[Interview] Mademoiselle K

Rien n’arrête Mademoiselle K. Très inspirée, elle aspire dans la langue de Shakespeare à conquérir le monde. Coûte que coûte et même si celui-ci lui coûte son livret A. Il faut dire que Katerine a toujours eu du mal à économiser. Et surtout pas sur scène. À quelques reflets de CD de la sortie de son nouvel album « Hungry Dirty Baby », elle nous parle en français de son nouvel album en anglais qui sort le 19 janvier. Et que nous avons déjà kiffé et mis en onglet dans les meilleurs albums à venir en 2015. Restez à l’écoute…

crédit : Nicolas Nithart
crédit : Nicolas Nithart
  • Bonjour Katerine, on a eu grand plaisir à écouter ton nouvel album, d’autant plus assidûment que William, de ton agence de promo, nous avait envoyé (chose rare) les paroles. On le trouve à la fois joyeux et triste, presque bipolaire ; il sent le vécu, voire le survécu. Dans quel état d’esprit étais-tu précisément lors de son écriture ?

Avant toute chose, j’avais un désir très fort d’écrire et de chanter en anglais et, même avant tout cela, de partir déjà après la fin de la précédente tournée. La première destination a été New York, j’y suis allée trois mois et je me suis inscrite dans une école de langues pour perfectionner mon anglais. J’ai très peu touché à la musique pendant cette période, mais j’ai quand même acheté une basse et j’ai composé le dernier morceau de l’album (« Someday »). Ensuite, on a eu une date hors tournée dans une pièce arrière de l’église St-Eustache ; j’y ai retrouvé Peter, mon guitariste de toujours avec qui on a fait l’album et qui est mon complice depuis le début. Lors de ce concert, je m’étais dit que ça serait bien si on faisait un truc à trois, à part, bien différent. Je voulais tenter avec un autre batteur et Peter m’a conseillé Colin Russeil. J’ai adoré ce concert, il m’a donné des ailes, j’ai vraiment kiffé cette nouvelle formule. Mon nouveau manager actuellement, qui ne l’était pas à l’époque, m’a dit que c’était super en trio, que ça changeait beaucoup et il m’a encouragé à continuer. Il y a donc eu deux déclics : l’anglais et ce mode à trois, car on avait toujours joué à quatre. Ça devenait plus évident que jamais avec Peter à la guitare et moi à la basse qui fait des lignes mélodiques et lui qui est très bon harmonisateur et coloriste. Mon manager m’a poussé à faire une prétournée en trio. Cela a été un vrai combat, tout d’abord à mon niveau pour sortir de la « routine » de Mademoiselle K, l’artiste pop-rock qui chante en français et ce changement musical avec moi à la basse, qui est devenue une vraie passion. J’ai eu un coup de foudre à Brooklyn pour une vieille Telecaster, le même modèle que Sting, comme quand j’ai eu ma première Jazzmaster qui reste ma guitare fétiche. Tout cela au final est né d’un désir fort, un peu comme une histoire d’amour ; les fondements étaient ainsi posés !

crédit : Iris Della Roca et Lou Levy
crédit : Iris Della Roca et Lou Levy

Suite à cela, je suis repartie à Londres plusieurs mois pour plus spécifiquement travailler l’accent, car même si j’étais « fluid », je me rendais compte qu’il y avait plein de prononciations qu’il fallait encore bosser. Et puis là-bas j’ai découvert de nouvelles expressions, de nouvelles images. J’ai adoré, car cela a nourri mon imaginaire. J’ai eu aussi le complexe de l’émigrant, j’ai découvert ce qu’avait vécu ma mère en arrivant en France, ce truc où dans une conversation tu parles et puis au quinzième mot que tu dis, quand tu vois la personne en face de toi qui perd patience, tu réapprends à te battre , tu es dans une situation d’inconfort, dans une tension permanente et cela réactive tout le processus créatif derrière ; car quand tu y arrives, cela te rend hyper fier, tu sais que tu n’auras plus jamais à chercher ce mot… Avec l’anglais, c’était comme si j’apprenais de nouvelles gammes, avec une nouvelle façon de chanter. Là, j’ai compris pourquoi la pop était en anglais et pourquoi les comédies musicales venaient d’Angleterre ou même des US. Ce petit pays offre des possibilités avec la langue, qui porte vraiment la mélodie… Tous les matins, j’ai encore des exercices d’expression, il y a dix voyelles de plus qu’en français… C’est un peu comme pour le vietnamien où, pour le même mot, il y a des hauteurs différentes qui entraînent des significations différentes. Cela ne va pas jusque là en anglais, mais par contre tu apprends des sonorités de plus, donc il devient évident que cela influe de façon plus ou moins consciente sur ta manière de chanter.

  • Du coup, ne penses-tu pas que le public français qui écoute tes chansons en français et qui est extrêmement attentif aux paroles qui sont très fortes et très punch, avec peut-être, je dis bien peut-être, la musique un peu en retrait, risque de se détourner des paroles pour tes chansons en anglais et se focaliser sur les mélodies ? Alors que toi, justement, tu mènes un combat farouche avec l’anglais ?

Ma démarche reste la même que ça soit en français ou en anglais et c’est ça qui est important. Il y a longtemps, j’avais une « ghost track » en anglais. Là maintenant, c’est l’inverse. (sourire)
Je sais qu’à chaque fois mon processus d’écriture vient du parlé. J’avais ce fantasme de l’anglais, et comme je sais que pour écrire il faut que je pense dans la langue, je ne pouvais pas rester en France. C’est pourquoi je suis partie en Angleterre. La première chose dans une chanson est la part de naturel, c’est l’instinct de ce que tu écris ; je ne pouvais donc qu’être là-bas, avec tous les jours uniquement des gens qui parlent en anglais pour qu’un jour je me réveille et commence à écrire dans la langue. Pour revenir au public, je suis très demandeuse ; j’espère déjà tout simplement pouvoir me faire mieux comprendre universellement. Déjà, lors de précédents concerts à Londres par exemple, j’étais contente de l’écoute portée à mes chansons en français qui était d’abord la musique, même s’ils ne comprenaient pas les paroles. En tout cas, mes chansons les prenaient. Il y a deux ans, on est allés en Amérique du Sud, on a fait une tournée d’un mois là-bas, ça nous a vraiment marqués. À chaque fois que je revenais de l’étranger, j’avais cette idée qu’il fallait qu’ils me comprennent tous ! Même si tout le monde ne maîtrise pas l’anglais, il y a quand même plus de chances qu’avec seulement des titres en français. Et là pour les Français, ils ne comprennent pas tout de suite ce que je raconte et ils y arrivent par la musique. Ce n’est pas grave, cela change, c’est une autre manière de m’écouter.

  • Justement, quand équilibres-tu maintenant tes concerts en France entre titres en français et en anglais ?

Ben, je fais comme quand je suis à l’étranger, je parle avant chaque morceau et j’explique un peu de quoi c’est fait ou comment j’ai écrit la chanson. Ça reste très fluide. Je ne peux pas me rendre compte de la part de gens qui m’ont « lâchée » ou qui ne me suivent pas sur cet album. Mais je crois que ceux qui sont venus lors de cette prétournée ont compris le lien que je voulais garder avec eux, que chanter en anglais ne veut pas dire : « Ouais, j’emmerde la France et les Français ». C’est très intéressant de voir jusqu’où va le débat… Quand je suis revenue de l’étranger, le fait d’être allée voir ailleurs m’a beaucoup rechargée. Je recommande à tout le monde de partir voyager… et j’aime beaucoup la France. Mais cela m’a permis de voir ses défauts, ceux des Français, sans dire : « Vous, vous êtes les Français et moi je ne le suis pas ». Car j’ai vu aussi mes propres défauts. Avec tous les clichés qu’il y a autour… Je me souviens m’être dit à la fin du troisième album : je préfère aller jouer au fin fond de la Sibérie devant vingt personnes plutôt que de recommencer comme avant, comme toujours, refaire les mêmes salles, de la même manière, ce qui allait se passer si je faisais un quatrième album en français… Avec l’écriture en anglais, je n’avais pas ressenti cette connexion avec le public et la scène depuis le premier album. Ça a démarré il y a deux ans avec les premiers titres dont « Hungry Dirty Baby ». C’était très brut et méchant même si ce n’était pas encore développé, il n’y avait pas l’histoire. C’était très régressif : « J’ai envie de toi, j’ai envie de te baiser ». À la base le morceau faisait moins de deux minutes. Les gens adoraient et comprenaient le « Fuck You » qui revient dans la chanson. La version finale s’est faite en France et je me suis dit que cela faisait du bien, un morceau qui se lâche, là où je suis bien.
J’ai aussi besoin de morceaux comme celui-là.

  • C’est aussi ton côté rebelle quelque part.

Plus que rebelle… C’est cru, ça met le doigt sur le truc. C’est dit bien haut et bien fort ; le genre de truc que tu dis à haute voix dans une pièce, où tout le monde s’arrête et tourne la tête.

  • Quelque chose de revendiqué.

C’est exactement ça. Il y a aussi ce côté où tu es enfant et que tu dis un truc interdit… Les gens disent : « Oh non, il ne faut pas dire ça… ». Un plaisir de gamin… Dire un mot tabou ou se mettre le doigt dans le nez, pour ne pas dire ailleurs (rires)… c’est très basique, c’est dire les mots interdits, ils sont là pour une raison et ils sont bons aussi. Pour des raisons précises. Mais il ne faut pas non plus en abuser. Donc cet album-là, cela fait quatre ans que je suis dessus, la chanson la plus ancienne est « Someday », qui est la dernière sur l’album et qui était la première composée. Et ce qui est génial, comme avec le premier album, c’est d’avoir pu tester les chansons en concert. En général, au bout de cinq titres, tu veux faire l’album, tu dis à la maison de disque : « Bon alors les mecs, vous faites quoi ? », tu attends.

  • Et cette fois-ci, en combien de temps s’est fait l’album ?

Tout en sachant que j’ai tout fait toute seule, à commencer par les maquettes, cela a pris justement quatre ans de l’écriture à la production. Ça a pris le temps de mûrir, il n’y avait pas eu cela depuis « Ça me vexe ». Je me souviens des premiers concerts où on avait le cul entre deux chaises, cela n’était pas encore ça, les arrangements étaient vraiment de base par rapport à ce qu’on avait beaucoup travaillé et peaufiné pour l’album – quelque chose que les gens ne réalisent pas toujours et c’est tant mieux. Ils prennent les chansons et ils les aiment ou pas. Ce n’est pas parce que ce sont des chansons rock qu’elles ne sont pas travaillées.
On avait enregistré quatre titres avec un premier réal en septembre 2013, en août 2014 avec Richard Woodcraft, on en a fait sept et j’ai refait la voix sur « Someday » parce que j’avais un peu changé les textes.

  • Et donc il y a un morceau caché…

Il s’appelle « C’est la mort » et on l’avait enregistré au studio sans réal’, sans rien. On l’a gardé garage. Il était hors de question de le refaire, il fallait vraiment qu’il reste comme ça, hors de tout code. Mon ingé son s’arrachait les cheveux et me disait : « Mais tu ne vas pas la garder comme ça ! ». C’était au moment de « Jouer dehors », juste avant que je ne passe à l’anglais.

crédit : Iris Della Roca et Lou Levy
crédit : Iris Della Roca et Lou Levy
  • Cette histoire d’anglais a finalement pris beaucoup le pas sur notre discussion …

Ben oui, parce que ça a été le départ de tout ! (rire)

  • Justement, quand tu as dit « Fuck » à ta maison de disque, quel a été LE déclencheur ?

Cela a été avant tout le désir de l’anglais. En même temps, je savais que je ne voulais pas retomber dans la même routine. Il y a avait peut-être une certaine lassitude avec la maison de disque avec laquelle on avait déjà fait trois albums. Comme des gens qui se connaissent vachement, il y a des cycles comme cela de cinq ou six ans où on se lasse… Je les avais un peu préparés, même moi quand je finis un album, je sais un peu où je vais. Je leur faisais écouter régulièrement des maquettes en anglais, ce n’est pas arrivé du jour au lendemain avec une réunion où je leur aurais dit : « Voilà, c’est l’album ! ».
À l’époque, il y a avait quatre-cinq titres, un leur plaisait beaucoup… Ce qui me casse les couilles, c’est leur côté blasé, ils écoutent cinquante albums par jour. C’est chiant parce que toi tu viens avec ta vie sur la table, avec un truc que tu as vécu, que tu as survécu comme tu disais au début de notre discussion. Au sens propre comme au figuré. Et eux, ils te disent : « Ah ouais, c’est cool, il y a un titre bien ». Comme je vivais depuis quatre ans sur mes économies, je leur ai demandé de m’aider. J’avais rencontré le réal’ pour enregistrer. À l’époque, EMI est devenu Warner, ils ont changé de boss, le directeur marketing m’a appelé de la part du boss en disant que c’était une erreur fondamentale que de chanter en anglais par rapport au public. Qu’il fallait la moitié voir les trois quarts en français, sinon ils ne produisaient pas !
J’ai dit OK. Moi qui suis très pragmatique, je leur ai demandé de m’envoyer un courrier. Je ne m’attendais pas à ça. Mais ça a été l’accélérateur pour enregistrer, le temps de s’organiser, car il y a un an quand c’est arrivé, j’étais absolument toute seule.

Mademoiselle K - Hungry Dirty Baby
Mademoiselle K – Hungry Dirty Baby
  • Du coup, c’est un peu comme une renaissance.

C’est super kiffant ! C’est aussi ce qui justifie le titre « Hungry Dirty Baby », la chanson emblématique de l’album. Une chanson très forte, que j’aime beaucoup jouer en concert. Très forte aussi dans le texte, qui a eu tout un parcours. Au début, j’avais le riff punk, qui m’obsédait, avec des paroles débiles. On en a fait une vraie chanson, le peaufinage final s’est fait cet été pendant l’enregistrement et c’est aussi génial quand ce genre de chose arrive sur une chanson. À la base simpliste, mais qui a subi des transformations dans le texte et les arrangements. Avec un côté pas « anti-single », mais très fort. Même s’il la chanson n’a pas la structure d’un single, je pense qu’elle pourrait passer à la radio.

  • Il y en a plein d’autres de l’album qui pourraient être diffusées sur les ondes…

Ah, là c’est un autre débat (rires) ! En tout cas, j’aime bien ce côté sale et dur à une époque où tout doit être très clean. On est entourés de beaucoup de propreté, c’est l’occasion de mettre sa grosse tache !

« Hungry Dirty Baby » de Mademoiselle K, sortie le 19 janvier 2015 chez Kravache.


Retrouvez Mademoiselle K sur :
Site officielFacebook

Photo of author

Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans