[Live] La Route du Rock 2019, jour 3

Cet été à Saint-Malo et dans ses environs avait lieu la traditionnelle Route du Rock, dont c’était la 29e édition et la huitième d’affilée où nous étions présents avec indiemusic pour couvrir le festival. Sur trois jours et deux sites (plus un warm-up le mercredi soir où nous n’étions pas présents), le festival breton alignait une programmation à la fois populaire et pointue, entre grosses têtes d’affiche pour faire danser les foules, sensations rock et psyché du moment, belles découvertes indie et exigence électronique. Retour en mots et en images sur le dernier soir de cette trilogie presque malouine.

crédit : Alphonse Terrier

Article écrit par Maxime Antoine, Sébastien Michaud et Maxime Dobosz

Cette dernière soirée de festival, annoncée comme la plus pluvieuse du week-end, commence effectivement sous les mauvais auspices d’un ciel de plomb. Comme la veille, nous retenons la douloureuse leçon du jeudi après-midi et arrivons suffisamment tôt pour errer entre les deux scènes avant que le concert de Hand Habits ne commence. On danse un peu sur les graviers, profitant de l’espace et d’une toujours aussi démente bande-son d’ambiance fournie par les deux DJs de la Route du Rock, qui nous regardent de loin l’air amusé, et peu à peu le public commence à arriver sur les lieux du festival. En revanche, le gros morceau de la soirée pour nous étant le concert de Deerhunter, juste après Hand Habits sur l’autre scène, une fois n’est pas coutume nous campons de pied ferme à la barrière, écoutant dans le lointain le délicat concert de Meg Duffy, que les aficionados de Kevin Morby ou de Weyes Blood connaissent bien. La guitariste de folk délivre ce qui nous semble malgré la distance et le son étouffé être une performance solide que nous aurions aimé voir de plus près. Les mélodies accrochent l’oreille et ce soft rock sophistiqué laisse entrevoir une compositrice vraiment douée, qui comme Foxwarren la veille ne bénéficie pas du temps le plus idéal pour ce style-là.

Mais bien assez tôt c’est donc la bande de Bradford Cox et de Lockett Pundt qui débarque sur la grande scène, le duo central de Deerhunter affichant comme à son habitude des looks aussi stylés que polarisés, entre l’extravagance sixties du dandy squelettique Cox et l’élégance discrète de son acolyte, besogneux et taciturne. On ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé avec les Américains, capables du pire comme du meilleur suivant les inflexions du tempérament orageux de leur leader charismatique et controversé. Mais la pluie qui commence à tomber semble mettre Bradford de bonne humeur et il se montre particulièrement loquace et jovial, ponctuant chaque pause d’une réflexion amusée sur son accoutrement (il se pare à mi-concert d’un beau ciré jaune) ou sur le fait qu’une telle météo ne doit pas être la chose la plus agréable en festival. Côté performance, c’est un grand jour également pour le groupe, qui bénéficie à la fois du son le plus massif et le mieux réglé de tout le festival, et qui en profite pour nous gratifier d’une setlist très focalisée sur leur chef-d’œuvre de pop psychédélique, « Halcyon Digest », dont cinq morceaux seront joués.

Étrangement, mais pour le bonheur de quelques rangées de fans hardcore – essentiellement des jeunes filles et des personnes au look queer, une visibilité qui fait chaud à voir – le concert s’ouvre sur « Cover Me (Slowly) » / « Agoraphobia », deux chansons de « Microcastle / Weird Era Cont. » qui donnent le ton exigeant et étrange de la setlist, Cox en profitant pour faire une blague sur l’agoraphobie et le paradoxe de chanter ce morceau en festival. Les tympans entrent en vibration et nos cerveaux commencent gentiment à dérailler avec pareille introduction, donc le groupe se déleste élégamment des deux seuls morceaux de leur dernier opus qui seront joués ce soir-là, « Futurism » et « Death in Midsommer ». C’est ensuite que le concert décolle complètement, puisque le groupe joue l’énorme « Helicopter », bientôt suivi par « Desire Lines » et son riff d’intro très Arcade Fire qui bifurque sur une version mélodique de la motorik. Ensuite, c’est carrément un morceau de leur EP « Rainwater Cassette Exchange », « Disappearing Ink », que Bradford introduit comme « une très vieille chanson », avant de retourner sur des titres d’« Halcyon Digest », « Revival » et « Coronado ». On regretterait presque de ne pas avoir droit aussi à un petit « Earthquake », mais ils ne peuvent décemment pas jouer tout l’album. Seul représentant de l’excellent, mais sous-estimé « Fading Frontier », « Take Care » vient s’intercaler avant le final dantesque du concert, une version monstrueuse de « He Would Have Laughed », meilleur morceau du groupe qui prend une nouvelle dimension presque terrifiante lorsque le groupe l’étire jusqu’à sonner presque shoegaze ou noise rock dans les dernières minutes apocalyptiques du concert, avant la coda miraculeuse et qu’on n’attendait à vrai dire pas. L’heure allouée aux Américains est déjà révolue et on s’aperçoit qu’ils n’ont même pas pu jouer le classique « Nothing Ever Happened ». Tant pis, même sans ce bijou leur concert était facilement le meilleur de tout le festival.

Viennent ensuite ceux qu’on pourra aisément qualifier de sensations de cette édition 2019. Les Canadiens de Pottery, qui se sont fait un nom outre-Atlantique en ouvrant pour Oh Sees ou Parquet Courts et n’ont sorti qu’un EP pour l’instant, nous font complètement oublier leur statut de quasi-inconnus et d’outsiders de la soirée en une poignée de mesures, tant leur rock indé nourri par le post-punk et l’avant-funk des années 80, Devo, Gang of Four ou Talking Heads en tête, est rafraîchissant. La réaction du public est éloquente, puisque rapidement la foule peu compacte au début du concert s’enrichit de centaines de curieux venus voir de plus près qui sont les zigotos capables de secouer tout le monde à coup de rythmiques endiablées et de riffs chirurgicaux. Grosse fête donc, malgré une pluie battante qui n’entame en rien la bonne humeur qui flotte en ces lieux. Le concert de Pottery a cela de fascinant qu’il concilie exigence artistique – la virtuosité technique et rythmique de ces acrobates canadiens – et accessibilité quasi démocratique – l’immédiateté de leur « son ». Si des mecs de 20 ans arrivent en quelques minutes à mettre d’accord les vieux grincheux quadragénaires et les jeunes hipsters, c’est qu’ils iront loin.

Étonnant (mais audacieux) choix que de placer The Growlers sur la grande scène du fort. Même si ces cinq Californiens jouent ensemble depuis une douzaine d’années, leur réputation en France semble encore être l’affaire d’une poignée d’initiés…  Sous un ciel malouin encore plus capricieux que la veille, le groupe offre avec une certaine désinvolture un cocktail de pop surf songs ensoleillées auquel le public ne répond que par quelques applaudissements polis. Cool, bien ficelé, mais un poil lassant sur la longueur…

C’est drôle, car finalement, Metronomy sur scène, ce n’est pas dingue, cela ne joue pas très bien, le son n’est pas très bon, il n’y a pas grand-chose à voir. Pourtant, pourquoi était-ce si bien ? Et si Metronomy était une sorte d’anomalie pop ? Un groupe initialement assez punk et bricolo qui s’est retrouvé à traverser une faille qui l’a propulsé au top des charts, peut-être. En tout cas, Metronomy livre une performance au cool à toute épreuve. En même temps, avec d’aussi gros tubes que « The Look », « The Bay » et « Love Letters », comment faire autrement ?

Quand on se rend compte qu’au même titre qu’Hot Chip, tout est joué live (avec son lot de pains et de sons mal reconstitués), cela rajoute tout de même un truc en plus très agréable et une honnêteté qu’il faut relever. Metronomy en a profité pour jouer plusieurs chansons de son nouvel album « Metronomy Forever » (et spoilers, c’est aussi bien qu’« The English Riviera ») qui marchent très bien, notamment « Salted Caramel Ice Cream » qui avait l’air d’être attendu par une bonne partie des fans du groupe. Le groupe a mis tout le monde de bonne malgré le vent et la pluie, il faut lui reconnaître ça, que l’on ait aimé ou non.

Il reste alors la partie électronique de la soirée, avec les concerts (attendus) du duo féminin Oktober Lieber, aperçues l’an dernier au Levitation d’Angers, mais aussi la cold wave industrielle de Silent Servant et la musique plus planante de David August. Malheureusement, la conjonction fortuite de la traditionnelle et toujours aussi incompréhensible pause de 30 minutes avec l’arrivée soudaine d’un énorme orage a raison de notre motivation, et après de longues minutes à tenter d’attendre sous l’abri de fortune surpeuplé que constitue l’espace bar à vin / foodtrucks, nous capitulons devant la fatigue et quittons à regret le site du festival, la mort dans l’âme de renoncer à Oktober Lieber qui jouait en toute fin de soirée. Saleté de météo !

C’est donc sur cette note un peu amère que s’achève une belle édition de la Route du Rock, dont la programmation résolument rock et indie a montré avec brio qu’un festival pouvait toujours faire le plein de festivaliers sans se compromettre dans des affiches trop consensuelles (si l’on excepte la grosse machine Tame Impala, finalement seule véritable grande déception artistique de cette année). Gageons que l’édition suivante, où le festival fêtera ses 30 ans, nous réservera de belles et exigeantes surprises.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique