[LP] Marie-Pierre Arthur – Des feux pour voir

De son premier album éponyme (2009) à « Si l’Aurore » (2015) en passant par « Aux alentours » (2012), Marie-Pierre Fournier alias Marie-Pierre Arthur a toujours fait irradier de lumière ses titres aux textes souvent sombres. Dans « Des feux pour voir » qui paraît ce 17 avril dans nos vieux pays, la Québécoise laisse l’obscurité gagner un petit peu plus de terrain sur l’éclaircie. La période actuelle rendra peut-être l’écoute de ce disque plus confrontante. À Montréal, on a pris un peu d’avance et on vous l’assure : même en ce moment, il vaut clairement le coup de passer au travers de cet album-ci.

crédit : Elise Lafontaine

Malgré les quelques passages de Marie-Pierre Arthur en Europe, il est fort possible que les titres phares « Si tu savais », « Rien à faire » ou encore « Fil de soie » ne soient pas parvenus jusqu’à vos oreilles. Petite session de rattrapage. En 2009, paraît au Québec l’album « Marie-Pierre Arthur ». Le public et les critiques tombent rapidement en amour avec le projet indie folk de la bassiste souvent aperçue sur les scènes locales aux côtés d’artistes aussi divers qu’Ariane Moffatt, Edith Butler, Stefie Shock ou encore Mara Tremblay. Le reste s’enchaîne vite. Rythmées par des concerts à travers le Québec, les sept années suivantes permettent la parution de deux autres opus qui ancrent durablement le projet dans le paysage musical québécois. Marie-Pierre Arthur se démarque par sa capacité à susciter l’émotion et l’introspection ainsi que par son envie d’explorer, par son projet, différents chemins musicaux. Avec elle, le folk côtoie tout naturellement le country-blues (« Tout ça pour ça »), le gospel (« All right ») et même la Motown (« Emmène-moi »). Avec son troisième album, Marie-Pierre y va plus franchement en immergeant dix nouveaux morceaux dans la soul et le groove des années 70 et 80. Les nominations et les prix sont au rendez-vous. Après la réussite de tels détours, une pause s’imposait.

En vue de trouver quelles nouvelles avenues emprunter, Marie-Pierre Arthur a continué de faire appel à des membres de son entourage proche ; en particulier François Lafontaine, Sam Joly et Nicolas Basque pour ce qui est de la composition ainsi que Gaële, Laurence Nerbonne, Emilie Laforest et Louis-Jean Cormier pour l’écriture des textes. Le produit de ces cinq années d’exploration ne peut laisser indifférent.

Comme un clin d’œil à la chanson fondatrice du projet « Déposer les armes », on commence lentement cet album de renouvellement avec « La guerre ». Le titre donne le ton avec ces deux batteries, très présentes durant tout l’album, l’ambiance pesante et le chant un peu las d’Arthur avouant son inquiétude à une amie dans une période de troubles : « Regarde où t’en es / Je parle du temps perdu »… Ce faisant, la chanteuse se parle peut-être aussi à elle-même : « À chercher si longtemps / T’as perdu la foi souvent / Il faut la finir la guerre / Où vas-tu reprendre l’histoire / Là maintenant, tu dois la refaire ». Trafiquée, la voix sonne en effet comme ces paroles qui nous reviennent sans cesse en tête jusqu’à risquer l’explosion. À l’issue des ultimes « J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur pour toi », celle-ci interviendra effectivement à la fin de ce premier titre et à plusieurs reprises sur l’opus.

On enchaîne avec « Les nuits entières ». Après un début psyché, c’est la douceur de la voix et des cordes qui accapare l’attention. Sur ce fond sonore, Marie-Pierre Arthur ne nous offre pourtant pas beaucoup de répit évoquant tour à tour ces failles « les plus sombres », ces « envies meurtrières » et les moments kamikazes où l’on entretient des relations sentimentales toxiques.

Finalement, il n’y a que la new wave de « Tiens-toi mon cœur », une chanson d’amour et de conseils de la chanteuse à son fils, et la chorégraphie de ce dernier sur le clip qui nous redonnent véritablement du baume au cœur.

Même les expérimentations d’effets de voix sur « Faux » ou encore le funk très dansant de « Dans tes rêves » cachent des moments angoissants. Tour à tour, on arrive « à peine à s’entendre » tandis que des désirs fantasques de vengeance se font jour.

Le cauchemardesque est enfin totalement embrassé sur les deux avant-dernières chansons de l’album. Le sens des textes y est encore plus fuyant. Si lumineuse habituellement, la voix de Marie-Pierre Arthur y prend des tournures effrayantes pour évoquer des situations apocalyptiques où « la maison flambe » et « les nuages tombent ». Le grunge mélodieux de la pièce-titre « Des feux pour voir » ainsi que le final noise sur le titre suivant nous prennent au ventre comme lors de nos premières écoutes de Noir Désir.

Après avoir savamment exploré jusqu’à ces profondeurs, c’est finalement dans la lumière que Marie-Pierre Arthur décide de nous laisser reprendre nos esprits à l’aide d’une composition jazz où une polyphonie de cordes et de chœurs s’ajoutent à des notes de piano apaisantes. Nos sombres pensées sont déjà évacuées dès les premières secondes de « Puits de lumières ».

Après l’écoute complète de « Des feux pour voir », on espère que vous serez tout aussi sonnés par la succession audacieuse de ces pièces hétéroclites. À mesure qu’elles sont lancées, les pistes sont brouillées, souvent au sein même des morceaux. En ce moment, il n’est plus possible de vivre de telles secousses émotionnelles dans nos essentielles salles de spectacle. Il serait dommage de se priver d’un bel objet et d’autant de chamboulements à la maison.

crédit : Philippe Richelet

« Des feux pour voir » de Marie-Pierre Arthur est disponible en Europe depuis le 17 avril 2020.


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Lise Brun

En quête perpétuelle d’émotions dans les salles de la ville aux cent clochers