[Interview] Ludovic Lorre, organisateur du Binic Folks Blues Festival

Nous avons rencontré Ludovic Lorre, organisateur et co-programmateur du Binic Folks Blues Festival, à l’aube de sa 11e édition ce week-end du 26 au 28 juillet. Nous avons pu évoquer son parcours de pur breton, tombé dans la spirale musicale dès ses plus jeunes années. Le hasard lui ouvrira rapidement les portes d’un festival lui permettant « de proposer quelque chose de différent ». Il nous a présenté ses choix de programmateur comme une façon de « partager la bande-son de ses nuits d’hiver solitaire par le biais d’un concert l’été ». L’image est belle. Nous avons également évoqué l’origine et l’essor du Binic Festival passant de 1 500 spectateurs à plus de 60 000 lors de sa 9e édition avec un tarif totalement gratuit à l’entrée ; ce qui, dans le paysage français, ne semble correspondre à « aucune case prévue » selon lui. Nous avons enfin évoqué quelques souvenirs des éditions passées, histoire de nous appâter pour cette 11e édition en approche et déjà époustouflante de par sa programmation et son esprit authentique, indépendant et inclusif. Le rendez-vous est pris !

crédit : Clément Guyon
  • À quel moment avez-vous décidé de monter un festival. Sur quelle base est-il né ? Aviez-vous une ligne directrice sur ce à quoi vous vouliez arriver ?

En fait, on a voulu créer une association pour héberger l’activité du groupe de rock dans lequel je jouais en 2006-2007. En 2008 est née « La Nef D fous », l’association. En parallèle de cela, au village Binic, il y avait un festival « Autour du Blues » qui était un festival de variété divers et varié arrivé en fin de vie. Ils ne souhaitaient plus gérer la partie off. Donc en 2008-2009, on a fait un petit podium pour pallier cette défection du festival. Résultat des courses, on a gardé ces deux petits podiums de 4 mètres carrés, le tout avec une programmation locale. En 2010, on a réussi à faire venir les Black Diamond Heavies et Johnny Walker, on a tout de suite senti qu’on avait un bon filon musical qui rassemblait toutes nos influences diverses et variées. C’est monté crescendo en 2012 avec l’arrivée de Ty Segall et on est partis sur les chapeaux de roue en 2013 avec Thee Oh Sees. En l’espace de 4 ans, on est passés de 1 500 personnes à 15 000. Au final, c’est vraiment un hasard et un concours de plein de bonnes circonstances.

  • Quel est votre parcours ? Comment en vient-on à diriger un festival ?

Mon parcours à moi ? Je suis un bon petit gars de Saint-Brieuc. J’ai fait des études de commerce et organisé mon premier concert au lycée Saint-Charles. J’avais 14 ans. Je voulais être cosmonaute au départ. Je suis fils de bistrotier à Saint-Brieuc. J’ai eu la chance dès mes 7-8 ans de découvrir tout ce qui fait la chanson française dans le sens noble du terme avec Paco Ibáñez, Pierre Nicolas qui était l’ombre de Brassens et même les tout débuts de Juliette. J’ai toujours baigné dans une culture musicale riche et variée ; il y avait une discographie paternelle riche avec le premier album des Creedence Clearwater Revival, le premier album live de la tournée « American Folk Blues Festival » avec tous ces artistes que je chéris ; T-Bone Walker, John Lee Hooker… À 10 ans, j’ai changé de mode, j’ai accroché sur les Who. À 11-12ans, je fais une saison en tant que poissonnier. La femme de mon cousin était fan de punk et, du coup, à la fin de mon été, j’avais écouté l’intégrale des Clash et des Sex Pistols. Au final, à 14 ans, j’étais déjà bien mordu et j’ai eu mes premiers groupes. J’ai toujours eu la fibre mélomane dans le sang.

  • Vous avez commencé sur les cendres d’un festival blues, sentez-vous que vous vous en éloigné ou pas du tout c’est plutôt dans la logique des choses ?

Le festival était « autour » du blues, mais, au final, c’était plus un festival de variété. Il y avait du reggae ou Michel Leeb lors de la dernière édition, c’est pathétique quoi. Personnellement, depuis tout petit, j’ai écouté et cherché parmi de nombreux styles musicaux. Plus particulièrement LE groupe qui a faisait l’exception du genre. C’est comme quand j’ai découvert à 23 ans R.L. Burnside ou Junior Kimbrough, j’ai jamais plus écouté de Chicago Blues de ma vie. Quand je trouve l’essence même du genre musical, je cherche les groupes qui s’en approchent. Par exemple, quand on a fait les Sonics en 2015, je ne m’attendais pas à prendre une leçon d’humilité avec les mecs qui, avec un seul album, ont inspiré 50 ans d’histoire du rock.

  • Le festival a un lien particulier avec l’Australie. D’où vient-il ?

Ce lien vient directement de l’association. Nous y sommes liés avec Sébastien Blanchais qui dirige le magasin Rockin’ Bones. Il a monté Beast Records parce que c’était un fan des Beasts Of Bourbon. Il dirigeait quelques groupes australiens il y a 10 ans et c’est monté crescendo. C’est devenu un peu la plaque tournante de cette musique indépendante australienne, je dirais même confidentielle. Du coup, on est devenu, avec le festival, la plaque tournante de ces groupes australiens. On essaye de leur proposer de se produire autrement que dans des cafés-concerts à Sydney, Melbourne ou Brisbane pour 50 dollars la soirée.

  • Est-ce un échange de bon procédé ?

C’est plus simple de venir jouer en Europe que le contraire. Il y a une bonne blague qui tourne qui dit : « si tu fais de la musique et que tu veux perdre de l’argent, va tourner en Australie » !

  • La France est-elle, mine de rien, une terre propice à la vie musicale ?

Ouais, la Bretagne reste l’épicentre de la France, il faut pas se leurrer ! Nos racines celtes et notre côté bon vivant en sont à l’origine. On n’est pas des acharnés de la vie, mais on aime recevoir et partir. On aime accueillir des étrangers. Je ne change pas la règle d’or en déplacement qui est « tu rends dix fois plus que ce qu’on te donne » quand tu vas à l’extérieur. On est attaché à ce côté humain dans la musique. De faire jouer des groupes ultras talentueux, mais super confidentiels. On a de vrais coups de cœur et des partis pris musicaux par le biais du Binic Folks Blues Festival. C’est ce qui fait sa richesse et sa particularité dans le paysage français voir même breton. De par la gratuité, ce modèle économique pour lequel on se bat bec et ongle, et ce malgré les institutions publiques qui nous disent qu’on ne peut pas continuer comme ça, qu’on est devenus trop gros. Non, on n’est pas trop gros encore une fois ; on diffère avec une vision qui fait toute la noblesse de ce festival dans le monde dans lequel on vit. Comme je dis toujours, on ne partage pas la musique uniquement par le biais d’un ordinateur. Le fait de la gratuité, ça permet à un noyau dur de fan de musique de venir à cette procession qu’est Binic. La moitié du public est là parce que c’est gratuit, parce que c’est familial et qu’ils entendront des groupes qu’on ne voit nulle part ailleurs en France.

  • Le festival a failli ne jamais voir sa dixième année arriver par manque de moyens économiques. Vous êtes-vous stabilisés ?

Complètement, on a réussi en 2018 à boucler le budget au ras de pâquerette et, encore une fois, on a été bien soutenus et bien encouragés par ceux qui font notre public, les habitants et les institutions qui ont compris notre démarche et qui valorisent notre action par le biais de l’association. Plus que jamais, on est conscient d’avoir de bonnes choses à défendre et partager.

  • On parle beaucoup d’écologie. Dans le même ordre d’idée, avez-vous un message à faire passer auprès des gens pour les sensibiliser au bon fonctionnement du monde de la musique et du festival ?

Cette année, plus que jamais, on encourage les gens à symboliquement laisser 2, 5 voire 10 euros par jour et par personne pour contribuer à ce qu’on puisse travailler sérieusement, avec l’envie de toujours satisfaire les envies du public ; tant en termes d’hygiène que de propreté, de confort ou de sécurité. Le budget est fragile à équilibrer, mais plus que jamais on encourage les gens à laisser une petite obole pour nous aider à payer les factures et rémunérer les groupes.

  • Le festival n’est pas un festival à but lucratif, mais plus participatif ; d’où le souhait d’aider au mieux les groupes ?

Oui, tout à fait, de promouvoir la musique et de permettre à un maximum de gens de pouvoir accéder à ces concerts. On a déjà en vue 2020, mais on espère vraiment que cette année, ça va fonctionner. Là encore, en laissant 2 euros par personne et par jour, ça nous permettrait de travailler sereinement pour la prochaine édition. À 5 euros, on pourra conforter l’association et son autonomie et ne plus dépendre des partenariats privés et publics. On essaye de responsabiliser le public sur le temps qu’on y passe et la professionnalisation de l’association, avec entres autres, une création d’un poste de directeur auquel je suis sensé accéder si, encore une fois, on arrive à dégager assez d’argent pour. Au final, pouvoir proposer toujours le même type d’événement, mais avec un peu plus de sérénité.

  • Cette année, vous faites la part belle aux filles, est-ce un choix militant où un choix qui s’est imposé naturellement ?

Ce n’est complètement pas un hasard, mais bien une belle activité musicale concernant certains groupes féminins. C’est aussi un beau clin d’œil aux gens. Nous, ça fait déjà longtemps qu’on fait attention à ces petites choses. On est attentionné et très vigilant à ce que tout le monde se comporte bien avec tout le monde. À Binic, on vient s’amuser oui, mais dans le respect de tous. Cette part belle musicale à cette gent féminine, qui fait du bon rock, ce n’est pas une légende. Les filles jouent aussi bien que les garçons. C’est vérifié et ce sera encore plus vrai cette année. Ce sera un vrai plaisir à voir et à entendre.

  • De tous les concerts que vous avez vu au Binic Festival – je rappelle que cette année, il y a pas moins de 40 groupes différents programmés – quel est votre plus beau souvenir de concert ?

Un des plus beaux souvenirs ? Il y a eu par exemple Paul Major, leader du groupe new-yorkais Endless Boogie, l’année dernière, qui dès la première note de basse a fait claquer tout le système et on trouve la panne après la deuxième panne. C’était la tête d’ampli basse. À ce moment-là, les nuages se dissipent et c’est comme ça qu’a débuté l’édition 2018.

  • Dans le même ordre d’idée, as-tu une anecdote sympa à nous raconter sur le festival ?

Une anecdote sympa ? Il y en a plein. Il y en a tous les ans. Il y a Martin Quintron des Martin Quintron & Miss Pussycat qui joue un concert dantesque le samedi soir de l’édition 2018. Il a commencé son show par 15 minutes d’espèce de théâtre géant avec de grandes bouches devant 7000 personnes. Pendant un quart d’heure, je me demande ce que c’est, et là, en même pas une minute trente, il a retourné tout le monde et c’était parti. Le lendemain matin, je l’ai croisé et il m’a dit « Putain, merci Ludo, hier soir c’était purement exceptionnel ! Est-ce que je peux rester là ce soir ? », je lui ai dit de garder sa piaule à l’hôtel. Au cours de la soirée du dimanche, il était en train de regarder le festival au niveau des barrières et il y voit un gars-là, il lui dit « Vas-y, tu peux venir c’est gratuit ! ». Le gars pensait ne pouvoir regarder le concert que de derrière les barrières. Il était tout content de me raconter ça après. C’était touchant.

  • Aurais-tu un groupe qu’indiemusic pourrait interviewer samedi ?

Le samedi ? On a eu une bonne pioche, c’est un jeune groupe qui a signé chez Crème Brûlée Records. Le groupe se nomme Guadal Tejaz. Ils ont mis la pâtée à Go!Zilla, il y a trois mois à Rennes. Du coup, ça m’a bien bluffé. En plus, ils ont déjà sorti un album et il y en a un autre qui arrive. Ça va être une vraie belle surprise. Ça rappelle un peu toute cette histoire de rock indépendant ou musique alternative. Moi, j’ai un groupe culte, pour plein de bonne raison, qui est Fugazi. C’est une somme d’individus qui ont fait leur histoire et, à côté de ça, c’est une espèce d’ode, de bible, du savoir-être, sans aucun ego : faire les choses simplement dans le bon sens. Ils font des entrées à 5 ou 10 balles le concert. C’est une belle histoire de la musique qui peut être réécrite et c’est un peu ce qu’on essaye de faire avec simplicité et aussi aucune prétention particulière.


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Nicolas Halby

Parce que notoriété ne rime pas forcément avec qualité. J'aime particulièrement découvrir l'humain derrière la musique.