[Live] LCD Soundsystem et PJ Harvey à We Love Green 2016

Les festivals sont un peu des épines dans les pieds. Le son est plus clair sur les disques. La communion plus facile dans les salles. Pourtant, on s’y attache. On y revient. Cavaler les espaces et les scènes. Survivre aux queues. Douter de la maîtrise du volume. We Love Green a failli nous dégoûter. Seule sa programmation nous a ôté l’épine. LCD Soundsystem et PJ Harvey en tête. Frissons et tremblements.

LCD Soundsystem © Jeremy Toix
LCD Soundsystem – crédit : Jeremy Toix

La pluie et les festivals ne sont pas incompatibles. Pour certains, les averses font même partie de la matrice, de l’identité, du caractère. La boue n’est pas forcément une catastrophe : elle peut être lieu d’anecdotes. We Love Green n’a pourtant pas su passer entre les gouttes et a pris littéralement l’eau : l’annulation de l’Impératrice en est le plus malheureux témoin. Ce festival installé dans le bois de Vincennes qui se vante de faire corps avec l’environnement a trouvé en la Nature l’hostilité. De cette façon, We Love Green est le contraste, jouant des limites, quitte à ce que le mauvais l’emporte sur le bien. Alors que se déroule un débat sur une économie alternative, plus loin se tient le très grand stand du Crédit Mutuel, partenaire financier du groupe Bolloré. Aussi, We Love Green regorge de nourritures aux douces odeurs et aux beaux principes, alors qu’à côté Yves Rocher, écolo seulement grâce aux macabres greenwashing, est présent. Tout au long des allées, au rythme des flaques de boues et des pelouses, le festival s’approprie plusieurs masques. La musique connaîtra également ce double caractère et notamment sur la gestion du son de la principale scène : Savages sera par exemple impossible à écouter, alors que ces filles peuvent pourtant donner un rock vif, mais violemment doux. Il est alors dur de vraiment se faire un avis sur We Love Green, tant il est nécessaire de respecter les artistes. D’ailleurs ce sont les deux têtes d’affiche, LCD Soundsystem et PJ Harvey, qui atténueront le naufrage.

LCD Soundsystem avait annoncé sa séparation en 2011, mettant fin à plus de dix ans de musique, de danse et d’envols planants. En janvier 2016, James Murphy réapparaissait en ces mots « Nous allons jouer partout. […]. C’est le bus plein de profs remplaçants qui reviennent de leur pause-café avec de la musique inédite et le même matériel étrange […], pour remuer et essayer de sonner plus fort que les autres. » Pourtant, ce samedi soir, dans le bois de Vincennes, LCD Soundsystem n’avait pas l’allure d’un groupe de remplaçants : tout était très finement préparé, très parfaitement construit pour offrir un exercice de minutie. Pendant plus d’une heure, les Américains ont donné à voir la grâce et l’emballement. Sous leurs nappes électroniques très fièrement martelées, les teintes rocks et la voix qui connaît les gouffres et les aériens, les bottes se détachaient de la boue pour permettre la danse. Les corps découvraient l’apesanteur, sous un ciel qui avait abandonné la pluie. LCD Soundsystem était alors grand par sa classe. Présence magnétique. Renaissance jouissive. Le charisme se retrouve dans la beauté des visages, beaux et dignes. Il y a chez eux, ce grand sens de l’écoute, où la musique apparaît autant scientifique que facile. La maîtrise se confond avec la grâce. Bien sûr, James Murphy marque par sa posture. Aura électronique. Au-delà de la scène, le concert sera amené par la vidéo offrant sur grands écrans toute la puissance LCD. Alors, la première soirée de We Love Green se conclura par une grande classe enchaînant les tubes, de « Dance Yrself Clean » à « I Can Change » en passant par « New York, I Love You But You’re Bringing Me Down ». LCD Soundsystem n’a pourtant pas fait toucher le fond, mais bien donné l’extase. Magie effervescente dans l’Est parisien.

PJ Harvey est chamanique. Elle marque les âmes, les corps et la vision. Elle resplendit sous les traits d’un ange connaissant l’obscurité et dont la musique est pourtant parcourue par une certaine lueur. Sur scène, son nom se transforme en groupe. Ils arrivent sous les pulsions des tambours et des cuivres. Danse macabre aux saveurs fédératrices. Salvatrices. Les voix se mêlent, le chant devient chœur. À l’aigu répondent les voix mâles. Il y a dans cette communion quelque chose de l’incantation rock, du frisson. La musique s’appréhende comme une atmosphère. Impalpable telle une brume, PJ Harvey est une magicienne. Elle transforme les matières et les sens. Le concert devient alors quelque chose de métaphorique, où peuvent s’entrevoir des choses bien plus profondes, bien plus intimes. Sur la boue de We Love Green navigue un effluve sorcier. Porté par son dernier album « The Hope Six Demolition Project » et par des pépites fantomatiques et fantastiques de ses précédents projets, l’Anglaise atteint la pureté. Les cuivres foisonnent et permettent de connaître le terrible et le solennel. L’intense et le bouleversement. « The Community of Hope » tel l’élan dévorant. « The Orange Monkey » ; le groove moite et éclairé. PJ Harvey est la beauté. Celle qui frappe par son intensité. Celle qui fige par sa douceur. Celle qui renverse par son vertige. Pour clôturer We Love Green, l’Anglaise a donné une prestation, si ce n’est une leçon, magistrale, pétrifiante par son sublime et son instinct. Troublant et fascinant.

LCD Soundsystem et PJ Harvey ont tenu la barre d’un navire perdu dans la tempête. Ils ont sublimé la défaite et la marée noire. La question que posent leurs concerts est celle de la préparation. Eux deux ont présenté des moments qui malgré leur subtilité avaient le coffre de show. Alors sur cette terre parisienne et emplie d’eau, il était bon et nécessaire de se prendre une claque bienveillante et minutieuse par deux grands monstres. La musique est apparue alors comme une grande partie de plaisir, d’envol, mais surtout de générosité et de sérieux. Merci.


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes