[LP] Manchester Orchestra – A Black Mile to the Surface

Savoir se réinventer, sans cesse, tout en conservant une identité qui ne demande qu’à jaillir d’expériences nouvelles et bénéfiques ; c’est le voyage auquel nous invite Manchester Orchestra avec ce nouvel album entre mélancolie et extase, sensibilité et intimité.

Difficile de ne pas sombrer dans la facilité ou les mauvaises habitudes lorsqu’il s’agit de rock indépendant. L’auteur de ces lignes se gardera bien de citer quelques exemples de groupes ou artistes n’offrant, disque après disque, aucune nouveauté ou tentative de se démarquer de leurs productions habituelles (même si certains lui viennent rapidement à l’esprit), démarche aussi ennuyeuse pour l’auditeur autant que pour le critique. Concernant Manchester Orchestra, il était pourtant difficile de savoir à quoi s’attendre ; en effet, les derniers faits d’armes de ses deux têtes pensantes, Andy Hull et Robert McDowell, remontent à la bande originale du délirant et émouvant « Swiss Army Man » en 2015 ; l’un des films les plus décalés et surprenants de ces dix dernières années, mais dont la musique reste un monument de sobriété et de textures parfaites pour illustrer les aventures vécues par ses deux anti-héros. Retour aux affaires, ou plutôt désir d’aller encore plus loin, avec « A Black Mile to the Surface » ; un disque osé, risqué diront certains, mais qui a le mérite de se démarquer du tout-venant habituel par ses efforts inépuisables pour offrir des chansons immédiatement captivantes et touchant au sublime. Un virage artistique imprévisible, mais qui fait d’ores et déjà l’unanimité.

La richesse mélodique transpirant de chaque pore de l’épiderme externe de « A Black Mile to the Surface » est palpable, visible à l’œil nu ; comme si le projet d’Atlanta interprétait ses compositions face à nous, dans une forêt éclairée par l’heure magique, ce moment précieux entre le coucher du soleil et la nuit la plus profonde. Ainsi, « The Maze » et « The Alien » délivrent une douceur acoustique à couper le souffle, sans jamais tomber dans des travers larmoyants ou n’ayant pas leur place au sein de cette errance mystique et hors du temps. À l’inverse, le sublime « The Moth », instant rock éthéré et transperçant, de même que « Lead, SD », lâchent la bride et nous font d’autant mieux quitter la route, fréquenter les sous-bois et nous perdre, à la recherche d’une lumière salvatrice, d’un feu de camp qui réchauffera nos corps caressés par une brume quasi-paralysante (« The Sunshine », aux élans pop impromptus et inédits). Dépassant ses dons déjà innés pour la sensation et le ressenti, Manchester Orchestra succombe aux charmes de la noirceur et du plaisir dans un seul et même opus, entremêlant la perfection esthétique et l’intériorisation avec une imparable dextérité (le magnifique « The Wolf »), tout en n’oubliant pas de laisser une empreinte indélébile dans le fabuleux et transcendant « The Silence » final, libération ultime d’une œuvre aux mille visages.

Ce qui promettait d’être un labyrinthe indie rock complexe devient rapidement l’évocation de scènes d’une vie quotidienne vue à travers le prisme dessiné par des musiciens qui n’ont jamais autant maîtrisé leur art. De ce fait, « A Black Mile to the Surface », plutôt que de nous entraîner vers les profondeurs, nous aide à remonter et respirer, à contempler le ciel nocturne alors que nos corps se laissent porter par les courants puissants et magiques des poèmes sonores de Manchester Orchestra. Une réussite totale et merveilleuse, un paradis artificiel qui jaillit dans nos veines et nos esprits.

« A Black Mile to the Surface » de Manchester Orchestra est disponible depuis le 28 juillet 2017 chez Loma Vista Recordings / Concord Music Group.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.