[LP] Lisa Hannigan – At Swim

Le joyau de Damien Rice fut bien gardé. Il a brillé sans relâche sur ses mélodies tourmentées : il l’a aidé à parfaire son génie en prêtant sa voix et son jeu à ses derniers chefs-d’œuvre, « O » et « 9 ». Sept années de polissage et de respect musical pour qu’au final, ses carats se comptent par milliers. La mystérieuse Irlandaise Lisa Hannigan sort un troisième album plus habité que ses précédents, plus triste et désemparé aussi, mais certainement son plus sublime. « At Swim » est le trésor d’un esprit qui a gagné en lucidité.

Lisa Hannigan - At Swim

Jusqu’à cette sommité d’émotion, Lisa Hannigan a eu de quoi faire, et l’a assurément bien fait. Preuve à l’appui : une nomination aux Mercury Prize et Choice Music Prize. Ses deux albums, « Sea Sew » et « Passenger », sont encensés par la critique et surtout applaudis par un public toujours friand de la chanson irlandaise, souvent couverte d’une mélancolie irrésistible et contagieuse comme la peste. Déracinée, chancelant entre Dublin et Londres, elle dépasse ce succès avec une nouvelle péripétie amoureuse et décide de se lancer dans d’autres activités pour se distraire. Elle écrit pour le cinéma, la télévision et s’improvise même actrice pour le film d’animation, nominé aux Oscars, « Song of the Sea ». Mais au fond, rien n’est plus fort que l’écriture d’un album. Pour « At Swim », le déclic a lieu quand elle reçoit un e-mail surprise d’Aaron Dessner, guitariste de The National et producteur d’artistes comme Local Natives et Sharon Van Etten, l’invitant à travailler ensemble à Londres. Les souvenirs se confrontent et ses sentiments, jusque-là tapis dans l’ombre, se retrouvent découverts, étalés dans toute leur splendeur en son for intérieur. Hannigan ne peut qu’y faire face et exalte avec justesse le mal du pays, l’isolement et l’amour.

Nous le sentons, c’est ancré dans le code génétique des chansons : « At Swim » a le goût d’une vie assiégée par les obstacles de la passion amoureuse, mais aussi hantée par une fatalité que Lisa Hannigan apprend ici à dompter. Par exemple, « Prayer For The Dying » lui a été inspiré par le décès du parent d’un ami après une longue maladie. « Ils avaient été mariés et heureux pendant très longtemps, et cette perte a été dévastatrice », se remémore Lisa. « J’ai voulu essayer d’exprimer ce chagrin, mais aussi rendre hommage à leur mariage. » C’est jusqu’ici le titre le plus sombre et vulnérable de la carrière de la chanteuse, et c’est de là que vient toute son évolution. Autrement dit, sa lucidité a déclenché bon nombre de réflexions qui ont eu pour finalité un effet cathartique. Au-delà de cette idée que le bonheur amène le bonheur, il sera juste de préciser que les beautés les plus honnêtes se créent étonnamment des choses les plus noires, générées par une inspiration prolifique qui rend ce mécanisme efficace, célèbre et surtout luisant de transparence. Cet amour du contraste et de la grandeur du vraisemblable – véritables préoccupations des auteurs romantiques du XVIIIe siècle – s’affranchit en musique de toutes les autres formes d’aspiration qui animent une voracité émotionnelle chez l’un (l’artiste) et chez l’autre (l’auteur). Lisa Hannigan est passée de l’autre côté, sur la rive des tristes penseurs, et c’est magnifique à entendre.

« Il ne voulait pas qu’il [l’album] sonne trop joli », dit Lisa en parlant de Dessner. « Il voulait qu’il possède une texture plutôt que de grandes mélodies… ». D’où ces imperfections, qui sont d’un charme fou, qui hantent tout l’album : comme le trombone funeste de « We, The Drowned » et les cordes chorales de la sublime « Ora » qui se rapproche des projets de l’enchanteresse Julianna Barwick.  D’ailleurs, l’entrée de « Fall » dans l’album définit toute la ligne directrice de l’album « At Swim ». Lisa Hannigan voulait que le disque contienne des harmonies vocales. « Comme j’avais débuté en faisant des harmonies avec Damien, j’évitais de le faire sur mes propres disques. Je voulais montrer que je pouvais faire d’autres choses. Mais, sur celui-ci, je me suis lancée. » La nature qui revient au galop, une nature éthérée comme introduite dans « Anahorish » qui est une relecture fascinante d’un poème de Seamus Heaney, poète irlandais aimé et reconnu pour ses évocations sensuelles de la nature. Et puis, le grandiose « Funeral Suit » qui renoue une fois de plus avec la faucheuse : « La chanson est complètement autobiographique. Au tout début de notre relation, mon petit ami est venu me voir après les obsèques de sa grand-mère. » En rentrant chez eux, ils dansèrent « partout dans cette cuisine inconnue… » C’est à ce moment-là que les premières bribes de la chanson furent chantonnées. En fin de compte, si la mort ruisselle aussi joliment dans « At Swim », c’est que Lisa a confronté et accepté son intention : définir le premier sens de la vie.

crédit : Rich Gilligan
crédit : Rich Gilligan

« At Swim » de Lisa Hannigan est disponible depuis le 19 août 2016 chez [PIAS].


Retrouvez Lisa Hannigan sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante