Dès les premières secondes de l’introductif « Battlefield », un dialogue de guitares s’installe, invitant avec modestie l’anglais délicat et très personnel du musicien français Marc Morvan. Un premier élément de preuve, relatif à l’esthétique singulière qui nous envahira progressivement tout au long de « The Offshore Pirate ». Les arrangements s’articulent en effet sur une profusion de cordes multiples, qui habite et façonne les reliefs de ce troublant LP ; parfois tendres comme des baisers ou soudainement rageuses comme les assauts d’une tempête. Les sentiments tourbillonnent, l’émotion est à portée de main.
Alliant la finesse de son écriture à celle de sa touchante incarnation vocale, Marc Morvan se transforme une nouvelle fois en fin narrateur du sensible, dans des effusions qui s’apprécient comme un tout, animées par d’édifiantes nuances en forme de montagne russe. Les pages d’un livre à cœur ouvert se dévoilent ainsi une à une sans jamais rompre notre attention. Toute l’habilité de Marc Morvan a donc été de réunir des morceaux en état d’ébauche, éparpillés dans sa mémoire, pour les fixer dans une œuvre parfaitement cohérente et en tout point envoûtante.
D’une inspiration foncièrement folk à des tentations americana, d’une précision totalement pop à des dérivations subtilement bruitistes : la musique de « The Offshore Pirate » a tous les contours d’une musique de chambre rebelle qui rêverait de grandir, animée par l’appel des grands espaces et des échappatoires de l’imaginaire; mais qui trouverait finalement au fond d’elle tous les ressorts de son ambition. L’artisanat est aussi le lieu des grands disques, des disques uniques qui s’apprivoisent avec le temps. Et globalement, ils ne sont pas si nombreux à résister à la dure épreuve de l’écoute. Encore moins à savoir préserver cette part de mystère nécessaire pour durer à travers des élans poétiques profondément humains. « The Offshore Pirate » rejoint ainsi sur la pointe des pieds les albums inévitables de Calexico, d’Andrew Bird et de Lullaby For The Working Class.
Or nous ne ferons pas l’erreur de positionner Marc Morvan dans la catégorie des éternels suiveurs ou des bons élèves, car après un tel exploit, il est évident qu’il n’a besoin de personne pour exister (si ce n’est, ces fidèles compagnons d’aventure). Si nous devions évoquer une figure singulière de la musique indépendante, notre regard se tournerait vers l’insaisissable Nick Talbot, le défunt leader de Gravenhurst. Marc Morvan est en effet comme lui un musicien à part, un aventurier dont la quête artistique presque militante impressionne et questionne notre rapport à la musique. Chez Marc, l’art permet certainement de s’extraire du réel, de créer des lieux hors du monde, à la fois refuge contre l’injustice et les dérives de nos sociétés modernes, mais aussi lieu de résistance contre la folie dévastatrice de l’humanité.
Capable de chanter l’amour comme peu ont déjà osé le faire, sur « Venerable Trees », Marc Morvan nous offre avec ce titre l’une des plus belles parenthèses de l’année, un moment salutaire à la fois léger et intense. Quelques secondes auparavant, l’électricité avait pris le dessus sur cet étonnant instrumental à la tension presque « slintienne ». À l’image de l’ensemble du tracklisting, voilà deux évidentes manifestations de la catharsis qui cimente les compositions de notre esthète. Qu’elle soit sonore ou propre au langage, elles lui permettent d’atteindre un bonheur simple qui fait de ce disque un objet courageux qui nous tend les bras sans retenue.
Loin des calculs savants, « The Offshore Pirate » est ainsi indéniablement le fruit d’une expérience, autant humaine que musicale. En s’entourant à nouveau des précieux Ben Jarry et Nicolas Brusq, Marc Morvan a donné vie à ce qui aurait pu rester des idées, des envies, des brouillons. Toute la force de ce disque réside certainement dans cette fascinante capacité à saisir la beauté et la fragilité de l’instant, pour nous livrer sur un plateau cet enchaînement brillant de dix trésors complices.
« The Offshore Pirate » de Marc Morvan, disponible le 02 decembre 2016 chez Les disques de l’Artisan / Microcultures / Differ-Ant.
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