[LP] Lord Kesseli & the Drums – Melodies of Immortality

Au beau milieu d’une pile de disques, notre regard est parfois (souvent) attiré par ces pochettes qui brillent, nous rassurent, nous suggèrent des territoires connus. Spontanément, nous écartons sans le vouloir celles qui nous interrogent, celles qui nous repoussent, celles qui nous semblent suspectes. Quand un album de cette trempe se présente, il faut savoir dépasser une incompréhension première, une absence de repères francs pour pénétrer un univers englobant, déroutant et hautement passionnant.

Au premier abord, nous avons sans doute projeté sur la sobriété graphique et mauve, et cette mystérieuse entité, un regard circonspect, empreint de doute et de méfiance devant ce décalage que nous avons trop vite perçu comme une posture de principe et une habile façon de se démarquer. Et nous aurions pu passer à côté d’une des plus délicieuses sensations de ces derniers mois si nous n’avions pas écouté cette petite voix nous répéter « Mais c’est quoi ce truc ? Tu ne veux pas écouter, pour voir ? ». La curiosité est un vilain défaut surtout quand elle permet de découvrir des artistes aussi intrigants et différents que The Knife, Picture Plane et donc Lord Kesseli & the Drums. Alors que le fonds de commerce du rédacteur, est d’aligner étiquettes, genres et références comme on enfilerait des perles, une œuvre comme « Melodies of Immortality » ne rentre pas vraiment dans les cases habituelles, et rompt, il est vrai, une certaine routine. Et c’est tant mieux.

Groupe de son temps et de son époque, ce duo convoque dès le premier titre, « Chemical Mother », les élans électroniques de la synthwave, les ambiances éthérées du shoegaze, l’hystérie du post-punk, l’angélisme de la pop et la puissance imposante du stoner. Un peu comme si le groupe faisait évoluer son inspiration, en feuilletant les pages érudites et particulièrement passionnées de l’excellent magazine New Noise. Pourtant, à trop vouloir jouer aux apprentis chimistes, les Suisses risquent en permanence l’accident de parcours, la sortie de route, l’overdose. Mais sur la longueur, contre toute attente, ce LP affiche une cohérence tout simplement hallucinante, comme si Grandaddy avait abusé tard, de nuit, de puissants psychotropes divers et variés, en compagnie des trépidants Jessica 93.

Plus largement, les deux esthètes empilent avec bonheur les strates instrumentales et les textures pour développer une masse sonore, lancinante et implacable, venimeuse et douce à la fois. En ce sens, nous pourrions affirmer que Dominik Kesseli et Michael Gallusser seraient par essence des musiciens shoegaze. Des musiciens capables de merveille, comme le très prenant « Hail to the Economy » qui sublime ce long format avec autorité et détermination. Comme une obsession, son motif krautrock répétitif et rêveur, est capable de nous habiter pendant de longues heures. C’est d’ailleurs peut-être ce morceau qui déclenche (ou permet) toute la compréhension de l’enchaînement suivant de délices aussi attachants et addictifs. L’expérience devient ainsi plus légère, malgré des écarts de circonstances : à proximité des imposants Death Cab For Cutie, pour le faussement sage « Wizard », rampe de lancement idéale pour nous emporter sur les rythmiques envoûtantes de « Just a Dream » qui auraient eu fière allure sur un album de Feveray. Dernier extrait en date de ce disque saisissant, le morceau « Robert My Robot » captive les sens. Tout comme sa traduction en image, au graphisme évocateur et minimaliste, qui donne le sentiment de pénétrer les bulles d’une BD, qui prend soudain vie devant nous. Ce clip donne d’ailleurs de nouvelles clefs pour se lover dans le monde singulier, à la mystique évidente, de ces descendants inspirés du peuple helvète.

Au fur et à mesure des écoutes, l’étonnement laisse place à un plaisir vivifiant et jubilatoire, porteur d’un sentiment de plénitude tout à fait réjouissant. Décidément, 2018 aura été une grande année pour les musiciens suisses, révélant au passage aux côtés de Peter Kernel, Emilie Zoé et Puts Marie, les surprenants Lord Kesseli & the Drums.

crédit : Valentin Féron

« Melodies Of Immortality » de Lord Kesseli & the Drums est disponible depuis le 23 novembre 2018 chez Bookmaker Records et Irascible Records.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.