Lucio Milkowski – Lucio Milkowski Trois

Il y a des jours, où il est difficile de faire venir le rap dans nos pages. Il y a des jours, où il faut batailler, où le son est pesé, écouté de long en large, et nous questionne : jusqu’où le webzine peut-il s’ouvrir ? Jusqu’à quel point peut-on se débarrasser des clichés hip-hop et y voir un coup de cœur ? Mais d’autres fois, les projets sont tellement grands, tellement brillants, que les intégrer à indiemusic est une évidence. Rap ou pas. Lucio Bukowski fait partie de ceux-là.

Lucio Milkowski - Trois

Mais ne faisons pas d’amalgame, nous ne parlons pas de Lucio Bukowski au sens propre, mais bien de Lucio et Milka. Car derrière le M qui remplace le B, derrière le B qui se fait la malle, c’est le troisième opus du duo de l’Animalerie qui nous fait vibrer. Leur son n’est pas une histoire de contrat et de major, non. Il est fruit d’un travail acharné et précis, mais aussi très naturel et sans prétention.

Là où Milka produit l’EP, cinq pistes sorties en juin dernier, Lucio signe des textes les plus percutants. Lucio Bukowski est ce rappeur qui a commencé par écrire des poèmes avant de s’attaquer au rap et à ses textes. Si les photos de lui, qui circulent sur internet sont celles d’un homme au milieu d’un mur de livres, ce n’est pas un hasard, un choix esthétique, une culture fantasmée. Mais une réalité. L’écriture du garçon déborde de l’amour des mots, des enchaînements bien pensés où la syntaxe a fait son trou, des références qui dépassent les codes du hip-hop. Le texte est riche et se nourrit d’une certaine pluralité. Flux de mots ficelés, mais pas bâillonnés. Lucio nous offre un flow incisif et sûrement sur le papier, très instinctif. Car même si l’ensemble est plein, fluidement lourd, tout fait bloc. L’effet du pavé dans la vitre. Sous l’effet de la bombe, le décor explose en morceaux. Les mots prennent le chemin du politiquement incorrect, du politiquement virulent. Un brin désenchanté, ébranlé, pour en être plus révolté et révoltant. Celui, qui ne s’embête pas des carcans de la machine de l’industrie musicale, tire à balles réelles sur les institutions et leurs mirages. « Jéricho » ouvre l’EP, comme un missile incongru qui sonne le début de la guerre.

Anton Serra s’invite sur une piste. Cette piste, où la plume s’aiguise pour une mise au point. « J’écris ». Ode à la sensation du passage à l’acte. Introspection sur feuille vierge. Car même si l’égotrip, sur l’ensemble, est présent, Lucio Bukowski ne dresse pas un bilant faussement gangsta. Pas besoin de ghetto et go fast, pour mettre du piment. La beauté se trouve là. Elle est là, il suffit juste de la capter. Jamais, le rappeur ne se trompe de cible, jamais il ne fait de faux pas, jamais ne s’égare dans le semblant. Sur l’ultime piste « Jeunes et foutus », ce sont les fauves de l’Animalerie, qui font leurs griffes. Le fief est sous contrôle, de quoi rayer cette dictature qui dit que le rap c’était mieux avant. Il suffit juste de le chercher là où il est. Et ne pas se tromper. On parle de rap, pas d’autres choses.
Quant aux prods, elles ont les sons des vinyles qui grésillent. D’une époque qu’on ne regrette même plus, puisque Milka lui insuffle un esprit des plus vivants. Des références qui sont marquées par les écoutes prolongées d’un passionné. Musicales bien plus que sonores. Elles embarquent les textes, les font tourner et nous dorment à un certain tournis. Tantôt nonchalantes, tantôt conquérantes. Mais toujours avec classe. Les instrumentaux se déclinent aussi seuls, en cinq pistes qui complètent le projet. Comme dans l’ancien temps, du temps où dans leurs chambres, les minots pouvaient kicker sur les faces B.

Lucio Milkowski

« Lucio Milkowski Trois » est cet EP qui claque. Qui sonne comme le grand moment hip-hop de l’été. Il est à lui seul l’intelligence et la séduction. Il est cette cohérence de sons et de textes. Mélancolique certes. Brut, complètement.

« Lucio Milkowski Trois » de Lucio Milkowski est sorti le 28 juin 2013 chez Oster Lapwass.

luciomilkowski.bandcamp.com
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osterlapwass.fr

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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes