[Interview] Mad Foxes

Enragé et passionné, le second album de Mad Foxes l’est assurément. Envoyant une mégadose d’énergie sur chacun de ses titres, le trio nantais dévoilait fin avril une œuvre urgente et frontale, avec beaucoup de générosité. « Ashamed » c’est onze titres fonceurs et frénétiques, où punk et garage, penchant vers le hardcore, font ici bon ménage. Un concentré hautement explosif, dont l’énergie et la conviction des premiers singles leur ont valu les honneurs d’une session pour KEXP et Jimmy Fallon, excusez du peu. Validés depuis par le « boss » Jean-Louis Brossard qui les attend de pied ferme à l’Ubu le 2 décembre dans le cadre des Trans, l’année 2021 semble particulièrement sourire à ces renards futés et bien moins insanes qu’ils ne le laissent paraître. Lucas, Élie et Arnaud reviennent pour notre plus grand plaisir sur l’aventure aussi improbable que satisfaisante de leur nouvel album et de la tournée qui l’accompagne à plein régime.

crédit : Yohan Gérard
  • Mad Foxes, c’est une histoire qui dure. Je me souviens avoir chroniqué votre tout premier EP, « 5th Floor Tape » en 2016. C’est finalement « Ashamed », votre second album qui vous a propulsé cette année parmi les groupes rock qui comptent en France, avec un très bel accueil tant côté public que pro, et qui ne se dément plus depuis sa sortie. Lucas, Élie et Arnaud, comment avez-vous vécu cette sortie d’album puis cette percée médiatique internationale particulièrement inédite pour un groupe français, rock qui plus est ?

Tout d’abord merci Fred, indiemusic est le tout premier média à nous avoir chroniqués il y a maintenant quelques années et c’est un plaisir de se retrouver là à répondre à tes questions, après que quelques litrons d’eau aient coulés sous les ponts !
Aux dernières étapes de production de l’album, le contexte sanitaire ne permet pas encore de faire des concerts. Aussi, nous étions impatients de pouvoir faire écouter nos nouveaux morceaux à ceux qui ont besoin de musique. On l’a ressenti nous-mêmes ; être privés de concert n’a fait qu’accroitre notre envie d’écouter de la musique et j’ai l’impression que ça a été l’occasion pour beaucoup de gens d’aller digger des groupes dont ils n’avaient pas encore connaissance. Ça a probablement été un petit coup de pouce pour nous au moment de la sortie d’« Ashamed », les gens étaient attentifs, on a senti qu’on était attendu par ceux qui nous connaissaient déjà. Bon aussi, on avait la sensation d’avoir bien travaillé, même si évidemment c’est toujours possible de mieux faire. On ressortait de plusieurs mois archi intenses au cours desquelles on avait essayé de rentrer en profondeur dans les dynamiques, intensions, couleurs et propos de nos morceaux afin d’en sortir les meilleures versions possibles. Au moment où l’album sort, le boulot de notre turbo attachée de presse Catherine Rué (These Days) a super bien marché et on a eu des retours vraiment cools. Au fond, c’est évidemment ce qu’un groupe espère toujours, mais on n’est jamais sûr de l’accueil qui va être fait à un objet musical sur lequel on a perdu toute objectivité à force d’avoir le nez dedans. Quant à la suite et les passages outre-Atlantique, c’est un peu devenu surréaliste hein. Intégrer la programmation musicale de douze émissions sur la radio KEXP a pour nous été une forme de consécration que nos cerveaux ont eu beaucoup de mal à processer, car on est absolument fans de KEXP et de leurs sessions live (on a même eu le droit d’en faire une pour eux), sur lesquelles nos groupes préférés passent. Je te laisse donc imaginer comment on n’a rien compris quand on a reçu un mail de Jimmy Fallon par la suite !

  • Avant de parler plus en détail de l’incroyable aventure américaine de votre titre « Crystal Glass », revenons d’abord sur les origines de cet album « Ashamed ». En me replongeant dans votre discographie, j’ai ressenti une évolution assez nette en le comparant à votre premier LP « Desert Island Wish » en 2018, qui était davantage porté par une vibe stoner ou heavy rock. Si le jeu est toujours colossalement musclé, on sent une montée en tension plus immédiate, plus pressante dans votre manière de délivrer les morceaux. Comment avez-vous opéré ce virage stylistique ?

On peut imaginer que l’EP était un bébé, le premier album un ado de 14 ans avec ses premiers boutons, le deuxième album est probablement le jeune adulte qui s’aperçoit qu’il a des choses à dire. On s’est rendu compte en composant « Ashamed » que nos influences de bases étaient toujours là, mais que les influences qui modèlent la pâte brute avaient un peu changé. Aussi, on a fait un petit paquet de concerts avec le premier album mine de rien, et jouer toujours plus affine notre manière de jouer, nos goûts, et établit des directions pour la suite. Quand on s’est mis à composer le deuxième album, on s’est rendu compte qu’il y avait des outils « obvious » du rock dont on voulait limiter l’usage, et on a préféré la tension de quelques notes à la violence d’un riff. Et surtout on s’est très très fort attardés sur les intentions et intensités, ce qui donne probablement des clés pour faire sentir « l’urgence » de nos morceaux. Et puis on a essayé de saupoudrer tout ça d’un peu plus « d’élégance », à l’image notamment de Fontaines D.C. qui sait mettre une tension extrême sans jamais que le morceau explose.

crédit : Yohan Gérard
  • De par ses influences post punk et garage, on saisit immédiatement l’importance capitale qu’a joué la nouvelle scène rock anglaise, à l’instar de Shame, Idles, Fontaines D.C. (vous en parliez justement) ou Slaves dans une autre mesure, sur la direction artistique de votre album. Et finalement vous rejoignez également le discours parfois très conscientisé, sans forcément être politique, de ces mêmes groupes. Vous abordez en effet sur ce disque des sujets qui vont au fond des choses, que ce soit la question des genres sur « Gender Eraser », la toxicité masculine sur « Ashamed » ou l’anxiété sociale sur « The Cheapest Friend ». Comment avez-vous abordé l’écriture de ces différents titres ?

Concernant l’écriture, on s’est aussi aperçus que notre musique pouvait être un biais pour exprimer des choses. Ce qui était le cas aussi dans le premier album, mais a été plus poussé dans l’écriture du deuxième. Le fait est qu’on discute beaucoup tous les trois, de tout, et on tombe très souvent d’accord sur tous les questionnements à se poser, les choses qu’on ne comprend pas forcément, les principes qui demandent une déconstruction. Nous sommes trois mecs cis et blancs (c’est un constat et pas une revendication), qui essayons de porter attention à ce qu’il se passe et ce qu’il est en train de se jouer autour de nous, en prenant conscience de nos privilèges au sein d’une société qui est bien loin de mettre tout le monde à l’aise. L’idée ici n’est pas d’être porte-parole de qui que ce soit, mais par contre de se mouiller un peu et d’accepter le fait de remettre en question pas mal de choses. Chaque titre de l’album a une résonance pour chacun de nous, parfois parce qu’il fait partie de l’histoire d’un des membres et que ç’a été discuté, parfois parce que tout le monde se reconnaît dedans et reconnaît les valeurs qu’on a envie de faire valoir.

  • Cet album, vous avez choisi de le sortir en indépendant, en montant votre propre label : El Muchacho Records. Il y a forcément une anecdote marrante derrière ce nom de label, non ? Et plus sérieusement, qu’est-ce qui a motivé la création de votre propre structure ?

Concernant le label El Muchacho, son nom a été créé parce que Lucas a pris LV2 allemand au lycée, et qu’en espagnol, à part Rafael Nadal ; il ne savait pas dire grand-chose d’autre que « El Muchacho ». Et ce qui a motivé sa création, c’est simplement le fait qu’on en avait besoin. Nous n’avions pas trouvé de label qui souhaitait nous accompagner sur ce projet (sans doute que la crise sanitaire n’a pas aidé), nous avons donc décidé de créer notre propre label. Dans l’idée qu’il soit utile pour nous en premier sur ce projet, et pourquoi pas de pouvoir accueillir d’autres projets par la suite !

  • Depuis la sortie de votre album, vous avez eu l’occasion de vous frotter maintes fois au contact du public. Comment avez-vous préparé ce passage du studio à la scène, car j’imagine que vous avez dû procéder à quelques ajustements pour restituer au mieux l’énergie du disque sans perdre de la richesse des arrangements en studio ?

Étonnamment, le passage du studio à la scène n’a pas été trop brutal. Je crois qu’on a bien conscience dans le groupe qu’un album n’est finalement pas le même « projet artistique » qu’un concert. Dans le sens où on a facilement accepté l’idée que les morceaux n’aient pas exactement la même gueule sur scène que sur l’album, notamment au niveau de tout le travail d’effet, doublages de guitare, l’ajout des percussions qui est induit par la post production de l’enregistrement de l’album.
Par contre, il a quand même fallu se poser, par le biais de résidences avec notre formidable ingé Paul-son, et trouver quelques petites astuces pour ne pas s’éloigner trop des sons d’album. Réfléchir aux pédales à utiliser en live pour coller au mieux, ajuster le travail de voix, etc. Mais surtout, ce sur quoi on table vraiment, c’est l’intensité, la conviction et l’intention avec laquelle on a envie de proposer nos morceaux. Et au final, c’est un peu la même énergie dont on s’est servis pour enregistrer chacun des morceaux.

  • On doit parler de Christophe Hogommat qui a fourni un travail assez dingue lors de l’enregistrement et le mixage de votre album, tant l’essence de votre musique a été incroyablement restituée ici, avec toute sa fulgurance, sa rage et son énergie. Comment se sont déroulées les sessions d’enregistrement à ses côtés, sachant que vous aviez déjà fait appel à ses services pour votre premier album ?

Enregistrer un album avec Christophe, c’est formidable pour diverses raisons : il est pas très fort à FIFA, il aime les bons repas et le bon vin, et surtout c’est quelqu’un d’extrêmement moteur. Avant même l’enregistrement de l’album en octobre 2020, nous avions passé une semaine dans son studio pendant l’été afin de préproder nos morceaux. Ce moment est très intéressant, car c’est la première fois qu’on peut avoir du recul et une réelle écoute de nos compositions, et c’est indispensable, car c’est le moment où l’on commence à donner ensemble les vraies directions dans le choix des sonorités et couleurs aux morceaux. Christophe Hogommat, après une carrière avortée en CFA2 avec l’équipe D du FC Dijon, s’illustre tellement mieux dans la musique, car il est force de propositions. Sans déconner, il est très à l’écoute, nous avons beaucoup d’influences en commun et il est mordu de travail. Le fait d’avoir travaillé avec lui sur le premier album nous a permis, à nous d’être totalement à l’aise dans le processus, et à lui de connaître nos fonctionnements, ce que nous sommes en mesure de jouer techniquement et de savoir décrypter nos élucubrations. Donc, après la phase de préproduction, nous avions déjà une belle vision d’ensemble de la forme que nous voulions donner à l’album. Sa force à lui sur les prises en tant que telles, c’est d’être justement exigeant, toujours ouvert à une idée qu’elle vienne de nous ou de lui-même, et d’accorder la même importance à n’importe quelle partie de l’enregistrement. La qualité de son défaut est d’être un peu « perfectionniste » sur certains points, ce qui fait qu’à la fin du mixage, nous n’avions pas vraiment la sensation d’avoir omis quelque chose.

  • On l’a rapidement évoqué au début de cette entrevue : il s’est passé quelque chose d’assez incroyable pour vous, car le 8 mai dernier, soit une semaine après la sortie de votre album, Jimmy Fallon a lancé en direct du plateau du Tonight Show la session de votre titre « Crystal Glass ». Comment avez-vous réagi en apprenant la nouvelle que l’un des présentateurs les plus célèbres de la planète avait flashé sur votre morceau (qu’il avait repéré en écoutant KEXP) ? Aussi, comment avez-vous abordé l’enregistrement de cette session ? Vous deviez être à la fois surexcités et morts de trouille, j’imagine !

Comme on peut s’en douter, lorsqu’on a reçu la proposition de Jimmy Fallon, on a commencé par croire que c’était une arnaque pour nous soutirer de l’argent ou une grande blague. Très honnêtement, c’est tellement démesuré que c’est dur de se rendre compte, même aujourd’hui.
Et finalement, l’enregistrement de cette prise live s’est fait assez tranquillement. Hormis le fait qu’il a fallu réagir très vite, car la production du Tonight Show avait laissé un laps de temps très réduit pour tourner et envoyer la session, le jour de tournage a ressemblé à n’importe quel jour de tournage de session live. On a très rapidement réuni notre dream team avec Christophe Hogommat au son et Yohan Gérard à la vidéo, on est allé se poser dans un lieu qu’on connaît déjà par cœur dans notre région natale des Mauges, ce qui a au final créé une journée assez « normale ». Mais dans un coin de nos têtes, on savait qu’on faisait ça pour quelque chose qu’on n’avait jamais imaginé faire un jour !Le jour de la diffusion, là pour le coup c’était une autre histoire, c’était totalement surréaliste. Entre une bonne partie de nos connaissances qui ont cru au méga hoax, une autre qui était fière de nous, et nous qui avions toujours du mal à réaliser, c’était un drôle de moment !

  • Parler du son, c’est une chose, mais on aurait tort de ne pas évoquer la pochette de votre disque, particulièrement audacieuse tant elle confronte de façon évidente, mais ironiquement anachronique deux mondes : celui de la surconsommation (ou de la surabondance) à travers cette photographie d’une allée de produits surgelés à un couple échappé d’une peinture néo-classique et dont l’un des personnages qui nous fixe semble comme interdit face à cette situation. Pouvez-vous me parler de cette pochette, de votre démarche créative autour de ce collage et sa résonnance avec le nom de votre disque : « Ashamed » (honteux en français) ?

Tu as bien résumé l’idée générale. On a été très interpellé par cette œuvre de l’Ukrainien Alexey Kondakov dès le moment où on l’a vue. Premièrement on voit deux femmes, dont une semble blasée et n’est pas spécialement à sa place dans ce rayon de surgelés. Il y a quelque chose de l’ordre du désespoir dans leurs attitudes qui laisse s’ouvrir une porte à la déconstruction de l’image de la femme dans la société. Aussi, elles sont dans un décor qui laisse effectivement entrevoir le consumérisme de notre époque, avec le supermarché, emblème d’un modèle de surconsommation qui, nous le pensons, a montré ses limites il y a déjà longtemps. L’attitude des deux femmes semble indiquer qu’elles ne sont pas en phase avec l’endroit dans lequel elles se trouvent. Chacun est finalement libre d’interpréter cette œuvre comme il l’entend, il n’y a pas une lecture unique. De notre côté, nous avons été séduits par l’idée de base d’Alexey Kondakov d’introduire des personnages de peintures dites « classiques » dans des photographies modernes, créant ainsi un contraste entre des personnages figés et une société qui va parfois trop vite.

crédit : Alexey Kondakov
  • L’évènement à venir, c’est votre participation aux prochaines Trans Musicales le 2 décembre à l’Ubu. Est-ce que cette date a une signification particulière pour vous ?

La date aux Trans Musicales a effectivement une saveur un peu particulière pour nous dans le sens où on a l’impression de l’avoir gagnée. Jean-Louis Brossard, le boss des Trans himself nous a donné l’occasion, à lui et son équipe, de présenter quelques morceaux lors d’une résidence à l’Ubu lors de laquelle il a accepté de venir nous rencontrer. Lucas est allé, au culot, lui porter notre vinyle directement dans le bureau des Trans. On a conscience que les Trans est un beau rendez-vous de la musique et du rock et on est extrêmement heureux de pouvoir en intégrer la programmation. Qui plus est pour une soirée avec des groupes qu’on surkiffe, W!zard et Bad Pelicans ! Et pour le coup, se faire valider par Jimmy Fallon c’est une chose, mais c’est vachement plus concret et palpable de se faire valider par Jean-Louis Brossard !

  • La suite pour Mad Foxes, c’est quoi ? Une tournée française aussi remplie qu’en 2021, une tournée américaine et un passage chez KEXP pour l’occasion ? Un retour en studio ? On veut tout savoir !

La suite pour Mad Foxes, c’est de continuer à tourner ; notre intégration dans la belle boîte qu’est À Gauche de la Lune nous fait redoubler d’énergie, Alexis (Another Moonrise), notre bookeur avec qui on continue de collaborer ne compte pas nous laisser tranquilles non plus ! D’ici la fin de l’année 2021, on termine avec plaisir la tournée des quelque 25 dates prévues, il va s’agir ensuite d’en caler de nouvelles, puis aussi de penser à se remettre à composer sérieusement ! On espère faire une belle saison des festivals en 2022 et rencontrer encore plus de public et d’organisateurs, qui nous ont accueillis avec tellement de gentillesse et de ferveur jusqu’à maintenant. Pourvu que ça continue !

« Ashamed » de Mad Foxes est disponible depuis le 30 avril 2021 chez El Muchacho Records.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques