[Court-métrage] Franck, réalisé par Marion Berry

Pour son premier court-métrage réalisé intégralement en autoproduction dans la région de Dijon, grâce notamment à une équipe de bénévoles dévoués et totalement impliqués, la jeune réalisatrice Marion Berry convoque la peur aussi bien dans l’interprétation des acteurs que dans la musique, élément déterminant de l’angoisse et du doute qui assaillent et paralysent le personnage principal. Un film exemplaire, sur bien des points…

« La musique n’arrange rien ; elle détruit le réel ». Cette phrase, prononcée par le producteur du film auquel Allan (Pierre Olivier-Megret), acteur torturé et habité par son rôle, participe sans parvenir à totalement s’investir dans son personnage, résonne tout au long des vingt minutes de « Franck », court-métrage réalisé sur une période de trois ans par Marion Berry. L’enjeu des scènes à jouer ? La peur. Celle qui se lit sur les traits et s’entend, discrète puis omniprésente. Celle qui menace dès les premières secondes du film, alors que les instruments, maniés par des musiciens dont on ne verra jamais les visages, sont accordés pour laisser pénétrer, insidieusement, leurs dissonances, accompagnement vital de la psyché d’Allan. Sa quête de la performance parfaite, du fait de transcender la pure récitation d’un texte en devenant celui qui est écrit sur le papier, ne le conduit pas vers la folie ; au contraire, c’est lui qui apparaît comme l’artiste le plus fiable et impliqué parmi tous les protagonistes. Dépasser l’illusion pour exister et transpercer l’écran. Quitte à y laisser son âme.

Les couleurs prédominent autour des êtres impliqués dans le projet auquel le spectateur/auditeur assiste : sombres, entre le rouge vermillon et le noir, elles ne laissent que peu de lumière, que ce soit en intérieur (la scène de théâtre) ou en extérieur (la forêt). Complémentaire des sons que l’on entend, bande originale faite de dialogues et de thèmes noyés dans un tumulte perturbant et suggestif, la mise en scène cadre chaque plan comme sur l’écriture d’une partition, complétant ainsi, par l’image, ce que le générique nous permettait de deviner, sans pour autant connaître la vérité des événements qui vont suivre. Les tunnels que parcourt Allan lors de sa fuite du plateau sont autant de ponts instrumentaux, de portées qu’il gravit l’une après l’autre, avant de chuter et de rencontrer la frayeur dans sa forme la plus marquante. Un final hitchcockien, suggéré plutôt que montré, tandis que les interprètes d’harmonies stridentes sans être inaudibles (ce qui aurait totalement gâché l’impact de la confrontation et a été parfaitement compris et assimilé par le compositeur Christophe Belletante) ne sont jamais montrés de face, mais à travers leurs corps et leurs doigtés sur les clarinettes et flûte traversière. Ce qui mettra définitivement un terme aux doutes d’Allan se déroulera hors-champ, dans un travelling passant de la menace d’une baguette de chef d’orchestre (Franck ?) à l’inconnu d’une nature à jamais bouleversée. Une union sans égale de la pellicule et des notes, réalisée avec une autonomie exemplaire et précise, qui prouve que les genres artistiques, lorsqu’ils se percutent, ne peuvent que créer de purs moments de plaisir viscéral et sublime.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.