[Création #36] Mad Foxes

Depuis 2011, indiemusic aura vu apparaître de nouveaux talents, avec un premier single, un premier EP… et pour certains prendre leur envol, évoluer et devenir de véritables phénomènes. C’est indéniablement le cas du trio nantais Mad Foxes que nous avons vu grandir et affirmer sa place en tant que référence incontournable du paysage rock hexagonal et européen ; incarnation parfaite du dynamisme indie rock qui sévit depuis quelque temps en France. Bien sûr, parmi ses exploits, beaucoup retiennent son passage chez Jimmy Fallon, ce qui pourrait sans le vouloir tendre à réduire Mad Foxes à un phénomène de foire, groupe d’un seul tube, véritable banger post-punk noisy le plus irrésistible de ces dernières années, le galvanisant « Crystal Glass ». Mais les trois complices, réunis sous la bannière folle du renard, combinent à merveille et comme peu d’autres dans le monde du rock bruyant et agité, énergie dévastatrice, créativité musicale, profondeur sensible et intelligence littéraire. C’était déjà flagrant sur l’indispensable « Ashamed » sorti en 2021 ; c’est aujourd’hui, d’une évidence magistrale avec ce nouvel album fraîchement sorti en 2024, « Inner Battles », formidable expression radicale et poétique du temps présent, qui squatte notre platine depuis des semaines sans faiblir. De quoi ouvrir avec un plaisir non dissimulé les portes de la création, pour un nouveau numéro du format, parmi ceux dont nous sommes le plus fiers.

crédit : Marine Bouteiller

Fin novembre 2022, on termine notre tournée pour l’album précédent, il est grand temps de se remettre à composer en vue d’un troisième album. Après le turbo-partage et les maxi-rencontres (tournée oblige), quel plaisir de retrouver aussi l’intimité des phases de composition ! Des moments lors desquels on peut s’isoler tous les trois pendant quelques jours, organiser notre temps de travail et nos soirées de rigolade comme on le souhaite.

Le retour à la composition se montre toutefois plus impressionnant que les dernières fois. Beaucoup d’idées sont enregistrées, beaucoup de morceaux sont testés, pas mal de morceaux sont jetés. Maintenant que l’album est sorti, on peut dire a posteriori qu’on a finalement souvent eu la chance d’être unanimes sur la ligne artistique et stylistique : l’impression qu’on est naturellement restés proches de l’identité musicale du groupe, mais en s’autorisant à laisser fleurir bon nombre d’idées qui ouvrent davantage la palette de couleurs sombres du projet.

crédit : Elie Paquereau

Soyons honnêtes, si nous avions conscience d’être plutôt prolifiques dans la création, il faut reconnaître que la variable « doute » avait changé. Avec les différentes compos naissait aussi le « est-ce que c’est assez bien ? ». Une variable qui n’a finalement pas toujours été simple à gérer, dans une période où chacun cherche déjà à être en phase avec soi-même.

On a la chance que ce projet soit aussi un véritable espace de discussion pour nous trois, parfois même de confession. Car oui, comme beaaaucoup de gens, on est sujets aux angoisses, aux phases de tristesse, au stress, aux doutes. On en a beaucoup parlé entre nous, non pas que ça résolve les problèmes à chaque fois, mais on s’est au moins créé un espace où on peut vivre ces problématiques « confortablement », sans jugement (aka safe zone).

crédit : Elie Paquereau

C’est donc assez naturellement que les textes écrits par Lucas se sont orientés vers ces thématiques-là. Il nous a semblé important de les présenter de manière décomplexée, peut-être pour proposer l’idée que la détresse psychologique ne doit pas être un tabou. Aller mieux, c’est parfois accepter qu’on aille un peu mal, et qu’on n’est pas obligé·e de rester tout·e seul·e avec ça.

Il s’est avéré que mettre ces thématiques-là en musique est un excellent exutoire. On a fait ce qu’on avait déjà fait, des morceaux à l’énergie plutôt positive qui abordent pourtant des thèmes assez sérieux (« Sudden, Pt. 1 & 2 »).

Mais on s’est aussi autorisé à entrer davantage dans des énergies plus sombres, c’est un peu là la nouveauté dans cet album. Des morceaux empruntant un peu plus de dissonances que de mélodies, le larsen plus que de riffs (« Cold Water Swim »).

Et au milieu de tout ça est née l’envie de rendre tout ça un peu 80’s, un drôle de mélange entre Bowie et METZ, Talking Heads et Fontaines D.C. C’est surtout, dans l’approche du son, que ça s’est joué, à part « Jungle Knives » dont la composition est volontairement kitsch as fuck, il a fallu trouver un équilibre entre l’identité musicale préalable du groupe, le sombre plus noisy, et la couleur 80’s/90’s. Christophe Hogommat, qui a déjà enregistré nos précédents ébats musicaux, a bien capté où on voulait aller. Mine de rien, collaborer plusieurs fois a largement contribué à l’efficacité de travail : il nous connaît, on se connaît, on est total à l’aise avec lui. Les phases de préproduction ont été précieuses, car il a, de nouveau, été force de proposition ; venant agrémenter nos nouveaux titres en ajustant les curseurs du son, des placements du chant, des propositions mélodiques des instruments.

crédit : Elie Paquereau

On a voulu pour cet album différencier le travail de mix. On a donc confié le bébé à Joris Saïdani (batteur de Birds in Row, groupe qu’on a bien écouté). Lui aussi a pris soin de capter avec beaucoup de justesse ce pour quoi on venait le chercher, et s’est acharné à rendre incisivement pop la matière rock qu’on lui apportait. On est très heureux du travail qu’il a fait, c’est quelqu’un de résolument passionné par ce qu’il fait : sa compréhension et sensibilité musicale ont permis d’emmener nos morceaux encore plus loin que ce qu’on avait imaginé. En faisant tendre encore plus l’album vers les couleurs 80’s.

crédit : Marine Bouteiller

Ça a pas mal déterminé la charte graphique qui allait s’enjoindre à l’album. La photo de la pochette, faite maison par Élie, devait rendre compte du fameux équilibre kitsch-sombre-introspectif. Marine Bouteiller qui s’est chargée de l’artwork de l’album et des différents supports de communication s’est attelée à créer un mood efficace et épuré, saupoudré de « rétro ». On a été très attachés à l’idée de créer des moods ; les clips ont été le moyen de montrer qu’on voulait faire les choses avec sérieux.

Nous avons décidé de clipper « Cold Water Swim » en premier, un morceau court dans lequel il nous semblait retrouver le triptyque 80’s / un peu de nous / sombre. Theo Sanchez s’est chargé (avec brio selon nous) de mettre tout ça en image, en créant ce court-métrage percutant en noir et blanc.

Pour le deuxième clip, nous avons eu envie de faire un clip animé. Pensée créatrice, le génial Georges Milliet déposait dans nos DM la semaine suivante une proposition. Étudiant en école d’animation à Paris, il a animé avec grand talent l’idée un peu farfelue qu’on a eue d’une société de chats qui se casse la margoulette, pour illustrer le morceau « Hurricanes », qui aborde l’éco-anxiété et le déni écologique. Mille mercis à lui pour sa détermination.

L’enjeu après toutes ces étapes, c’est évidemment de rendre l’album présentable en live. On a eu conscience qu’après la tournée de l’album précédent, il allait falloir montrer quelque chose d’autre, de plus solide ! On a donc passé beaucoup de temps en résidence pour transitionner nos morceaux du studio vers du live, beaucoup de travail pour notre Paul Bodet préféré, l’ingé son qui nous accompagne depuis maintenant plus de 5 ans.

Joris Saidaini et Christophe Le Flohic nous ont également beaucoup aidés, nous invitant à un réel travail aux sources, à rendre notre son de plateau diablement organique. Ils ont aussi été de formidables conseillers dans la progression de notre jeu, sur le travail de dynamiques et de cohérences rythmiques et musicales.

crédit : Yohan Gérard

Et par-dessus tout ça, nous avons la chance de travailler avec Nicolas Riot, qui a imaginé la scénographie et monté un show lumière dont on est encore une fois trop contents. La nouveauté dans notre live, c’est d’avoir des tableaux et les fameux « moods » qui, on espère, collent aux morceaux et à leur thème. En tout cas, Nicolas a lui aussi été très à l’écoute de nos envies pour rendre un travail cohérent et qui tabasse (on n’est pas objectifs).

On s’aperçoit parfois avec surprise que l’équipe qui gravite autour de nous s’est considérablement agrandie, et qu’on s’est constitué de solides partenaires et amis. Catherine Rué (These Days) fait du super travail pour nous rendre visibles, elle qui avait déjà réussi ce qu’on pensait impossible en glissant ses petits papiers à KEXP, ouvrant la voie à l’improbable Jimmy Fallon.

Vincent Hejduk, dernier humain à avoir intégré l’équipe s’est saisi, avec un entrain communicatif, de la mission de développer encore le projet. En interne d’abord, et auprès de toute personne qui voudra bien l’écouter ensuite !

Il va maintenant s’agir de montrer tout ça sur scène, nos producteurs (À Gauche de la Lune) sont en train de préparer le terrain. Le premier match, c’est à domicile le 1er mars pour la release party au Ferrailleur à Nantes avec les doux·ce·s Johnnie Carwash.
Le match retour, à l’extérieur, se fera à Paris, à La Maroquinerie, le 26 mars, avec nos ami·e·s de PÉNICHE !


Peu importe, que la musique de Mad Foxes, évoque aussi bien le post-punk le plus tonitruant, la noise la plus jubilatoire, le grunge le plus émouvant…  Il n’y a pas besoin de ces référents culturels, et encore moins de passer par des comparaisons anglaises et américaines pour comprendre que la musique des Nantais se joue autre part. Dans un monde de plus en plus complexe, de plus en plus violent, de plus en plus absurde : comment et où trouver les ressorts pour ne pas sombrer dans la folie, dans le désespoir, la dépression ? À sa manière, avec humilité, sagesse, sincérité, le trio rappelle ô combien le rock est aussi cette bataille intérieure, qui finit par jaillir et alimenter ce puissant catalyseur d’évasion et de catharsis, refus incantatoire d’abdiquer, manière viscérale au sens propre comme au figuré de crier la vie.  Écouter « Inner Battles » n’a rien d’anodin, tant l’expérience peut nous amener à danser les yeux fermés (« Jungle Knives »), à pleurer (« Flashes »), à évacuer le trop plein (« The Other Hand »), à rêver (« YNBF »), à relever les manches, à tendre le poing et à regarder le réel en face (« Cold Water Swim ») ; autant de merveilleuses raisons de ne manquer sous aucun prétexte la tournée qui a débuté il y a quelques jours et passera sans doute pas loin de chez vous.

crédit : Marine Bouteiller

« Inner Battles » de Mad Foxes est disponible depuis le 2 février 2024 chez El Muchacho Records.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.