[Live] Levitation France 2016, jour 1

La quatrième édition du désormais incontournable Levitation France prenait cette année place dans un nouveau lieu d’Angers, l’imposant théâtre et centre de danse contemporaine du Quai. Le temps de deux soirées, le petit frère français de l’Austin Psych Fest déroulait une programmation impressionnante et sans fautes de goûts ou accidents de parcours pour une édition particulièrement mémorable. La soirée du vendredi 16 septembre était placée sous le double signe du krautrock et du garage pour une sélection de concerts solides entre rock puissant et envolées électroniques.

Thee Oh Sees © Fred Lombard

Article écrit par Maxime Antoine et Yann Puron

Après avoir fait un petit tour du propriétaire à l’ouverture des portes et découvert les imposants volumes dédiés au festival par Le Quai, nous rejoignons la salle T400 plongée dans une pénombre de circonstance pour assister au premier concert du millésime 2016 de Levitation France. La lourde tâche d’ouvrir les hostilités revient à un groupe local dont on n’a certainement pas fini d’entendre parler, Sheraf. Cette formation rock classique à quatre musiciens envoie un rock bien lourd pétri d’influences qui vont du garage au stoner, d’Alan Vega à Ian Dury. La voix caverneuse du chanteur, Tucker, se pose sur des riffs poisseux et agressifs envoyés par un guitariste et un bassiste capuchonnés. Des rythmes motorik se font parfois une place au milieu des saillies stoner sur des morceaux plus énervés. Le groove se fait infectieux, la basse hypnotique, mais le groupe est encore un peu timide. Tucker essaie de détendre l’atmosphère, s’adresse au public qui n’ose pas se coller à la scène, en l’absence de fosse photo. Le concert évolue ensuite sur des sphères plus ouvertement psyché, avec un passage space rock, un chant incantatoire et du tambourin. Le groupe joue son prochain single « One Knife », un titre nerveux et ramassé, mais finit son concert sur deux titres plus violents, le premier avec un chant monocorde sur fond de krautrock sombre et le dernier nettement plus agressif, sorte de version psyché du classique des Stooges, « 1969 ». Globalement une excellente mise en bouche avec un son solide, des compositions efficaces et une bonne présence sur scène avec leurs blousons en jean floqués du nom du groupe comme un gang, pour un concert qui donne le ton global de la soirée dans cette salle T400, nettement plus sur une frange dure du psyché que le Forum, qui nous réserve des moments plus pop ou électroniques.

Forum que nous rejoignons alors pour assister à l’étrange et sympathique concert des Suisses de Klaus Johann Grobe, un quatuor tout en flûte traversière, percussions diverses et gros synthés qui rappelle autant l’école de Canterbury que les groupes de krautrock type Amon Düül II, mais dont le son reste très orienté pop avec des influences soft rock, jazz, prog ou même disco. Il nous faut quelques minutes pour percuter que le tout est chanté en allemand – suprême audace qui rajoute du caractère et de l’excentricité à une musique déjà bien chargée de ce côté-là. Dans le public, des danseurs déjà perchés très haut (à 19 heures) se prennent pour des derviches tandis que sur scène nos hippies suisses nous exhortent à danser à grand renfort de « Come on babe, tanzen tanzen tanzen ! ». Le tout est aussi délirant que charmant, comme si Tame Impala était devenu suisse allemand le temps d’une improbable virée kraut et eighties à la fois. Une grosse ligne de basse tournoyante débarque, le chant se fait répétitif et la flûte part en solo pendant que le groupe s’aligne sur une section rythmique directement sortie d’un album de CAN ou du « Hallogallo » de Neu!. Le concert s’achève sur une piste nettement plus accrocheuse et dansante, avec un synthé assez irrésistible et une vibe funky pas désagréable, pendant que le chanteur débite toujours en allemand des paroles complètement absurdes avant de laisser les instruments partir dans une dernière jam joyeusement barrée. Une curiosité rafraîchissante.

Le groupe suivant, La Hell Gang, nous vient du Chili. Un de ses membres est d’ailleurs le frère du leader de Föllakzoid, autre groupe andin programmé dans la salle T400 en fin de soirée. Mais contrairement à ces derniers, les musiciens de La Hell Gang ne donnent pas dans la musique motorik planante et répétitive, ils sont là pour balancer du gros hard psych à l’ancienne, façon Blue Cheer ou Tarkus (influent groupe de hard rock psychédélique péruvien des années 70). Sur une formation de power trio classique, la basse et la guitare, gorgées d’effets, balancent un blues fuzzy à souhait dominé par une batterie tentaculaire qui fait toute la différence et nous extirpe de cet épais magma sonore. La voix est d’ailleurs plutôt noyée dans le mix et les morceaux sont essentiellement instrumentaux, construits sur des rythmiques complexes et obsédantes, des riffs hypnotiques et des envolées de guitare plus violentes. Dans le public, un type arbore un T-shirt Hawkwind de circonstance pour ce concert qui préfigure en plus brouillon celui de Dead Meadow le lendemain. Le bassiste est gaucher, chose assez rare pour être notée, et certaines rythmiques se rapprochent de leurs compatriotes Föllakzoid en ce qu’elles rappellent terriblement Neu!, décidément un groupe qui sera beaucoup cité tout au long de ce festival. Sur un passage plus calme, nous nous apercevons que le micro du chanteur semble en fait fermé, et ce problème est résolu un couplet plus loin pour un morceau qui sera au final totalement épique, en forme de montagne russe guitaristique. Les deux derniers morceaux renouent l’un avec l’aspect plus bluesy du groupe, l’autre avec une veine plus hard rock, ponctuée d’un énorme solo de guitare et d’un impressionnant riff de basse. Une découverte sympathique malgré un petit problème de son.

Nous retournons au Forum pour le concert du Golden Dawn Arkestra, qui, on vous rassure, n’a rien à voir avec l’Aube Dorée. Au contraire, le collectif d’afrobeat venu d’Austin au Texas reste la plus belle surprise de ce festival. Leur nom faisant référence au Sun Ra Arkestra, ils s’en sont profondément inspiré pour leur projet, tant musicalement que visuellement. Sur scène, de sublimes costumes mélangeant cultures africaines et orientales régalent les yeux du public qui danse sur les rythmes funk, jazz voir disco d’un Golden Dawn Arkestra très communicatif. Les prestations de danse des musiciens, omniprésentes avec des accessoires tels que cette robe aux bras arborant des rideaux pailletés en aura fasciné plus d’un. Un show magnétique, irrésistible, magnifique et inspirant qui aura apporté une ambiance positive et bon enfant à un festival souvent plongé dans un rock obscur.

Parenthèse enchantée qui ne dure qu’un temps avant de retrouver le rock dur de YAK du côté de la salle T400. Phénomène montant de la scène garage britannique, c’est toujours un plaisir de retrouver l’énergie brutale et bordélique que communique ce trio. Le fait le plus marquant de leur concert angevin reste ce problème de guitare en début de set qui transforme un morceau habituellement court et nerveux en énorme jam psyché basse / batterie improvisée le temps que le musicien règle son problème, qui dure encore sur la chanson suivante, transformant le début de concert en imprévisible foutoir psychédélique jusqu’à l’explosion démente de guitare enfin réparée et tant attendue. L’ambiance change radicalement, le public devient fou et saute de partout, crowdsurfe à tout va, guitariste y compris. Nous assistons à une belle invasion de scène vite canalisée par une sécu par très conciliante et le concert se poursuit sur les chapeaux de roue, comme un avant-goût de ce que donnerons ensuite (en mieux) les Thee Oh Sees. Néanmoins Yak est un groupe toujours aussi excellent en live et nous parions que ce n’est pas prêt de changer.

Changement d’ambiance au Forum avec un exceptionnel concert de Zombie Zombie, trio français lorgnant clairement sur le krautrock tendance électronique qui nous enchante avec ses compositions particulièrement tripantes qui vont du jazz à la techno, portées par deux batteurs percussionnistes, du saxophone, des boîtes à rythme et un synthé. Les passages les plus ouvertement électroniques rappellent aussi bien les vieux Kraftwerk ou Cluster qu’une autre formation française actuelle, Drame, tandis que certains passages motorik surmontés de saxophone nous font tout bonnement halluciner sur fond de projections psychédéliques démentielles. Tout le concert est en plus pensé comme un monumental crescendo qui met les sens en éveil et nous donne envie de poursuivre dans cette voie encore un peu.

C’est chose faite avec le furieux concert d’Usé, qui délivre ce qu’on peut appeler un set court et efficace. Prendre la suite de Yak qui avait retourné la salle du T400 était un véritable défi que Nico Belvalette a su brillamment relever à lui tout seul. Mettant corps et âme dans son jeu de batterie accompagnant des beats électroniques rugueux, Usé porte très bien son nom tant il a l’air de pousser son énergie jusque dans ses limites les plus profondes Le résultat : une expérience intense, fascinante, prenante. Du psychédélisme pur, sans réverbération. Le public est déchaîné, comme souvent avec Usé, dont l’hymne « Amphétamine » issu d’un premier album fracassant « Chien d’la casse » paru l’an passé est particulièrement révélateur de l’univers du musicien originaire d’Amiens. Son mélange de techno et d’indus fait des étincelles et ses interludes de chanson sont absolument improbables. Comme il l’avait fait au festival des 3 Éléphants en mai dernier, Usé termine son concert par un numéro de danse bien personnel sur le « Billie Jean » d’un certain Michael Jackson, dont il tente de rallier les battements de son cœur avec celui des beats de la musique. On espère que le micro était lui inusable.

La soirée accuse ensuite un léger coup de mou avec deux concerts relativement décevants qui cassent un peu l’ambiance survoltée de la soirée juste avant la décharge Thee Oh Sees. En effet, le vétéran Silver Apples au Forum donne dans l’électronique expérimentale volontiers ambiante et alterne morceaux de ses premiers enregistrements et titres de son dernier album paru récemment, mais si le tout est assez cohérent et plutôt intéressant musicalement, le trip est bien trop doux et trop calme après les furies de Usé ou de Zombie Zombie et la redescente assez violente.

Phénomène d’ailleurs confirmé juste après en salle T400 par le concert le plus perché du festival, celui de Sonic Boom, aka Spectrum aka Peter Kember, un ex Spacemen 3 qui a fait évoluer son space rock vers des territoires drones et minimalistes résolument planants, mais au calme souverain. Sans doute la prestation la plus polarisante du festival, adorée par les amateurs du genre qui y ont vu le trip suprême, mais boudée par ceux venus chercher un peu plus de rythme dans leur psychédélisme. Quelques morceaux se détachent de ces nappes entre blues, musique minimaliste, space rock et drone ambient, comme « Transparent Radiation ». Certains passages rappellent le Velvet Underground ou la Kosmische Musik allemande, d’autre lorgnent vers le raga rock. Tout est gentiment défoncé, planant à mort et nous berce doucement jusqu’à un délire électronique étrange avec une boîte à rythmes résolument en décalage avec les lignes de guitare, ce qui nous sort momentanément de la torpeur ambiante, mais nous y ramène peu à peu lorsque les deux trames parallèles finissent par s’incurver et se rejoindre faisant fusionner deux univers au départ étrangers dans une geste surprenant et assez beau. Étrange et complexe rencontre conflictuelle qui prend peu à peu corps et hypnotise la foule de son rythme schizophrène à la fois lancinant et survolté. Les nappes les plus suspendues font songer à du Tangerine Dream période « Zeit » et le concert dans son ensemble évoque la performance de James Holden aux dernières Nuits Sonores à Lyon, en moins marquant. Nous partons avant la fin et laissons Sonic Boom en plein voyage cosmique devant une foule qui elle, somnole de bonheur.

Les balances de Thee Oh Sees annoncent la couleur du concert à venir puisque le groupe joue de larges portions de ses morceaux devant une foule déjà nombreuse. C’est aussi une des curiosités de ce festival de programmer ses têtes d’affiche en toute fin de soirée, là où la plupart des événements du genre leur réservent le créneau de 21h ou de 22h. Il est pourtant minuit passé lorsque le groupe de John Dwyer prend possession de la scène et délivre tout simplement la meilleure performance rock de la soirée. La sécu continue de faire du zèle avec le public, pourtant cette fois bien séparée de la scène par la fosse photo, mais peu importe, l’ambiance est à la folie furieuse, tout le monde danse et saute, les gens se grimpent dessus et flotte sur une mer de bras tendus pendant que le combo américain aux deux batteurs monstrueux nous laboure les tympans de son garage frénétique et exacerbé. La voix nasillarde de John Dwyer confère au tout une ambiance de cartoon dégénéré tandis qu’il envoie des riffs narquois et acérés ou des solos virtuoses sans jamais être démonstratif. L’autre excellente nouvelle vient de la setist, qui alterne entre les meilleures prises des deux derniers albums et les incontournables des disques plus anciens, ouvrant notamment sur « The Dream ». Le sommet de ce concert énergique et violent reste néanmoins le détour par deux pistes très psychés et plus lentes issues de « Mutilator Defeated at Last », à savoir « Web » et surtout « Sticky Hulks », épopée floydienne gorgée d’acide. À mi-parcours, Dwyer envoie gentiment bouler les projections pour jouer en pleine lumière, sa musique se passant d’artifice, choix que vient confirmer une fin de set particulièrement époustouflante où les deux batteurs sont littéralement déchaînés et où Dwyer fait pleuvoir les solos magistraux le temps d’une odyssée motorik complètement furibarde.

Encore sonnés, nous croisons un musicien lyonnais venu revoir Föllakzoid qui nous confie qu’il avait rarement vu les Thee Oh Sees aussi bourrins sur scène, et nous entrons une dernière fois dans la pénombre de la salle T400 pour nous prendre une dernière baffe monumentale. Les Chiliens sont toujours aussi perchés et leur musique planante et répétitive est idéale pour redescendre comme il faut de cette soirée. S’enchaînent d’abord les classiques des deux derniers albums, « Trees », « Electric » ou « Feuerzeug », où l’on reconnaît le grattement caractéristique de guitare et les nappes motorik obsédantes directement tirées des premiers albums de Neu! (le mot « hommage » est ici un beau euphémisme, mais soit, c’est le trip qui l’emporte, surtout en live). Mais là où le groupe finit par surprendre et sortir de leurs précédentes performances un peu trop sages, c’est lorsqu’ils se lancent des morceaux (nouveaux ? improvisés ?) qui dépassent allègrement le quart d’heure pour atteindre les vingt minutes sous le signe du stoner psychédélique le plus hypnotique qui soit, explosant au passage l’heure de fin prévue de leur concert, vu qu’ils sont les derniers. La salle est dans une obscurité quasiment totale, et nous dansons les yeux fermés, nous laissant porter aussi loin que peut nous envoyer cette transe. Une sensation d’infini qui aurait pu durer des heures.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique