C’est l’histoire d’un rendez-vous calé en dernière minute avec le phénomène rock français Last Train, juste avant son concert dans un Stereolux très réactif et acquis à sa cause. Un peu ce qu’on ressent quand un groupe joue à domicile. Antoine, Tim, Julien et Jean-Noël nous ont fait l’amitié de se libérer avant leur montée sur scène pour répondre à nos questions. Une interview très décontractée dans laquelle ses quatre membres sont arrivés les uns après les autres, pour nous livrer réunis toute la vérité sur leur évolution et nous en dire un peu plus sur leur place respective dans leur entreprise musicale qui fait des émules. Nous n’avons pas manqué d’évoquer la sortie récente de leur nouvel album « The Big Picture » tout comme leur regard dans le rétroviseur depuis leur rencontre au début des années 2010 ainsi que de leur insatiable curiosité pour toutes les facettes et les enjeux du monde de la musique.
- Comment a évolué votre approche du travail entre votre premier album et celui-ci ?
Antoine : L’histoire de Last Train, c’est un groupe qui s’est formé au collège. On a joué ensemble pendant des années. On a commencé à tourner en 2014 à la fin de nos études supérieures. En fait, on a commencé à tourner sans même avoir d’album. On a fait un EP avec deux titres et on est partis sur les routes. On a fait ça de moitié 2014 à fin 2017. Au final notre album on ne l’a sorti qu’en 2017. Le premier album, on l’a enregistré sur la route. On a fait 300 concerts tout en l’enregistrant. C’était pas mal d’allers-retours. C’est un album qui est fait pour la scène. Il est assez cash, rock et rentre-dedans ; ce qui représente bien ce qu’on était à l’époque. Pour ce deuxième album, on est passé de nos 20 à nos 23-24 ans et pendant cette période-là on s’est pris plein de trucs dans la gueule : un peu comme tout le monde entre 20 et 23 ans, il se passe pas mal de choses à ce moment-là de la vie. Tu n’es pas la même personne à 20 ans qu’à 23. Pour cet album, on a eu besoin de respirer. Ce qui fait qu’on a fait une pause d’un an. Enfin, on l’a composé pendant cette année, on a aussi monté un festival et on a pu se concentrer sur la boite de booking : Cold Fame. Au final, on n’est pas restés inactifs, mais on a pu prendre un peu plus notre temps. Réfléchir à qui on était. Cet album, en opposition au premier, est plus posé. J’ai l’impression qu’on est allés plus en profondeur des choses, que ce soit du point de vue musical, des paroles ou de la prod. On a plus pris le temps de le faire parce qu’on en avait envie et besoin aussi, je pense.
- Avec votre premier album, on parlait d’un show assez animal et intensif. Comment votre relation a la scène a-t-elle évolué au fil du temps, vous êtes-vous assagis ?
Antoine : Je ne pense pas. En tout cas, pas sur l’énergie. C’est juste peut-être un peu moins « gratuit ». On disait, avec le premier album, qu’il y a un côté très cash : « Vas-y envoie un gros riff, et puis on reprend… ». Sur le deuxième il y a aussi de la violence. Il y a aussi des trucs lourds. Sur la fin ou même le milieu de « On Your Knees », il se passe des trucs assez prenants émotionnellement et assez violents musicalement. Les nouveaux titres s’intègrent assez bien dans cette nouvelle setlist. Au contraire, je dirais qu’ils la servent bien. Sur les concerts qu’on a faits pour le moment, les retours sont assez positifs. L’inconvénient, c’est qu’on a deux albums maintenant et on ne peut plus tout jouer, mais ils s’intègrent bien. Ce sont des morceaux assez énergiques aussi.
- À propos du deuxième album, tu dis avoir des morceaux avec des phases un peu plus doux/calme, est-ce un moyen de vous préserver d’un point de vue énergie sur scène ?
Antoine : Ça n’a pas été fait pour ça non : c’est plus que le rock, il se trimballe une bonne chiée de clichés. On se fait même la blague avec Julien, quand on sort de répète et qu’on fume une clope on dit « Eh oui, je suis dans un groupe de rock ». Du coup tu t’habilles en noir et tu portes un cuir. Il y a un côté un peu beauf, même s’il y en a un peu dans tous les styles de musique. On essaye de s’éloigner de cela. Du coup, avec les années on aime beaucoup aussi écouter de la musique qu’on se dit élégante, bien faite avec de belles mélodies. On aime bien le rock, je pense parler au nom de tous en disant qu’on aime bien un concert de rock qui tabasse à fond, mais on aime bien aussi quand il y a un propos. C’est bien gentil de faire du bruit, mais si tu n’as pas de propos ou d’idée derrière à proposer en plus, c’est un peu dommage. Donc oui, il y a de plus belles mélodies sur cet album et on a aussi aimé faire de la dynamique. Il y a des moments très doux. On les a poussés plus à l’extrême justement. Il y a plus de moments calmes/doux où il n’y a presque plus rien et, au contraire, dans la prog on est allé beaucoup plus haut. On a ajouté des trucs plus violents qu’on n’a pas, ou qu’on ne savait pas, faire sur le premier album.
- Vous avez fait, comme tous les groupes, les premières parties de têtes d’affiche. Maintenant que vous êtes vous-mêmes la tête d’affiche, quel regard avez-vous sur cette expérience ?
Antoine : Je pense qu’on va continuer à faire de premières parties parce qu’il y a encore plein de groupes pour qui ouvrir. Quel regard on porte sur cela ? Déjà, c’est plus fatigant (rire) avec de plus grosses journées, mais c’est super cool ! C’est vraiment sympa de pouvoir être tête d’affiche comme ce soir à Nantes. C’est complètement fou. On a réussi à remplir une salle de 400 personnes. On est trop heureux.
Tim : Je pense qu’on a pris l’habitude d’alterner avec ces deux choses-là. Même quand on est dans un petit bar, on est déjà tête d’affiche. C’est ça qui est un peu drôle. La différence d’être en première partie ? C’est un bon exercice. Tu dois faire tes preuves et convaincre un public qui n’est pas là pour toi. Quand tu es tête d’affiche, tu dois, cette fois-ci, ne pas décevoir ton public (rire). On aime encore convaincre. C’est vraiment chouette. On va continuer. Certes, en France, on va faire une tournée en tête d’affiche, mais aussi ouvrir quand on va en Allemagne ou l’Angleterre, comme récemment où on faisait l’ouverture des Rival Sons.
- Vous avez monté un label nommé Cold Fame Records. Comment conjuguez-vous les deux casquettes ?
Antoine : C’est Jean No qui gère plus cette partie-là. Comment il le conjugue ? En dormant peu et en courant partout. On fait tous plus ou moins des choses à côté du groupe. C’est aussi, comme on disait avant avec Tim, qu’on est curieux d’en savoir plus. Jean No, il dit « C’est trop cool. Certes je suis claqué, mais par contre quand je me couche le soir avec l’impression d’être moins con ! Je comprends comment ça fonctionne. ». On aime beaucoup comprendre comment fonctionne le monde de la musique qui est, mine de rien, assez complexe. On n’a jamais trop fini d’apprendre, je crois.
Tim : L’un va stimuler l’autre. Le fait de ne pas avoir toute la journée à attendre et à se dire « Qu’est-ce que je fais, je vais écrire de la musique ? ». Là tu as la contrainte, si tu veux écrire, de le faire tard en rentrant de ta journée. Tu es claqué, mais tu as peut-être plus de choses à dire et plus envie de les raconter du moins.
- Le label est-il aussi un moyen d’échanger et de partager sur comment faire votre musique ? À quel niveau les groupes que vous produisez vous font évoluer ?
Tim : Pour l’instant, c’est plus des relations amicales et sociales. Rencontrer des gens. Je pense qu’on va y venir à un moment, de composer, d’écrire des chansons et des paroles. En tout cas, ça nous permet d’être en lien avec des artistes et c’est super cool. Peut-être qu’un jour, on les croisera plus souvent. Suffisamment longtemps pour écrire et composer.
- Votre label a signé des groupes étrangers comme Crocodiles (USA) ou EUT (Pays-Bas). Comment les trouvez-vous ?
Jean-Noël : En se déplacent sur tous les festivals et showcases de gauche à droite. Il y a plein de rendez-vous comme ça. Là, récemment, j’étais à Séoul, en Corée du Sud. En fait, on fait un gros travail de repérage avec les agences toute l’année, tout le temps, de savoir quels sont les nouveaux groupes, les nouveaux artistes, mais aussi les anciens. Le but est de récupérer des groupes à gauche à droite. On va voir les gars jouer et si c’est bien on essaye de les signer.
- Vous avez fait le pari de réaliser un clip pour votre titre « The Big Picture », présent sur votre dernier album, à partir des vidéos de spectateur/amis/famille. Est-ce compliqué comme démarche ?
Tim : Là c’est plus à Julien de parler. C’est lui qui a géré cet aspect.
Julien : C’était l’idée, d’utiliser le plus de vidéos différentes possible. C’était lié à une contrainte temporelle. On a eu l’idée de ce clip deux semaines avant la sortie. On n’avait pas le temps de faire un tournage spécifique. On a dû faire avec ce qu’on avait, j’ai l’impression. Au départ, on devait sortir « I Only Bet on Myself » qui se prête plus à un scénario où on aurait pu envisager un tournage, mais on a finalement décidé de sortir « The Big Picture », qui est une chanson de 10 minutes 30 qui est très importante pour nous, qui part dans beaucoup d’émotions différentes. C’est très difficile à clipper. C’était pour moi un gros gros challenge. J’avais très peur, car c’est difficile de mettre des images sur un titre qui se prête à l’imaginaire.
- Quelle émotion ressentez-vous en vous voyant par le prisme des spectateurs, des amis et de votre famille ?
Julien : Là, c’est peut-être plus mes copains qui peuvent répondre. Moi j’en ai vu tellement de vidéos. J’ai la version finale du clip, mais aussi les 35h de vidéos que j’ai travaillées. Ce n’est pas le cas des autres. Là il s’agit plus de juger sur le produit final.
Tim : On est fiers (rire).
Antoine : On est de grands nostalgiques et ce n’est pas pour rien que l’idée de ce clip-là est venue sur ce titre en particulier. C’est peut-être un peu bête de dire « nostalgie », car on a 25 ans ; on a encore plein plein de choses à faire, mais c’est vrai que c’est nostalgique de voir ces concerts de quand on avait 15/16ans où il n’y avait personne et parfois aussi déjà du monde. Quand on voit le résultat et que comme j’ai déjà dit, qu’on remplit une salle comme la micro au Stereolux à Nantes. Oui, c’est une fierté aussi de se dire que Julien a réussi à faire ça en 10 jours c’est quand même pas mal !
Jean-Noël : Plus que de la nostalgie, c’est une forme de recul sur un peu tout. On aime bien comprendre les choses. De voir en grand. D’avoir une vision claire et précise de là où l’on va, de là d’où on vient et de ce qu’on fait. Je pense que dans un sens, je comprends l’aspect nostalgique, mais ce sont des vidéos que tu aimerais bien avoir pour ta life, pour montrer à tes gosses et dire : « Regarde on a fait ça quand ont été gamin et tout. C’était trop cool ». C’est une sorte, on en parlait avec Julien, de reportage, mais comme t’es un groupe de merde, tu n’auras jamais de reportage sur nous sur Netflix (rire). Je l’ai dit à Julien, il a fait la vidéo que j’ai toujours rêvé qu’on ait.
Tim : Et puis qu’est-ce qu’on en a fait des concerts (rire) ! C’est impressionnant quand tu y repenses, que tu regardes chaque image.
- Justement, en 3 ans vous avez joué au Bataclan, en première partie de Muse, de Placebo ou encore de Johnny Hallyday. Quel a été le concert qui vous a le plus ému ? Pourquoi ?
Tim: Ce serait bête de privilégier un concert à un autre. C’est sur l’ensemble. Chaque concert est unique. Après, je peux t’en citer dix : on a joué à la Maroquinerie, c’était ouf, on a joué aux Eurockéennes, c’était ouf, on a joué à Lyon, c’était ouf, et jouer à Nantes, c’est complet, c’est ouf !
Jean-Noël : La première fois qu’on a joué à Nantes, au Ferrailleur, c’était la première fois qu’on avait du monde et qu’on allait vraiment loin dans l’histoire.
Tim : Là, ce soir, c’est la troisième fois qu’on joue à Nantes et c’est complet depuis un mois et demi !
Jean-Noël : Je pense que même s’il y a eu beaucoup de concerts dont on se souvient, sur à peu près tous les concerts et les lieux, on a plein d’anecdotes.
Antoine : Je me rends compte qu’à chaque fois qu’on arrive dans une ville où on a déjà joué on se dit « Ah oui, il s’est passé ça ici », « On a fait tel truc »…
Jean-Noël : C’est la richesse de la vie en tournée. C’est ce qui fait que tu bades un peu quand c’est fini. Tu y fais tellement de choses. Tu vois tellement de choses en très peu de temps. Les journées passent trop vite, c’est abusé ! Cette accumulation, cette richesse de vie, dans un sens c’est beaucoup pour des petites épaules comme les nôtres. C’est ça qui fait que c’est cool et peut-être moins aussi.
- Votre son me rappelle beaucoup le rock des années 90. Je peux même être plus précis en parlant de Nirvana, sûrement en raison du chant et aussi votre titre « Tired since 1994 » (année de la disparition de Kurt Cobain), début novembre sera réédité son live unplugged pour MTV. À quel niveau, ce concert vous a-t-il inspiré?
(rire collectif)
Jean-Noël : Moi j’ai beaucoup écouté Nirvana, j’avoue. Après, ensemble on l’a jamais trop fait.
Tim : Moi, j’ai jamais écouté. Je m’en bats un peu les couilles.
Jean-Noël : Pour moi, ça fait partie – à l’époque, je savais pas de quoi je parlais – de ces voix de ouf. J’aimais bien le sens de la mélodie. C’était une voix tranchée. Il y a tellement de groupes où tu te fais chier et puis tout à coup la voix arrive [bruit d’un chant tout mou].
Tim: C’est à cet instant où tu zappes (rire).
Jean-Noël : Dans le genre, c’est les rois je trouve. (rire) Tout le temps, t’as un riff qui te met dans un mood et puis la voix arrive, et c’est juste une note. Nirvana, il a ce truc. On riait de la question parce qu’on nous dit beaucoup beaucoup que notre son est inspiré ou rappelle les années 90 alors que ce sont des années qu’on ne connaît pas du tout. On ne connaît pas les Smashing Pumpkins, Pearl Jam et tout…
Tim : On ne peut pas t’en citer d’autres d’ailleurs (rire).
[Le groupe nous évoquera hors enregistrement avoir été plus marqué par des groupes comme Wu Lyf. Coup de chance, nous leur avons appris qu’en 2011, ces derniers jouaient sur cette même scène, et ce à leur grande joie.]
« The Big Picture » de Last Train est disponible depuis le 13 septembre 2019 chez Deaf Rock Records.
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