nous, depuis ses débuts au sein des Screaming Trees ou en solo (« Whiskey for the Holy Ghost » reste le disque de chevet de chaque individu marqué par la solitude et l’addiction à l’art et aux substances anxiogènes et hallucinogènes licites). Il y a cinq ans, « Blues Funeral » marquait une nouvelle étape au sein du périple d’un artiste en constante évolution et réinvention, constituant pour l’occasion un véritable microcosme capable de porter ses fantasmes les plus noirs sur le devant de la scène. Puis vient « Gargoyle » : un effort désespéré, presque hurlé et d’une intensité ténébreuse radicale, mais à la beauté intérieure humaine et poignante. À 52 ans, Mark Lanegan conserve toujours une longueur d’avance sur ses contemporains, donnant une leçon d’écriture et de composition sans faille et imparable qui laissera beaucoup de pseudo-phénomènes éphémères sur le carreau, la gueule en vrac et les doigts brisés.

Peut-on considérer « Gargoyle » comme l’opus le plus obscur du compositeur ? Si l’on en croit l’ambiance putride et lourde de « Death’s Head Tattoo », on serait tenté de répondre de manière positive, surtout lorsque « Nocturne » et sa discrète mais omniprésente boucle synthétique renforce cette impression tenace d’oppression, de manque d’air, de suffocation. La production est sale, colle à la peau comme la sueur d’une journée de labeur ou le sang séché après un combat acharné pour sortir du marasme et ne pas se laisser dominer. De ce fait, la fausse clarté de « Blue Blue Sea » et la mélancolie psychédélique du magnifique « Sister », où larsens et saxophones s’enlacent avant de mieux se rejeter, servent justement à rendre l’impact général toujours plus prégnant, aigre et acide, piquant et brûlant. Habité par ses textes et instrumentaux, y fondant le métal en fusion de ses peurs et de ses hantises, Mark Lanegan transforme le rock le plus immédiat en une arme offensive et aiguisée (« Beehive », « Emperor »), le folk en bouffée d’oxygène vitale avant de replonger dans l’abîme (sublime « Goodbye To Beauty », « First Day Of Winter ») et va même jusqu’à précipiter sa course, tête la première, au bord d’une falaise abrupte, prise de risque nécessaire à l’épreuve et au baptême de nos propres craintes pour mieux les surmonter (« Drunk On Destruction »). Une boue cathartique et humide, caressante et anxiogène, qui nous parcourt les synapses et la moelle épinière avec autant de frissons que de délectation (« Old Swan »).

« Gargoyle » est fascinant et obsédant ; un album chamanique et diabolique, sur lequel les esprits défunts nous heurtent, nous bousculent puis nous guident entre l’Hadès et un Paradis perdu depuis bien longtemps. Compulsif et hypnotique, il fait de Mark Lanegan le représentant des tourments de l’âme humaine le plus proche de nos angoisses, de nos pertes de repères, de nos amours déchues. La chute est inexorable, mais n’est-elle pas finalement d’une beauté et d’une franchise à couper le souffle ? Une chose est certaine : ces dix chansons, prières à la terre et aux forces obscures qui la régissent, ne laisseront personne indifférent. Pour nous, le choix est fait : « Gargoyle » est l’un des meilleurs disques de l’année. À chacun, maintenant, de se forger sa propre opinion.

créd: Steve Gullick

« Gargoyle » de Mark Lanegan Band est disponible depuis le 28 avril 2017 chez Heavenly Recordings / [PIAS].


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Raphaël Duprez

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