[LP] Lewis Evans – Man in a Bubble

Sur le banc des accusés, un certain Lewis Evans, déjà bien connu de nos services pour des délits mineurs en solo mais déjà ouvertement répétés. Nous n’évoquerons même pas l’épais dossier The Lanskies, et encore moins celui d’Aftersex,tant ceux-ci pourraient aggraver notre exaspération du jour. Car ce trublion anglo-normand ose aujourd’hui dépasser les limites de l’acceptable en libérant, avec une totale insouciance, une insidieuse collection de pop songs lumineuses et jubilatoires, sous le trop naïf intitulé « Man in a Bubble ».

Des quatre coins de la France, et maintenant depuis l’étranger, des dépôts de plaintes incessants nous parviennent chaque jour par recommandé. En effet, alors que certains musiciens, même après des années de galère et de répétitions, n’effleurent parfois que du doigt le Saint-Graal, c’est avec une désinvolture stupéfiante que le prévenu se permet d’aller déranger, sur leurs propres terrains, des monuments de la « pop music ».

Heureusement pour l’industrie du disque, cet album ne comporte que dix titres : un peu plus, et le gamin sortait un double album, de quoi écœurer tous les groupes en « The » nous confiant chaque jour leur grand espoir de percer. Lewis Evans semble, lui, assez loin de ces considérations parfois très calculées et vides de sens. Mu par une envie de jouer débordante et animé par des aptitudes musicales peu communes, notre homme s’est fait tout simplement plaisir avec son deuxième album. Un disque qui pourrait passer pour un impressionnant exercice de styles, tant il évoque la discothèque pop parfaite, depuis les grands albums indispensables des Beatles jusqu’à The Last Shadow Puppets.

Si notre musicien était acteur, nous évoquerions de suite l’école « Actor’s Studio » pour symboliser cette étonnante capacité à pénétrer des ambiances totalement renouvelées d’un morceau à l’autre. Bien sûr, et peut-être pour maquiller une sensibilité à fleur de peau, Lewis Evans se joue des excès et de l’emphase pour créer un personnage de crooner aussi fascinant qu’énervant (jaloux, nous ? Non, jamais !). Il se positionne assez facilement comme un alter-ego de l’américain Adam Green, et particulièrement celui de l’album à paillettes « Gemstones », sorti en 2005 sur le label Rough Trade : cette même soif de créer, de surprendre et de se surprendre, en dépassant d’ailleurs le strict cadre de la musique, lorgnant du côté du cinéma et de la littérature. Ce besoin jamais totalement assouvi de colorer le monde et de faire tomber les frontières.

Attention : Lewis Evans n’a rien d’un plaisantin. Chaque morceau de « Man in a Bubble » est le fruit d’un travail accompli et abouti, souvent sublimé par d’étonnantes rencontres avec des musiciens exceptionnels, comme l’accordéoniste Howard Schmengen. De toute façon, l’inspiration demeure polymorphe, sans oublier d’être limpide et – plus important encore – cohérente. Car c’est évidemment la grande force de ce disque que d’imposer une véritable continuité dans le tracklisting, en dépit d’une versatilité de façade. Difficile d’isoler un titre plus qu’un autre. Le single « Spring » et son clip délicieusement bucolique et décalé nous avaient déjà tapé dans l’œil au printemps. Il conjugue, pour notre plus grand bonheur, l’approche pastorale de Tuung avec l’élégance « so British » d’un Richard Hawley.

Le très rythmique « Somali Traveller » rappelle, de son côté, les inspirations orientales du rocker Rachid Taha ! Forcément, les Clash et Joe Strummer ne sont jamais bien loin. Et sur le final très western spaghetti, nous pourrions même percevoir l’esprit grandiloquent et très « moriconnien » des merveilleux Calexico. Forcément, le côté foisonnant de « Man in a Bubble » peut entraîner des réflexes de rejet ou provoquer un sourire exaspéré aux coins des lèvres. Mais une question se pose : est-ce que cet album reste seulement l’expression d’un besoin (ré)créatif, ou atteste-t-il d’une volonté parfaitement assumée d’oser jouer avec les codes, à la frontière de l’irrévérence, du pastiche, de la parodie et de la déclaration d’amour du fan transi ? Difficile de répondre ; mais, pour notre chanteur, la musique doit rester cet espace de liberté, où tout est possible, et où les seules limites sont celles que chacun s’impose. La fin de l’album, et particulièrement le morceau « All The Night » permettent d’ailleurs à notre musicien de se révéler sous un jour plus intime, dans une mise à nu fragile et resserrée, extrêmement touchante de par sa douce mélancolie. Tout comme des artistes aussi décalés et mouvants que Sufjan Stevens ou encore Matthew E. White, Lewis Evans ne semble pas du genre à pouvoir être enfermé dans les cases d’une étiquette qui vous colle parfois trop longtemps, et de façon injuste, à la peau.

Que souhaiter de mieux à ce disque, sinon de croiser la route d’un large public ? Car en réalité, sous le vernis de l’exubérance, il dessine les contours d’un univers extrêmement singulier et riche. À tel point que nous pouvons affirmer que cet album ne peut uniquement être considéré comme le manifeste d’un ludisme musical, mais beaucoup plus comme celui de pouvoir rester soi-même dans toutes les dimensions et les nuances, parfois opposées, de sa propre personnalité. C’est, en substance, ce que semble avoir parfaitement assimilé notre coupable du jour, Lewis Evans, pour un résultat qui ne peut laisser indifférent et laisse présager d’un avenir radieux et exponentiel.

« Man in a Bubble » de Lewis Evans, sortie le 20 octobre 2017 chez ZRP / Deux Minutes Trente.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.