[Interview] Lux’s Dream

Projet lyonnais à mille lieues de la production électronique et acoustique actuelle, Lux’s Dream ne cesse de nous enchanter et de nous retourner les méninges au fil de ses créations. Tête pensante de ce phénomène hors-norme, Sacha Navarro-Mendez, issue d’une formation classique qu’elle s’est décidée à mettre de côté pour se concentrer sur ses expérimentations savantes et profondes, se démarque de ses contemporains par son inépuisable envie de bouleverser les codes et d’explorer les nouvelles terres harmoniques qui lui manquaient dans un carcan pédagogique trop étroit. Nous avons pu échanger avec elle sur la genèse de Lux’s Dream, ses origines, ses ambitions, mais surtout sa constante remise en question de la composition en tant qu’élément mêlant intrinsèquement l’instrument à l’humain. Une vision incomparable et exemplaire, que beaucoup se doivent de découvrir de toute urgence, car motivant tous ceux qui profiteront de son humilité et de sa sincérité.

  • Bonjour Sacha et merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Tout d’abord, peux-tu nous présenter ton parcours en tant que musicienne, les études que tu as suivies et la manière dont ce cursus t’a menée à créer Lux’s Dream ?

Je viens du classique. J’ai étudié le piano classique dans un premier temps et passé des diplômes, puis je me suis orientée vers l’accompagnement pianistique. J’ai fait de l’accompagnement vocal, toujours dans le milieu classique, avec un peu de chanson, ainsi que de l’accompagnement de danse, récemment, ce qui consiste à improviser de la musique pour les classes de danss, aussi bien pour des petits enfants que des adultes qui apprennent à danser. Je suis aussi passée par la musique contemporaine. Au milieu de tout ce domaine purement scolaire, j’ai fait beaucoup de rencontres. Et, même si j’ai fait mes études dans le milieu classique, j’ai surtout traîné mes guêtres dans les lieux de musiques actuelles, pour des concerts et grâce aux gens que je fréquente ou ai fréquentés. De ce fait, il y a un eu un moment pendant lequel je me suis sentie un peu coupée en deux ; mais, au final, je me suis orientée de plus en plus vers la création, parce que c’était mon truc. Et, à l’heure actuelle, je suis très entourée par un réseaux d’amis et de collègues qui sont à l’écoute de ce que je fais et qui me reconnaissent en tant qu’artiste. Tout ça commence à s’harmoniser. C’est un cercle qui se crée autour du désir de créer avec mes propres influences et mes propres goûts, mes propres choix ; parce que, finalement, faire de la création, c’est aller vers quelque chose d’unique et se trouver soi-même, ce que je n’ai pas vraiment pu faire dans le cadre de mes études. Le milieu dans lequel j’ai appris n’était pas vraiment ouvert d’esprit ; je n’étais pas amenée à m’exprimer de manière personnelle et identifiable, malheureusement.

  • Ce sont des études de musicologie que tu as suivies, ou des études en Conservatoire ?

En Conservatoire. J’ai aussi une Licence de Musicologie, mais je l’ai plutôt passée comme ça, sans grande conviction ! (rires) Ceci dit, c’était également l’occasion de rencontrer des gens, d’apprendre de nouvelles choses ; mais j’ai plutôt passé pas mal de temps dans les conservatoires. À la suite de ça, j’ai travaillé dans celui de Lyon jusqu’au mois de septembre 2016, en tant qu’accompagnatrice de danse comme je te le disais, et j’ai beaucoup étudié et évolué dans ce milieu-là. J’ai mis aussi un peu de temps à m’en éloigner, parce que ça a contribué à faire ce que je suis devenu aujourd’hui ; mais c’est vrai que ce ne sont pas des lieux dans lesquels je me sens tout-à-fait comme un poisson dans l’eau.

  • Qu’est-ce qui te dérangeait dans le contexte assez fermé du Conservatoire ? Est-ce parce que cela t’empêchait d’exprimer ta propre créativité, ou était-ce trop scolaire ? Il est clair que, quand on écoute ta musique, ça n’a rien à voir avec ce qui est enseigné dans ce milieu, notamment au niveau des harmonies, dont on reparlera plus tard. Lux’s Dream est-il né d’une frustration que tu pouvais ressentir par rapport à ce carcan assez normalisé et planifié ?

Oui, bien sûr : il y a un côté très entouré, un cadre imposé. Même si moi aussi, quand je travaille, je cadre pas mal les choses : je me fixe des horaires, je me donne des deadlines… Je fonctionne avec un cadre, mais que j’ai choisi, seule. Ce que j’ai un peu mal vécu au Conservatoire, c’est le non-choix, le sentiment d’être un pion et de devoir obéir à ce que des supérieurs hiérarchiques ou professeurs m’imposaient, sans qu’il se posent la question de savoir si ce qu’ils proposaient avait du sens pour moi, ou pas. Bien sûr, c’est ce qui se passe la plupart du temps, dans de nombreux lieux d’études, ou même à l’école. J’en profite pour ouvrir une petit parenthèse : j’ai aussi fait des études en pédagogie, et cela m’a fait beaucoup avancer sur la capacité de chacun à pouvoir se permettre et, éventuellement, permettre aux gens àauxquels on transmet quelque chose de se construire leur identité personnelle et leur propre cadre, comme je le disais tout-à-l’heure. Tout ça pour dire que c’est ce que je n’ai pas très bien vécu : le cadre imposé, ainsi que le fait que personne ne se pose la question de savoir ce qui fait sens, ce qui te plaît, ce que tu as envie de faire, quel est ton parcours, où tu vas et ou tu veux aller. Je pense que c’est ce qui fait défaut dans la plupart des établissements d’enseignement aujourd’hui, et ça m’a donné une sorte de fascination pour les musiciens autodidactes : le fait que les gens cherchent, par eux-mêmes, leur propre chemin, alors que tu es toi-même bloqué(e) dans quelque chose de très scolaire et encadré. C’était assez fascinant, pour moi. Finalement, je suis devenue moi-même autodidacte, en apprenant à utiliser de nouvelles machines, des synthés, des boîtes à rythmes ; et ça me va très bien ! (rires)

  • Quand et comment as-tu commencé à t’intéresser à l’alliance de ton support naturel, à savoir piano/voix, avec les machines ? Était-ce pour t’accorder une liberté supplémentaire, pour fouiller au niveau des sons et des expérimentations ?

Il y a plusieurs choses, en fait. Dans la musique classique, j’aime beaucoup le format voix/piano ; le fait que des compositeurs, comme Schubert, aient travaillé sur le texte poétique et la façon de le mettre en musique. C’est un aspect qui me plaît beaucoup ; mon processus créatif est, d’ailleurs, pas mal basé là-dessus. D’autre part, je suis aussi très attirée par le travail du son ; même avec un simple piano, j’ai beaucoup appris sur l’exploration sonore, à travers la recherche que l’on peut trouver dans la musique contemporaine, ou grâce à des compositeurs tels que Debussy ou Ravel. Ce sont des formats dans lesquels tu vas vraiment travailler une patte sonore, un son de piano qui ira bien au-delà du simple fait d’exécuter une partition. Il doit y avoir un travail non seulement sur l’écoute, mais surtout sur la façon de manipuler ton instrument que j’aime beaucoup et que je retrouve dans la possibilité de jouer avec des synthétiseurs analogiques. Dans cette configuration, tu peux créer un univers sonore, faire écho à des émotions. Pour te citer un exemple un peu connu, à savoir, « La Mer » de Debussy, c’est une sorte de tableau impressionniste sur lequel l’intention artistique est de décrire un univers, d’éveiller des émotions. C’est un peu ça que je recherche dans l’utilisation des machines et, notamment, dans la synthèse sonore : comment sculpter mes sons pour qu’ils fassent émotionnellement écho en moi ? Et, par extension, comment ceux-ci peuvent-ils également faire écho chez l’auditeur ? C’est un mélange de tout ce que j’aime, de ce qui m’attire dans le processus de création musicale et de recherche sonore.

  • Dès le premier titre de « First Flakes », « Hollow Shell », on constate que, dans ta musique, il y a autant une part liée à la mélodie qu’une autre dédiée à l’expérimentation. Tes titres ne sont jamais, pour l’auditeur, ce à quoi il peut ou doit s’attendre ; tu ne favorises pas un enchaînement d’accords classiques sur lesquels ta voix viendrait se poser naturellement. Dans ton cas, on a l’impression que tu superposes trois couches différentes : les sonorités de piano vont recevoir une mélodie vocale qui ne sera pas forcément celle qui s’adapterait le mieux, puis vont naître des arrangements eux aussi en décalage, mais finalement parfaitement complémentaires. Comment travailles-tu la structure de tes morceaux ? Cet aspect est flagrant sur « Hollow Shell », s’apaise un peu sur « Bedroom » et explose dans « No ». Comment définirais-tu cette superposition de couches mélodiques s’imbriquant naturellement alors que, au départ, elles apparaissent comme dissemblables ?

Je pense beaucoup les choses de manière orchestrale. C’est ce qui est à l’origine de la manière dont je construis mes arrangements. À la base, je compose toujours de la même façon : j’ai d’abord un texte, puis je vais chercher un univers harmonique et rythmique juste en acoustique, au piano. Mais, en même temps, il y a toujours, de façon sous-tendue, la manière, l’univers que j’ai envie de construire, quels types de sonorités je souhaite faire intervenir. En faisant tout ça, j’arrive à un mélange assez conséquent, puis je vois les choses de façon orchestrale : comment vais-je utiliser tel accord, par exemple ? J’ai fait des études d’accompagnement classique et, dans ce contexte, tu fais beaucoup de réduction d’orchestre. J’ai donc l’habitude de passer d’une partition orchestrale à une œuvre pour piano. Avec Lux’s Dream, c’est comme si j’avais fait le chemin inverse : quand j’interprète des œuvres pour piano, il se passe énormément de choses dans ma tête. C’est-à-dire que je vais tout orchestrer. Je vais me dire : « À ce moment-là, je jouerais bien du violoncelle » ou « Là, je vais ajouter une clarinette », etc. Je pense que c’est également ce qui se produit dès lors que je compose et que je prépare mes arrangements : au moment même où je vais trouver des idées sur le piano, une orchestration commence déjà à se constituer dans mon esprit. Ce à quoi tu peux ajouter, surtout dans mes premiers enregistrements, un tâtonnement avec le synthé, une part d’aléatoire  ; je commençais à peine la synthèse sonore, à cette époque. Au final, il s’agit surtout d’expérimentations diverses, tout en gardant ma formation classique et mes réflexes d’arrangeuse, parce que ce sont des méthodes que j’ai apprises et dont je me sers : je fais attention à ce que les différents éléments harmoniques ne soient pas dans les mêmes fréquences sonores, à ce que les sonorités ne se mangent pas entre elles. La cohérence se fait dans la pensée globale ; pas forcément sur la forme, au départ, même si j’essaie maintenant de l’atteindre. Mais je garde toujours ça en tête pour l’orchestration et les arrangements, car c’est inhérent à l’univers que tu développes, à ce que l’auditeur peut percevoir au niveau de l’atmosphère, de l’ambiance. Ceci dit, pourrais-tu m’expliquer ce que tu veux dire par « des choses inattendues » ?

  • Bien sûr ! En règle générale, lorsque l’auditeur écoute un format piano/voix/machines, il s’attend à découvrir une musique plus directe, plus simple et respectant certains codes, en termes d’harmonisation de l’ensemble. Or, dans toutes tes compositions, on ressent ce besoin constant d’aller plus loin, de créer la surprise. Les enchaînements d’accords sont absolument imprévisibles, par exemple. Tu crées des mouvements, dans tes morceaux, qui sont continuellement surprenants et inédits, et c’est ce qui contribue à bâtir, de mon point de vue, ta propre identité.

C’est vrai que, sur mes premières compositions, il y avait une volonté d’aller à contre-courant par rapport à mon éducation dans la musique classique. J’ai fait des années d’études d’écriture et d’harmonie, et ça m’a pas mal bloquée, dans un premier temps, pour composer ; car, à chaque fois, j’ai tellement travaillé d’enchaînements harmoniques au piano que c’est devenu un réflexe. Le premier disque a donc été une thérapie pour aller à l’inverse de ces automatismes. Je me suis efforcée de prendre le contrepied d’une méthode qui m’était devenue naturelle, mais qui ne me plaisait pas. En même temps, c’est également l’une des raisons pour lesquelles la musique m’intéresse : elle doit être une surprise, et c’est ainsi que je l’aime.

  • Justement, a-t-il été difficile, pour toi, de passer d’une formation classique à une interprétation et une composition beaucoup plus pensées, réfléchies et complexes au niveau musical et artistique ?

C’était surtout une forme de libération. Je ne voulais pas m’inscrire dans le schéma « passer d’un accord de dominante à un accord tonique » ! J’en ai pris conscience, et j’ai finalement réussi à avoir la possibilité de concilier les deux. Parallèlement, jusqu’à l’année dernière, j’étais accompagnatrice de danse classique et, pour que les danseurs comprennent, tu dois jouer des carrures de huit en finissant la première par une demie-cadence, puis la seconde par une cadence parfaite, au risque de les perdre ! Justement, ce que j’ai apprécié, c’était de faire ça dans un contexte particulier, puis autre chose de mon côté. J’ai réussi à dissocier les deux, à comprendre que j’étais capable de m’épanouir à travers chacun de ces supports. Ce n’est pas du tout une souffrance ; c’est juste que, maintenant, je trouve un peu ennuyeux de faire des trucs très préparés en carrures de huit, mais ça ne me pose aucun problème dans ma façon de composer.

  • Sur le titre « Bedroom », il m’a semblé distinguer des influences blues. Est-ce un style musical que tu as travaillé et grâce auquel tu aurais appris certains procédés, dans ton parcours musical ?

J’ai en effet pris quelques cours de piano jazz et j’ai pas mal étudié l’harmonie jazz. Or, le concept de la musique que l’on apprend en jazz m’a plu ; j’aime changer de modes dans tous les sens. Donc, effectivement, il y a quelques influences et, mélodiquement, dans quelques accords – il me semble que je vois desquels tu veux parler ! -, il y a effectivement des sonorités blues. Mélodiquement aussi, il y a des choses qui viennent de mes études en harmonie jazz, mais qui ne s’entendent pas comme du jazz ; parce que le jazz, esthétiquement, au niveau de la pulse, de la façon dont il se danse et dont il balance, n’a jamais été mon truc. Mais on trouve, dedans, de très bons éléments et beaucoup de choses à prendre ; simplement, au niveau de mon esthétique, ce n’est pas ce que je cherche, et je n’ai pas vraiment de facilités dans ce domaine.

  • Je concevais plus le blues dans son aspect de changements d’accords et d’improvisations, de même que d’harmonies sortant de l’ordinaire, en mettant des notes apparemment dissonantes dans les solos, mais finalement essentielles ; mais je vois ce que tu veux dire.

Il y a eu une période pendant laquelle j’ai écouté beaucoup de jazz, mais plutôt moderne. Et, alors que je n’avais pris aucun cours auparavant, je me suis lancée et j’ai tenté de rejouer certaine éléments de cette musique, de refaire des arrangements à ma manière. Finalement, les gens ont fini par me dire que c’était n’importe quoi, qu’il fallait que je reprenne des standards, que je fasse du blues… Et ça m’a saoulée ! (rires)

  • Un petit conseil : n’écoute jamais les puristes ! (rires)

Voilà ! C’est un peu dommage, finalement. Surtout que j’aime beaucoup Henri Texier, notamment l’album qu’il a fait avec l’Azur Quartet, « An Indian’s Week ». Ce sont vraiment des interprétations où, rythmiquement, ce n’est pas du tout stylistique, jazzmen stream ou blues : il y a de belles harmoniques et, mélodiquement, c’est très simple. Il y a la petite note qui pique là où il faut et c’est ce que j’aime, ce qui explique pourquoi j’en ai pas mal écouté pendant une certaine période.

  • En décembre 2016, tu as sorti « Démo ». Commençons donc par une question toute simple : pourquoi as-tu choisi de reprendre le titre « Street Spirit (Fade Out) » de Radiohead, sachant que tu as devant toi l’un des plus grand fans du groupe sur cette Terre ? (rires)

Eh bien, pareil ici ! (rires) Mais je croyais pourtant l’avoir effacée… Tu l’as trouvée sur Bandcamp ?

  • Oui !

Bon, tant pis, c’est comme ça ! (rires)

  • Mais je dois t’avouer que ta reprise est vraiment excellente. Justement, parce que tu n’as pas, purement et simplement, essayé de copier la version originale mais, au contraire, adapté ton style à un morceau de Radiohead qui ne fait pas partie de ceux qui s’y prêtaient le plus, comme par exemple sur « Kid A » ou d’autres albums plus expérimentaux. Un peu comme si tu avais pris « Pablo Honey » ou « The Bends » en essayant de pousser les choses plus loin dans l’appropriation des mélodies. Donc, pourquoi « Street Spirit (Fade Out) » en particulier ?

Déjà, parce que j’adore cette chanson. Je suis, moi aussi, une énorme fan de Radiohead ; il me paraissait donc évident, pour une reprise, de choisir l’un de leurs morceaux. Je crois que, si j’avais choisi une chanson d’un album plus récent, j’aurais trouvé un peu plus facile de faire quelque chose qui me ressemble et qui soit interprété différemment, car leurs pistes sont déjà super bien arrangées dès le départ. Ça aurait donc été très compliqué. Je me suis dit qu’il valait mieux partir sur quelque chose de totalement différent au niveau de l’arrangement, du moins de ce que je fais actuellement. À la base, « Street Spirit (Fade Out) » me fascine et me parle, musicalement et dans le texte, sans que je puisse réellement exprimer ce qu’il veut dire ; malgré ça, il fait profondément écho en moi. J’ai une sorte de fascination pour lui. Il est revenu, de manière significative, à plusieurs périodes de ma vie ; c’est vraiment qu’il me touche et résonne en moi. Du coup, il a été très facile de le choisir. J’ai fait cette reprise en un ou deux jours ; je la connaissais déjà par cœur, puis j’ai fait tous mes arrangements. C’est facile, en fait.

  • Peut-être, mais il t’a quand même fallu du temps pour que tu reprennes les mélodies et les détails à ta manière, afin de réinterpréter avec ton style plutôt que de manière passive et trop fidèle, non ?

C’était une évidence, tant sur le texte qu’harmoniquement. Et elle est aussi arrivée à un moment, à la fin de l’été dernier (en 2016, NDLR), où Lux’s Dream commençait tout juste à exister. Je venais de finir de composer « Type 4 », qui a été très compliquée à enregistrer et composer, et j’avais besoin de changer, quelque temps, d’orientation : faire quelque chose de plus évident en me prenant beaucoup moins la tête. J’ai alors travaillé sur cette reprise , pour laquelle il n’y a finalement que trois accords. Je trouvais ça génial, et ça a aussi été un tremplin pour composer les morceaux suivants, en me disant « Mais on peut faire ces choses magnifiques en étant beaucoup plus simple dans la forme et en se prenant moins la tête sur le fait de vouloir absolument prendre le contrepied », comme on le disait tout-à-l’heure. Je voulais aller vers quelque chose de plus simple, plus pop, et c’était une première étape pour y parvenir.

  • Ta musique, de même que tes vidéos, peuvent en apparence sembler complexes mais, au final, ne sont pas difficiles à interpréter. Par exemple, quand on te voit jouer, les accords sont assez simples mais tout va changer avec l’entrée de la voix et des éléments électroniques sur le clavier. Tu parviens ainsi à mélanger la simplicité et l’immédiateté d’un titre avec la façon dont celui-ci va évoluer grâce aux détails, aux arrangements que tu vas faire intervenir. De même, tes mélodies vocales sont très travaillées et progressent, à tel point qu’on a parfois l’impression d’entendre plusieurs thèmes différents, comme une histoire que tu raconterais à l’auditeur. C’est le cas de « The Favorite », aussi bien dans la version enregistrée que pour l’interprétation en direct, visible sur Youtube. Tu sembles être toujours en recherche, essayer d’apprendre et de voir si tu peux aller encore plus loin dans une performance, qu’elle soit en public ou sur disque. Il y a, dans tes compositions, ce sentiment de perpétuelle évolution.

Je pense que ce côté évolutif vient de ma formation classique. Ce que j’aimais dans cette forme musicale, c’était d’avoir une partition, de prendre le temps de me l’approprier, de trouver des idées pour y apporter de la dynamique et donner du sens à ce qui est en train d’être joué. C’est la raison pour laquelle je passe beaucoup de temps sur mes arrangements live. J’aime beaucoup le live, d’ailleurs ; il y a un travail de composition au départ mais, après, je réfléchis à la manière dont, sur scène, mes arrangements correspondront le mieux à mes textes et à l’histoire que je raconte. Je donne beaucoup de sens aux paroles. Si tu me le permets, je vais faire un parallèle avec mes études classiques : j’ai énormément étudié la mélodie française et les Lieder allemands, de même que la manière dont l’accompagnement – je trouve d’ailleurs dommage d’appeler ça « accompagnement » – et l’aspect musical vont permettre à l’auditeur de ressentir au mieux le sens du texte, par l’harmonie tout d’abord, mais aussi par les arrangements pianistiques ou orchestraux, l’interprétation que tu vas en faire, ou l’intention que tu vas mettre à tel ou tel endroit. Si le chanteur est en train de parler de quelque chose de très sombre ou, au contraire, de très lumineux, tous ces caractères vont jouer les uns avec les autres. C’est ce qui pourrait expliquer l’aspect progressif et évolutif de la forme d’un morceau ; c’est une véritable attention portée sur le fait que le texte soit toujours servi par la musique, et vice-versa.

  • Selon toi, est-ce que cet aspect expliquerait que, quand on écoute tes titres, on a l’impression que chaque partie (piano, voix et arrangements) représente un langage différent mais qui, mis ensemble, ne va plus en former qu’un seul. Comme tu l’expliquais, sur un morceau dit « classique », on parle d’accompagnement : celui apporté à une voix, à un instrument principal, etc. Dans tes compositions, chaque partie à son mot à dire par rapport aux autres.

En effet, il y a une complémentarité et chacun va éclairer l’autre : la voix va mettre en lumière les instruments, le piano va mettre en lumière le sens du texte. Il y a cette idée, qui est très importante dans ma manière de composer.

  • Sur « Brain Sparks », tu donnes l’impression de beaucoup plus fouiller le côté électronique de ta musique, tout comme sur les titres que j’ai pu écouter de ton prochain opus. Ressens-tu l’envie d’expérimenter quelque chose de plus artificiel pour l’intégrer dans ton style ; pas de l’électro, mais des éléments, disons, informatiques et mis au service de la mélodie et de la musicalité ?

Je pense que c’est lié au fait que j’avais envie de construire des morceaux tout en gardant les perspectives de base dont on vient de parler ; d’aller vers quelque chose de plus pop et de plus dansant, dans l’idée, notamment en live, que ce soit plus agréable et un peu moins lourd pour moi et pour le public. Un format un peu plus cool, qui puisse se danser. D’ailleurs, actuellement, je joue debout en concert. J’ai changé certaines choses afin d’améliorer ma communication avec l’auditeur. J’ai l’impression que c’est la direction que je prends, et le fait d’aller vers des horizons plus électroniques m’aide à y parvenir. Personnellement, j’aime danser sur de l’électro. Mais il y a aussi un aspect plus accessible : ressentir une pulsation et bouger son corps, ce sont des choses que tous les humains sont capables de faire, et c’est pour ça que j’ai envie de le développer dans ma musique. L’idée peut sembler un peu prétentieuse, mais je souhaite être plus intelligible par plus de monde ; sans faire de concessions sur ce que j’aime, cela dit. Mais, même pour moi, c’est plus cool d’avoir un beat et des éléments moins torturés. Il y a quelque chose d’un peu plus léger dans les nouvelles compositions, même si mes textes restent assez profonds pour moi, voire assez lourds, parfois. Maintenant, je tends à quelque chose qui va vers cet univers qui m’a beaucoup influencée : l’électro, bien sûr, mais aussi le rock. J’ai fait beaucoup de concerts de rock quand j’étais adolescente, j’ai toujours adoré ça. Et il y a ce besoin, cette étincelle moins cérébrale et plus inscrite dans le corps et l’énergie. Je pense que c’est la direction que je souhaitais prendre avec mon EP.

  • Que peux-tu nous dire à propos de l’EP que tu es en train de terminer ? Comment l’as-tu anticipé et préparé pour arriver au résultat que tu cherchais et dont tu viens de nous parler ?

Pour composer cet EP, je me suis donnée une contrainte : ne pas écrire. Tous les morceaux qui sont sur ce disque ont été composés sans rien écrire du tout, en amont ; ce qui fait que je crois avoir utilisé un autre morceau de mon cerveau plus basé sur l’énergie, la danse et l’émotionnel, et moins sur le côté cérébral, comme le fait de mettre par exemple une 9e bémol ici ou là et voir comment ça sonne ! (rires) Je pense que ça a beaucoup changé la forme des morceaux : je suis arrivée à des formats plus pop et plus courts, en me disant « Je ne vais réussir à mémoriser un titre qui dure six minutes, dans lequel il y a mille parties hyper complexes… » Du coup, j’ai voulu rester sobre et plus intelligible dans mon discours ; j’ai donc décidé de fonctionner sans écriture préalable, en utilisant ce qu’il y avait de plus simple. Forcément, ça a donné lieu à des structures plus simples elles aussi, de même qu’à des grilles harmoniques plus intuitives. Mais au final, dans la recherche des sonorités de synthés, je me suis tournée vers une mise en rythmicité : j’ai beaucoup utilisé mon synthé comme boîte à rythmes. Pour être plus précise, je n’ai utilisé que trois instruments pour cet EP : le clavier, le Prophet 6 – qui est d’ailleurs le clavier de Thom Yorke ! (rires) -, grâce auquel j’ai pu faire des superpositions de pattes sonores diverses, et la voix. À la base, j’avais l’idée d’enregistrer avec un batteur, justement pour donner de la rythmicité ; puis j’ai finalement tout composé toute seule, chez moi, et ça a très bien fonctionné. Mais il y a une intention portée sur la construction des rythmes et des percussions, notamment un titre que j’ai fait en featuring avec un musicien venant du dubstep et de la drum’n’bass ; ensemble, on a fait des batteries de jungle, du sample et d’autres choses bien punchy. Et, même si le résultat me ressemble autant qu’à lui, il y a cette recherche dans la construction des batteries, du rythme et de la danse.

  • Combien de titres comportera l’EP ?

En tout, il y en aura six.

  • En ce qui concerne le live, j’ai été très impressionné, sur la session Sofar que tu as faite, par ton attitude tout d’abord, mais aussi par celle du public. Tu interprètes « Plastic Girl » en étant concentrée sur ce que tu joues, mais ton regard est fixé sur l’auditoire, comme si tu guettais une réaction de sa part ; sans appréhension, cela dit. Et la même chose apparaît sur le visage des spectateurs lorsque la caméra est tournée vers eux. D’une part, quelle est l’importance, pour toi, de jouer sur scène ? Et, d’autre part, accordes-tu maintenant plus d’importance à tes performances et au public en jouant debout et en offrant des morceaux plus rythmés ? Est-ce que, pour toi, cette partie de ton art va se modifier, s’améliorer et t’apporter encore plus de plaisir avec tes nouveaux choix, notamment l’incitation à la danse ?

J’ai toujours adoré le live, et ce,depuis que je suis pianiste classique. Même quand je ne regardais pas les gens dans les yeux, étant donné que, bien sûr, au piano, j’étais de profil ! (rires) Mais je ressentais beaucoup l’attention du public. Pour moi, c’est un échange : un don personnel que l’auditoire va recevoir et qui, en retour, va te donner de l’attention et, osons le dire, de l’amour. Le fait de chanter rend les choses encore plus intenses, parce que, justement, il y a cette possibilité de voir les spectateurs face à soi. Pourtant, pour le premier concert de Lux’s Dream que j’ai fait, j’étais de dos ! (rires) C’était à la fois de la timidité et de la pudeur, mais je me suis également dit qu’il pouvait être intéressant de ne pas faire face au public, qu’il ne voie que mes mains et imagine quelque chose. Finalement, ça a été une expérience très désagréable… Pendant mes premiers concerts, je n’osais pas regarder les gens ; puis, je me suis forcée à le faire et j’ai vu que quelque chose se passait, un sentiment et un partage émotionnellement très forts. C’est assez difficile à gérer : tu peux, en effet, être facilement troublé(e) par quelque chose qui se passe dans la salle ou par la réaction des spectateurs, comme voir quelqu’un qui s’en va ou une personne qui va simplement chercher une bière. On a immédiatement tendance à se dire « Ça ne lui a pas plu, ce que je viens de faire… » Le fait de jouer en live ouvre sur une extrême sensibilité ; je compare ça à des antennes supplémentaires que tu jetterais vers le public. Mais le fait de regarder les gens donne un échange qui est encore plus intense. Ça me rend plus vulnérable, bien sûr, mais je le fais quand même !

  • Ceci dit, quand tu compares avec d’autres artistes qui, eux, vont chanter les yeux fermés parce qu’ils sont concentrés et dans leur bulle, tu prouves que, au-delà de simplement interpréter tes chansons, tu cherches la communication avec le public. Et il semble que cela se soit développé rapidement et de manière très naturelle, chez toi.

Je crois que le fait de réagir en fonction du public me plaît énormément ; s’ils sont d’humeur joyeuse ou, parfois, nerveuse, je vais jouer plus fort et plus me donner. À l’inverse, s’ils ont besoin de douceur, je vais chanter plus calmement. C’est ça qui est intéressant, en fait : s’adapter à l’atmosphère, aux types de personnes que l’on a en face de soi. Je trouve passionnant d’avoir bossé auparavant ses morceaux et sa technique de jeu et de voix pour être capable de s’acclimater aux situations et les vivre au maximum.

  • Envisages-tu d’ouvrir tes concerts à d’autres musiciens, pour t’accompagner ? Tu parlais notamment de batterie ou de l’artiste dubstep qui a participé à l’EP, tout à l’heure…

Oui, ça me plairait beaucoup. C’est une idée que j’ai en tête depuis le début, une version « expanded » de Lux’s Dream. Il faut savoir qu’à la base, j’avais pensé mon projet comme un duo avec un batteur ; pas quelqu’un en particulier, mais je m’étais dit que ça fonctionnerait bien. Le paradoxe, c’est que j’y pense tout le temps, mais que je continue à avancer seule, en ajoutant des instruments ; par exemple, je viens d’acquérir une boîte à rythmes de marque allemande que je vais intégrer dans les concerts. J’ai donc, tout de même, envie de garder cette liberté de faire tout par moi-même et d’avancer à la cadence que j’ai choisie. Je suis comme ça : quand j’ai une idée, je n’aime pas attendre. Je suis impatiente, j’ai envie que ça avance. Devoir attendre les autres me frustre énormément. Pour la composition, j’ai envie de garder la possibilité de pouvoir être totalement autonome et de faire ce que je veux, quand je le veux. Après, je joue dans d’autres groupes, mais je ne suis pas à leur initiative, ce qui est très différent. Je n’y mets pas le même poids. Actuellement, pour des raisons pratiques, je n’ai pas entamé un travail avec d’autres musiciens ; simplement parce que je pense que je ne me suis pas encore totalement trouvée artistiquement. Je n’ai pas encore finalisé mon style, tout comme je n’ai pas une notoriété suffisante pour pouvoir faire tourner mon projet et rémunérer des musiciens. C’est vrai que j’envisage la musique d’une manière professionnelle, même si j’accepte, pour des amis, de jouer sans être payée, par plaisir d’être avec eux et de développer d’autres projets parce que je les aime. Mais je n’ose pas demander à d’autres artistes l’implication totale que j’ai moi-même dans Lux’s Dream si je ne les paie pas. Le jour où je jouerai avec d’autres musiciens, j’aimerais que ce soit lors d’un événement pendant lequel on ne sera pas à l’arrache et où on pourra faire les choses à fond tout en se rémunérant, en payant un local de répétition afin de travailler dans de bonnes conditions. C’est très important pour moi et, de ce fait, je préfère, pour le moment, conserver le côté solo ; parce que je peux travailler toute seule, dans de bonnes conditions, et organiser les étapes pour que tout se passe de manière optimale. Le jour où je pourrais élargir tout ça, je le ferai ; mais je reste très perfectionniste, j’aime aller au fond des choses.

  • Quand tu dis que tu ne penses pas t’être encore totalement trouvée artistiquement, que souhaites-tu exprimer à travers cette affirmation ?

Je dis ça mais, en même temps, c’est un non-sens, quand j’y pense. Quand je faisais mes études en pédagogie, j’ai écrit un mémoire sur l’identité et la construction de soi. Je crois que chacun de nous évolue tout le temps ; de ce fait, dire que je n’ai pas trouvé mon style ne représente pas vraiment ce que je veux exprimer. Pour être plus précise, je n’ai pas encore assez d’expérience dans ce projet pour être complètement sûre de la direction que je prends, de là où je vais et d’accepter de m’ouvrir aux autres sans me dire que je vais me laisser influencer d’une manière qui ne me plairait pas, en ne pouvant pas l’exprimer correctement. J’ai encore besoin de prendre conscience, seule, de moi-même, avant d’ouvrir Lux’s Dream à d’autres personnes d’une manière saine ; c’est-à-dire, en situant mes exigences à un endroit et en ouvrant la porte à un autre pour qu’un nouvel intervenant trouve sa place. Je n’ai pas envie de faire de concessions là-dessus ; je veux, avant tout, connaître mes limites, ce que j’accepte ou, au contraire, n’accepte pas.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.