[Live] Laibach au Ninkasi Kao

C’est un concert en deux actes auquel nous conviaient les loustics de Laibach, groupe slovène culte et controversé (à tort) et pionniers de la scène indus. Ils venaient défendre avec culot leur dernier projet, une adaptation à leur sauce de la bande son du classique « The Sound Of Music » (« La mélodie du bonheur » en français) de Robert Wise, avant de revisiter pour le plus grand bonheur des nombreux fans de la première heure leur répertoire plus ancien, non sans un twist savoureux.

Laibach – crédit : Florian Millot

C’est, pour une fois bien installés, au balcon du Kao que nous nous apprêtons à assister au concert de Laibach, histoire de profiter du mieux possible de la mise en scène et des visuels concoctés par le groupe pour le premier acte de son concert, « The Sound of Music ». Pour ceux qui ne connaîtraient pas le groupe et n’auraient donc pas suivi cette affaire, petit rappel utile. En 2015, Laibach devient le premier groupe occidental à se produire en concert en Corée du Nord, dans la capitale Pyongyang. Le groupe joue alors l’intégralité de la bande-son du film de Wise, car c’est une des rares œuvres occidentales (et anglophones) autorisées par le régime, sans doute pour sa candeur apparente, son esprit positif relativement déconnecté de références américano-centrées et pour l’exaltation des valeurs familiales et patriotiques du film (une interprétation somme toute sujette à débats). Le concert est filmé et donnera lieu à un documentaire et à un livre, Liberation Day (au pluriel pour le livre). Trois ans plus tard donc, le groupe enregistre la version studio de ce concert, reprenant toutes les chansons les plus cultes du film, et c’est la tournée de cet album franchement drôle et singulier à laquelle nous allons assister.

Le public, essentiellement des fans de la première heure dont une bonne partie semble ne pas avoir entendu le dernier album, appréciera moyennement le premier acte, dont les multiples couches entre humour, commentaire politique et subversion ne sont pas toujours évidentes à démêler – c’est la spécialité du groupe, qui s’est rendu célèbre et quasi infâme pour certains en adoptant le style vestimentaire et martial des pires dictatures pour mieux les détourner. Gageons que c’est le côté très enfantin des mélodies qui a du mal à passer auprès de ceux plus habitués à une musique « virile ». La quasi-intégralité de l’album sera ainsi jouée, dans le désordre, et le groupe laissant de côté quelques modifications du livret original qui faisaient des clins d’œil appuyés au régime nord-coréen. C’est une sensation bizarre, régressive et jubilatoire d’une façon malsaine, de chanter « Do Ré Mi » et « My Favourite Things » à un concert qui lorgne sur le metal industriel, pendant que des vidéos défilent et mélangent allègrement, dans un esprit de collage ironique et mordant, des archives de guerre, des images de défilés militaires, des éléments de pop culture (un petit poney rose très applaudi) et des avatars explicites de Donald Trump ou Vladimir Poutine. Musicalement, l’adaptation est audacieuse et très réussie, entre plages synthétiques planantes et déferlantes indus, et le chant alterné entre Mina Spiler dans un registre quasi lyrique et Milan Fras, l’influence vocale majeure du chanteur de Rammstein (pour vous aider à situer un peu) fonctionne à merveille, toujours avec ce sens constant et brillant du contraste et du contre-pied. On regrettera juste un peu l’absence des chœurs d’enfants de l’album, qui rendaient le tout encore plus drôle et plus dérangeant, mais ce n’est qu’un détail.

Le deuxième acte quant à lui marque un retour aux sources du groupe et semble être là rassurer un peu les fans (qui a dit rageux ?) en leur donnant presque exactement ce qu’ils étaient venus écouter : les « tubes » (si on peut réellement parler de tubes) des albums plus anciens de Laibach. Pas de soucis de ce côté-là, le deuxième acte est un triomphe tant dans la réception, unanime, que dans l’exécution, qui semble monter de plusieurs crans le niveau du concert. Si nous défendons ardemment le risque et le geste du premier acte, cette deuxième partie de concert met tout le monde d’accord et c’est comme si les amplis avaient été mis sur 11. Le son est écrasant de puissance et de précision, mais le groupe a l’intelligence (sans doute le vocable qui leur correspond le mieux) de ne pas jouer ces quelques morceaux célèbres dans des versions fidèles à celles des albums. Tout est comme remixé, joué à la sauce « Laibach en 2019 », apportant une belle cohérence visuelle et sonore à des morceaux issus pour la plupart du deuxième album du groupe, « Nova Akropola » (1986).

La puissance qui se dégage de ce deuxième set semble être l’œuvre d’un groupe certes culte, mais un peu oublié, rappelant à tout le monde, public ou groupes issus de la même scène, mais plus populaires, qu’ils sont les patrons. Reste un troisième acte en rappel confinant presque à l’absurde, tout en demeurant musicalement impeccable. Le groupe y joue une reprise furieuse du « Sympathy for the Devil » des Rolling Stones sur un défilé implacable d’archives, suivie de leur chanson pour le nanar « Iron Moon » (des nazis dans l’espace, pour résumer) accompagnée d’images du film, et, pour finir, une improbable ballade country. Avec ce concert drôle, nuancé, aussi percutant politiquement que remarquablement spirituel, Laibach confirme son statut singulier de provocateurs sensibles et engagés. Un char d’assaut sur un tapis de velours, en somme.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique