[Live] Levitation France 2017, jour 1

Nous étions au théâtre du Quai pour la cinquième édition de Levitation France, dédiée aux musiques et aux cultures psychédéliques des années soixante à nos jours. Comme lors des précédentes éditions, le spectre musical couvert par la programmation était large et varié, allant du rock psychédélique le plus traditionnel à la musique électronique, en faisant des détours bienvenus par des sonorités plus orientales ou exotiques. Retour sur la première soirée d’un festival toujours aussi passionnant.

Bo Ningen – crédit : Erwan Iliou

Article écrit par Maxime Antoine, Sébastien Michaud et Maxime Dobosz – Photographies par Erwan Iliou

Le propre des bons festivals est de savoir évoluer avec le temps, bien sûr, mais aussi de rester fidèles au fil des années, involontairement ou non, à quelques repères qui leur sont propres. Des repères majeurs ou anecdotiques, mais qui ont le mérite de conférer à l’événement une saveur et une identité tranchant avec les transhumances rock’n’roll estivales les plus populaires, où le succès se mesure au nombre de merguez frites et de litres de bière écoulés ainsi qu’à la présence ou non de grandes têtes d’affiche. Bref, pour être plus clair ici : point de Levitation France sans ces petits détails qui amusent, intriguent, énervent ou forcent l’admiration, mais qui finissent par relever au final de la tradition. Et la tradition, en France, on aime ça. Re-bref, le petit frère européen du Levitation austinite fût encore cette année, en marge d’une programmation de haute tenue : un bon nombre de hipsters de 20 ans au look de vieux babas cool, quelques vrais vieux babas cool venus retrouver les sensations en quadrichromie de leur jeunesse sans trop forcer (cette fois) sur les acides, des food-trucks où le temps d’attente ne dépasse pas les 10-15 minutes (dingue !), quelques groupes dont on se demande encore quelles connections ils entretiennent avec le terme de musique psychédélique, et enfin l’incontournable groupe angevin ouvrant les festivités.

Dans une salle T400 d’abord quasi vide, VedeTT va réussir à faire léviter les festivaliers les plus ponctuels en truffant sa cold wave du 21e siècle d’effets cosmiques parfaitement dosés. On plane autant que l’on bat de la semelle sur ces nappes de synthés vaporeux, ces mélodies fluides, ce chant souvent plaintif (hello Robert Smith !) du ténébreux moustachu Nerlov et cette basse moelleuse que les prouesses de Stw, guitariste en chef allumé de trois autres collectifs angevins, viennent baigner d’une petite bruine d’acide. La majorité de l’album « Tuer les gens » est jouée ce soir, ainsi qu’un nouveau titre aux accents « floydiens » bien dans l’esprit de l’événement. 35 minutes après sa montée sur scène dans un silence de mort, le trio prend congé sous une salve d’applaudissements et avec la certitude du devoir accompli.

Lorsque les Californiens de Cosmonauts arrivent sur la scène du Forum, c’est un peu comme si nous étions instantanément transportés dans les années 90. Looks grunge, attitude très décontractée, limite flegmatique, le quatuor s’embarque dans un alt-rock très agréable et efficace qui part de Weezer (pour les mélodies et le côté power pop) ou de Sonic Youth (pour une tendance à déverser dans la décharge de bruit inattendue) et nous emmène progressivement sur des terres très différentes, celle d’un rock psychédélique hypnotique au son garage assez lo-fi qui se déroule sur de longues plages répétitives noyées dans la réverbération et d’où émerge la voix nasillarde du chanteur, un peu comme si le fantôme des Black Angels avait peu à peu pris possession de la scène. Les morceaux s’enchaînent sans pause ou presque pendant une bonne partie du concert, qui nous happe irrésistiblement vers ses rivages incertains, tantôt noisy et punk, tantôt bluesy et psyché East Coast. La rêverie au groove somnolent s’interrompt parfois pour des décharges électriques surprenantes, comme ce riff et ce refrain de « Need You Tonight » d’INXS qui débarque en plein milieu d’un morceau très jam, mais le réveil est brutal lorsque, par manque de temps pour jouer un morceau de plus, le concert s’arrête de façon un peu cahotante.

Nous filons voir Ulrika Spacek pensant dans un premier temps tenir les dignes héritiers de Sonic Youth et DIIV. Malheureusement, les guitares grincent autant que le chanteur se montre plein de timidité : c’est propre, ça caresse dans le bon sens du poil, mais ça ne provoque pas grand-chose au final, la faute à une formation sûrement trop inhibée qui n’ose peut-être pas encore aller au bout de la saturation de ses instruments. Le groupe se dévoile probablement d’une meilleure manière dans un plus petit lieu avec une proximité plus grande avec le public. Finalement, un concert où l’on sort sans suer, est-ce vraiment un concert ? Autant écouter son dernier album un peu fort, confortablement installé.

Bo Ningen était le premier vrai gros morceau de la soirée. Pour ceux qui les connaissaient de leur tournée avec Savages (le groupe, basé à Londres, a collaboré avec Jenny Beth qui les a invités en première partie), c’était la promesse d’un spectacle visuel assez dingue, d’une performance scénique et sonore furieuse et imprévisible. Pour ceux qui ne les connaissaient pas, c’était la curiosité de découvrir un intrigant groupe de jeunes Japonais androgynes vivant en Angleterre et qui font de plus en plus parler d’eux. Le début du concert se fait en douceur, sur des terres planantes résolument marquées du shoegaze moite du dernier album, mais déjà, çà et là pointent des saillies de psyché-punk ultra violent et bruitiste. Les looks des musiciens sont toujours parfaits, mention spéciale au tricot orange à mailles larges du bassiste-chanteur qui n’arrête pas de retrousser ses manches et dont les cheveux traînent sur les cordes de son instrument. Les lumières et la brume qui envahissent la scène peu à peu placent le tout dans une atmosphère prenante et insolite d’où émergent les silhouettes héroïques et fantomatiques des Nippons, friands de poses spectaculaires et de gestuelle étudiée. Et puis tout explose, le débit vocal se fait ultra rapide, entre anglais et japonais au kilomètre dans des stances presque rappées (« Henkan »), envoyant des riffs de stoner heavy pachydermiques, s’embrayant dans des envolées ultra vénères qui nous font saigner les oreilles ou repartant sur les horizons plus doux d’une musique finalement assez planante, le tout sans jamais prévenir. Ainsi un titre tourne à la jam funky, lorsque le monumental dernier morceau (la suite « Daikaisei ») part lui sur un krautrock fiévreux évidemment mâtiné de japanoise, sorte de très d’union entre Can période Damo Suzuki et les expérimentations bruyantes de High Rise et des Rallizes Dénudés. Sur la vingtaine de minutes que dure cette apothéose d’intensité, Taigen Kawabe le bassiste-chanteur et leader du groupe devient véritablement un bass-hero qui impose sacrément le respect, venant jouer un pied sur la barrière, ôtant son pull et se calant la basse dans le nombril ou derrière les oreilles avant de finir le concert en sautant depuis la batterie. Seule minuscule ombre au tableau, on avait connu le guitariste rouge Kohhei Matsuda plus expressif que lors de ce concert où il est resté relativement en retrait.

Pas grand-chose à dire sur l’assez ennuyeux concert du duo The KVB, une formule qui n’aura d’ailleurs réussi à pas beaucoup d’artistes sur le festival, proposant ici une new wave aux accents vaguement psychés, mais surtout aussi molle que planante, assez facile et prévisible pour un groupe pourtant considéré comme actuel fer de lance de la nouvelle scène dark wave. Pour sa défense, il est difficile de passer entre Bo Ningen et Group Doueh & Cheveu, deux formations qui envoient du lourd côté énergie, et l’atmosphère gothique et minimaliste de leur concert tourne malheureusement vite au soporifique.

Versant scénique de l’album assez fou issu de la collaboration entre les fous furieux français de Cheveu & Group Doueh, formation basée dans le Sahel marocain qui métisse musique traditionnelle, rock psychédélique et blues touareg, le projet auréolé d’une belle réputation à l’issue d’une longue tournée où ils ont enchanté de nombreuses audiences nous donnait beaucoup à attendre de ce concert qui s’est au final avéré assez frustrant. D’une part parce que le public n’était pas forcément réceptif, traversé par un groupe de relous encore plus perchés que David Lemoine, le chanteur de Cheveu connu pour ses élucubrations absurdes en concert (et sur disque, d’ailleurs), mais aussi parce que le son était mal réglé, noyant la logorrhée du bordelais derrière la musique dansante et entraînante des deux groupes conjoints. Privant ainsi cette belle union de son élément le plus libre et le plus fou, tout le concert en pâtit, boitillant d’une chanson à l’autre en alternant morceau des Africains réinterprétés à la sauce française et réciproquement. Autre problème de taille, le choix de les faire jouer sur la scène du Forum et non en T400, séparant ainsi public et musiciens par le crash photo là où il n’y aurait qu’une estrade dans la plus petite salle, propice aux échanges entre les artistes et leur public, échange qui eut été ici crucial – le concert lyonnais s’était par exemple conclu par vingt minutes de musique traditionnelle endiablée avec la moitié du groupe dans le public en train de danser avec les gens. La musique était en partie là, mais la vie et la folie ont cruellement manqué à ce concert qui s’achève néanmoins sur une belle plage plus orientée électro particulièrement réussie (car instrumentale).

Répétant en pire le naufrage de The KVB une heure plus tôt, le producteur et musicien Matthew Barnes, aka Forest Swords, pour l’occasion accompagné d’un guitariste, délivre un triste et glacial concert sans âme où des couches de guitare gorgée d’effets viennent se caler sur des beats froids et robotiques délivrés avec un sérieux des plus déconcertants. La sévérité de cette musique qui aurait appelé un peu plus de folie ou de liberté bloque toute émotion et nous quittons rapidement les lieux pour nous placer devant Slowdive.

Ce concert était un véritable privilège. On a pu le lire à peu près partout, la reformation de Slowdive est une réussite totale, tant sur disque que sur scène. En effet, ce vendredi soir, le quintet anglais, initiateur du shoegaze, volait littéralement au-dessus du public de Levitation. La setlist, généreuse et pointue, alterne entre extraits du dernier album éponyme (« Slomo » en ouverture, le tube « Star Roving » un peu plus loin surtout « Sugar for the Pill » un peu avant la fin du set) et classiques du répertoire du groupe. Le deuxième album « Souvlaki » est bien sûr mis à l’honneur, et si le public entonne « When the Sun Hits » et « Alison » avec ferveur dans les premiers rangs, un titre plus expérimental comme « Souvlaki Space Station » impose un silence révérencieux. Des deux autres albums des années 90, seuls « Catch the Breeze » et « Crazy For You » sont joués, et on se prend à regretter que les musiciens ne nous gratifient pas d’un « Rutti » ou mieux, d’un « Spanish Air » qui auraient porté ce très bon concert vers les cimes. L’ensemble est exécuté avec une belle générosité tant et si bien qu’il est agréable sinon follement jouissif de voir la bande de Rachel Goswell et Neil Halstead prendre autant de plaisir sur scène. Une question d’échange, simplement ? Le final merveilleux sur la reprise de Syd Barrett, « Golden Hair », qui devient un morceau de post-rock épique, et surtout le rappel inattendu avec « 40 Days » confirment cette impression.

Dernier gros nom de la soirée, les Japonais du collectif Acid Mothers Temple, ici dans leur itération & The Melting Paraiso UFO, leur incarnation la plus prolifique en studio et la plus facile à voir en live, disposent d’une heure pour nous faire voyager avec leur space rock débridé à l’humour volontiers potache. Tout y est, du jeu pyrotechnique du vénérable Kawabata Makoto qui n’hésite pas à sortir le tournevis pour maltraiter sa six cordes, à son acolyte aux longs cheveux blancs et à la moustache impressionnante qui tient les claviers et s’embarque dans un fabuleux solo cosmique de thérémine. Mais c’est surtout le guitariste travesti et son improbable strip-tease sur fond de transe disco de l’espace qui marque les esprits de ce concert racé et d’une implacable précision derrière la façade farfelue. Cinq morceaux seront joués, tous suivant un modèle de thème et variations en crescendo hypnotique, jusqu’au final explosif à vous en retourner la cervelle, probablement le meilleur moment de toute la soirée.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique