[Live] Main Square Festival 2018

Sur le papier, l’affiche de ce Main Square Festival 2018 était fort prometteuse. Le festival qui se déroule depuis quelques années à la Citadelle d’Arras aura-t-il était à la hauteur de nos attentes ? Entre ambiance de coupe du monde de foot, têtes d’affiches, découvertes et panorama de l’industrie musicale actuelle, on vous dit tout de cette 14e édition !

crédit : David Tabary

Ambiance de coupe du monde au Main Square Festival

Dur dur pour un festival de donner son coup d’envoi pile au moment où l’équipe de France de football se lance dans un quart de finale contre l’Uruguay en coupe du monde. La buvette du club de foot d’Arras, bien connue des festivaliers, l’a bien compris en installant un grand écran dans une cour pleine à craquer alors même que les portes du Main Square Festival 2018 sont ouvertes. De ce fait, difficile pour Baasta, l’un des groupes régionaux ayant gagné le tremplin organisé par la ville d’Arras, de trouver son public. On a aussi un peu mal au cœur pour un groupe mythique comme The Breeders qui a la lourde de tâche de lancer le festival sur la Main Stage alors que le match n’est pas tout à fait fini. La setlist choisie par Kim Deal, pas vraiment taillée pour les grandes scènes, n’aide pas à mettre le festival sur les rails. Malgré tout, le méga hit « Cannonball » galvanisera en deux secondes l’ensemble des présents.

C’est sur le concert de Pvris que l’ambiance monte d’un cran avec un public qui entonne la Marseillaise en attendant l’arrivée du groupe. Mais c’est surtout les musiciens de Damian Marley qui ont dû avoir du mal à comprendre ce qu’il se passait alors qu’ils étaient en train de faire un rapide soundcheck sur la grande scène. Un homme dans le public, soulevé par ses amis, se retourne face au reste de la foule qui arrive désormais en masse et entame une séance de clapping, suivie de peu par une nouvelle Marseillaise.

Ambiance Main Square Festival © David Tabary
crédit : David Tabary

Les heures passent, et après la France, c’est à la Belgique de jouer son quart de finale. On a déjà croisé de nombreux Belges avec leur drapeau national dessiné sur la joue. Et voilà Roméo Elvis qui monte sur la Greenroom portant le maillot de la Belgique, félicite et chambre à la fois les Français, tient le public au courant du score du match, quitte à changer les paroles de ses chansons pour indiquer « 2-0 pour la Belgique ».

L’ambiance « coupe du monde » retombe un peu le samedi, même si quelques artistes anglais manifestent leur soutient à leur équipe, comme Wolf Alice qui affiche un message « It’s coming home ». Quant au dimanche, les Belges de Girls in Hawaii affichent des petits drapeaux sur tous leurs instruments et équipements. Jamais avares d’anecdotes et d’échanges avec le public, ils évoqueront la demi-finale France-Belgique à venir et évoqueront leur certitude de voir la Belgique l’emporter, déclenchant – ça faisait longtemps – une énième Marseillaise. Au final, on aura tout de même assister à des échanges fraternels sympathiques entre Belges et Français se donnant rendez-vous dans des bars ou ailleurs pour regarder le match ensemble.


Les têtes d’affiche au rendez-vous, mais pas seulement

Qu’est-ce qu’une tête d’affiche ? Vous avez deux heures… Si on prend la notion de « tête d’affiche » au sens littéral du terme, les 3 premiers noms en haut de l’affiche de ce Main Square Festival 2018 étaient Queens of The Stone Age, Depeche Mode et Jamiroquai, 3 groupes, un par jour sur la Main Stage aux alentours de 21h-22h, au moment où le soleil se couche derrière la Citadelle d’Arras.

On se souvient d’années où certaines têtes d’affiche avaient plus ou moins déçu. Coucou The Black Keys, coucou Muse, et même… Coucou Queens of The Stone Age, lors de leur passage par le même festival en 2011. Autant dire qu’on attendait Josh Homme et sa bande au tournant pour le premier soir de l’édition 2018. Mais cette fois le ton est donné d’entrée de jeu avec une entrée en scène du groupe sur « Regular John », soit le premier morceau de leur premier album, sorti il y a 20 ans. Avec ensuite une setlist faisant la part belle aux titres plus catchy du dernier album Villains (« Feet Don’t Fail Me », « The Way You Used To Do » ou « Domesticated Animals ») et aux morceaux d’anthologie de l’album « Songs For The Deaf » (« You Think I Ain’t Worth a Dollar, but I Feel Like a Millionaire », « No One Knows », « Song For The Dead »), les morceaux sont résolument taillés pur une grande scène de festival, et Homme et sa troupe s’en donnent à coeur joie. Si l’ami Josh est toujours aussi peu bavard, la plupart des musiciens auront droit à leur solo instrumental, et la déco sur scène faite de tubes lumineux flexibles se fera allégrement punchée tout au long du set (c’est toujours mieux que de shooter des appareils photo) devant une Main Stage certes pas blindée de monde mais tout de même bourrée de fans ravis !

Le samedi, même topo avec Depeche Mode, mais cette fois dans une citadelle pleine à craquer (la journée affichait complet depuis très longtemps avec l’annonce de la venue de Dave Gahan, Andrew Fletcher et Martin Gore). Là aussi le groupe sort la setlist de festival, en n’accordant qu’une toute petite place au dernier album (deux titres seulement seront joués : « Going Backwards » en ouverture et « Cover Me », le single « Where’s The Revolution » étant subtilement remplacé par la diffusion du titre « Revolution » des Beatles avant l’entrée sur scène du groupe), et même aucune aux deux albums précédents. Tout ça pour mieux se focaliser sur une sélection de leurs plus grands titres, allant des plus évidents (« Personal Jesus », « Enjoy The Silence », « It’s No Good » ou « Walking In My Shoes ») à une sélection plus pointue de vieux morceaux des années 80 comme « Stripped », « Everything Counts » ou surtout, surtout, une version de « Somebody » de toute beauté permettant à Martin Gore de filer la chair de poule à 40.000 festivaliers pris aux tripes par la beauté sensible de son interprétation. En jouant en dernier rappel un « Just Can’t Get Enough » fédérateur qui transcende plusieurs générations, Depeche Mode enfonce le clou et réaffirme si quelqu’un avait le moindre doute qu’ils font partie des monstres sacrés avec qui il faudra encore compter quelques temps (le plus longtemps possible on espère).

La démonstration est sans doute beaucoup moins nette le dimanche avec le concert de Jamiroquai. Si la veille Dave Gahan nous avait démontré que les années n’avaient presque pas de prise sur lui, ce n’est pas vraiment le cas de Jay Kay, leader pourtant si charismatique du groupe. A bientôt 50 ans, l’homme a grossi et montre vite des signes d’essoufflement lorsqu’il esquisse ces pas de danse qui lui sont si caractéristiques. Il faut néanmoins reconnaître à l’homme son implication totale pour la réussite du show. D’une part il passera les 2 ou 3 premiers morceaux à aller discrètement auprès de chaque musicien pour vérifier le son et faire des signes à la régie pour corriger ce qui n’allait pas. Véritable chef d’orchestre d’une formation assez large (percussionniste en plus du batteur, choristes), l’homme dont on connaît la passion pour les couvre-chefs singulier, passera aussi son temps à jouer avec un casque futuriste dont il commande les lumières et l’ouverture avec des gants connectés pour un effet « Return of The Space Cowboy » très réussi.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, la véritable tête d’affiche de ce dimanche 8 juillet 2018 était bien Orelsan. Si son nom était en plus petit sur l’affiche, comment passer à côté de la ferveur populaire déclenchée par celui qui avait la lourde tâche de refermer cette édition 2018 du Main Square Festival ? Alors qu’on attend le concert et que l’équipe s’active sur scène pour régler les lumières, on s’étonne de la relative pauvreté du dispositif scénique. Mais en fait, on comprendra très vite que c’est parce que c’est Orelsan qui porte à bout de bras tout le show. Alors que le public scande « Aurélien, une chanson ! Aurélien, une chanson ! » en référence aux paroles de « Défaite de famille », les lumières s’éteignent et la silhouette de l’homme apparaît alors qu’il entame San, titre d’ouverture de son dernier album « La fête est finie ». Puis déboule en bord de scène pour lancer « Basique », avant de s’arrêter pour rappeler au public qu’il n’a pas les bases et qu’il est trop con. A la fin du 4ème titre, Zone, il remercie la foule et dit au revoir, les lumières s’éteignent… Mais se rallument vite, Orelsan confiant qu’il n’a jamais eu le courage de mener la blague à son terme et de vraiment se barrer. Tout fonctionne, du masque lumineux (décidément après Jamiroquai…) qu’il revêt sur Raelsan au titre Notes Pour Trop Tard aux paroles si fortes pour ne pas dire émouvantes. Le mot de la fin reviendra à Orelsan : la fête est finie.

Au-delà des « grosses machines », on aura vu heureusement beaucoup d’autres belles choses lors de ce Main Square Festival 2018. Petite liste non exhaustive de satisfécits :

Gojira : grosse claque du festival avec un énorme mur de son, une puissance scénique à toute épreuve, des canons à confettis, des lance-flammes, et sur le titre « Flying Whales », l’envoi de baleines gonflables dans un public ravi de les faire voler « pour de vrai ».

Wolf Alice et Tom Walker : les deux artistes qui auront démontré avoir le plus de coffre.

Oscar & The Wolf : un show millimétré dans une tenue de scène oversize pas du tout choisie à la légère. Tout était pensé pour être au service de l’artiste. Programmé juste avant Depeche Mode, il y avait peut-être moins de monde sur la Greenroom que lors de son dernier passage, pourtant les vrais fans étaient bien là et nombreux.

Youngr : traditionnellement le public a un peu de mal à arriver au 3e jour du festival. Pas cette fois. Il y avait déjà beaucoup de monde devant la Main Stage au démarrage de la journée avec ce jeune Anglais malin, passant l’essentiel de son set à sampler des hits (comme le Feel Good Inc. de Gorillaz) en y rajoutant ses propres rythmiques à la batterie, aux percus ou à la basse. Bienveillant avec la foule, souriant, il ne lui aura fallu que quelques secondes pour faire danser toute la Main Stage. Un véritable phénomène !

Girls in Hawaii : pas évident pour ce groupe de déployer son univers en plein après-midi de festival, alors qu’il joue d’ombres, de lumières et de lasers en salle. Mais, dans une certaine forme de dépouillement, c’est toujours la gentillesse de Lionel et Antoine qui gagne à la fin.

Portugal. The Man : qui aurait pu parier il y a 12 ans lorsque ce groupe a débuté qu’il ferait un jour un tel carton avec « Feel It Still » et se retrouverait sur une telle scène en Europe. Personne probablement. Et pourtant ça fonctionne parfaitement. Un vrai beau set de rock indé devant un public captivé.

Justice : sans doute le set le plus visuel de tout le festival. Voir autant d’amplis sans une seule guitare peut surprendre, mais le duo aura fait tellement de bruit sur la Greenroom qu’Orelsan aura dû attendre la fin avant de pouvoir entrer en scène.

Et puis, en plus d’Orelsan, on citera Nekfeu, Roméo Elvis et IAM qui auront prouvé si cela était encore nécessaire que c’est le rap qui fait le plus bouger les foules en France en 2018.


Un grand portrait de l’industrie musicale actuelle

Les détracteurs du Main Square Festival ont souvent mis en avant une programmation sans grande cohérence qui ne serait rien d’autre qu’un grand mélange commercial. Certes le Main Square ne sera jamais un festival à but non lucratif, mais force aura été de constater cette année que la grande diversité de la programmation est devenu un des atouts majeurs du festival et sûrement pas un défaut. Aussi étonnant que cela puisse paraître, on aura fait le constat qu’il était devenu très simple et cohérent de passer du reggae engagé de Damian Marley sur la Main Stage au rap lunaire de Roméo Elvis sur la Greenroom pour mieux revenir au metal « pyrotechnique » des excellents Gojira.

Plu dingue encore (on n’aurait jamais cru écrire ça), mais on aura pris un grand plaisir à tracer le fil d’Ariane du dimanche avec le cheminement Youngr > The Hunna > Loic Nottet > Tom Walker > Nothing But Thieves > Girls In Hawaii > IAM > Portugal. The Man > Jamiroquai > Justice > Orelsan. Pop, rock, rap, variété, folk, world, électro. De la performance, de la chanson à texte, des voix, de la poésie, de la belle et bonne musique, et de la musique commerciale ou « très grand public » aussi, ce Main Square Festival 2018 se sera attaché tout le week-end à nous dessiner le paysage musical mondial actuel, avec un peu de ce qu’il a de meilleur, et sans doute pas ce qu’il a de pire. Sans far ni concession, juste un état de fait ou plutôt un état de l’art de la musique écoutée par toute une génération de festivaliers. Et rien que pour ça, on pense avoir assisté à une des toutes meilleures éditions du festival depuis qu’il est porté par Live Nation.


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David Tabary

photographe de concert basé à Lille, rédacteur et blogueur à mes heures