[Live] La Route du Rock 2019, jour 1

Cet été à Saint-Malo et dans ses environs avait lieu la traditionnelle Route du Rock, dont c’était la 29e édition et la huitième d’affilée où nous étions présents avec indiemusic pour couvrir le festival. Sur trois jours et deux sites (plus un warm-up le mercredi soir où nous n’étions pas présents), le festival breton alignait une programmation à la fois populaire et pointue, entre grosses têtes d’affiche pour faire danser les foules, sensations rock et psyché du moment, belles découvertes indie et exigence électronique. Retour en mots et en images sur le premier soir de cette trilogie presque malouine.

Tame Impala – crédit : Alphonse Terrier

Article écrit par Maxime Antoine, Sébastien Michaud et Maxime Dobosz

Commençons par un petit coup de gueule sur l’organisation : le choix de programmer pour le 15 août et le premier soir la plus grosse tête d’affiche – qui ne sera plus ne serait-ce qu’approchée en termes de notoriété sur la suite du festival, nous semble peu pertinent, car provoquant un afflux de personnes absolument dantesque qui tombe en plus en même temps que les flux routiers des aoûtiens et que les réglages de l’équipe du festival, qui se retrouve à gérer en même temps et de manière il faut le dire pas vraiment très efficace les dizaines de milliers de personnes en quête de leur bracelet ou de leur emplacement de camping. La file d’attente pour les bracelets nous mange ainsi toute l’avance que nous avions prévue pour assister tranquillement aux premiers concerts et nous mettons ainsi pas loin d’une heure et demie entre le moment où nous arrivons sur le parking du site et celui où nous assistons à notre premier concert. Heureusement, des membres de l’équipe d’indiemusic plus prévoyants – et il faut le dire, plus locaux que nous – étaient déjà là depuis un moment sur place et n’ont pas raté le concert des Australiens de Pond, autre incongruité de la programmation si l’on considère leur relative notoriété aujourd’hui, et qui aurait mérité un concert légèrement plus tardif et sur la grande scène. Un avis qui ne semble pourtant pas faire l’unanimité contre lui au sein de notre équipe, comme le prouvent les lignes qui suivent.

À l’heure où bon nombre de festivaliers finissent tout juste de digérer leur formule moules-frites –kouign-amann ingérée intra-muros, le choix des Australiens de Pond en ouverture de cette première soirée s’avère on ne peut plus judicieux. À 18h30 précises, Nick Allbrook et ses potes investissent la scène des remparts pour un set énergisant et sans temps mort, aux antipodes de celui de leurs compatriotes, collaborateurs et amis de Tame Impala quelques heures plus tard… Heureux d’être là le Allbrook, avec sa coiffure mini-chignon sur le crâne, ses gesticulations constantes et son bain de foule-hommage aussi drôle qu’inattendu à Bashung (« Osez, osez Joséphine ! » chanté au beau milieu du public). On peut bien sûr faire la fine bouche face à leur « heavy rock psyché » tendance FM sur lequel viennent se greffer quelques synthés grandiloquents et digressions prog’rock (la flûte traversière sur le 3e morceau, il fallait l’oser !), mais tout cela, au final, s’avère à la fois tellement sincère, efficace et culotté que la magie finit par opérer…

On aurait aimé n’écrire que des louanges sur la prestation de Fontaines D.C, quelques instants plus tard, sur la scène du fort, mais force est de constater qu’il ne suffit pas d’adopter la coupe de cheveux de Ian Curtis,  le même visage fermé et la même rage froide qui émanait de son jeu de scène pour électriser les foules. Présentés par de nombreux titres de la presse spécialisée comme la dernière sensation post-punk du moment, les Dublinois ont sans doute réussi à contenter leur mini-contingent de fans (joli pogo aux premiers rangs), mais leur prestation à l’économie laisse tout de même dubitatif. Avec des morceaux aussi percutants que « Sha Sha Sha » ou « Too Real », le groupe possédait pourtant quelques arguments de taille pour mettre tout le monde d’accord… Pourquoi dans ce cas, alors que la sauce avait encore quelques chances de prendre, décider de quitter définitivement la scène après à peine 30 minutes de concert sur les 40 prévues ? C’était la séquence « Coïtus Interruptus » de la soirée.

Dire qu’Idles était attendu tient de l’euphémisme bête et méchant. Le groupe s’est depuis son précédent passage à la Route du Rock construit une réputation impeccable et a largement fait ses preuves sur scène après une tournée marathon à travers le monde. Dès les premières notes, le public mange dans la main de Joe Talbot, le chanteur, qui fait absolument ce qu’il veut de lui. L’énergie déployée sur scène est tout bonnement ahurissante, le groupe saute et hurle dans tous les sens et provoque un sentiment de communion entre la scène et la fosse. On se rend compte en voyant Idles en concert de la portée de chansons comme « Danny Nedelko » ou « Samaritans », qui emportent tout le monde et font chanter la foule la main comme sur le cœur. C’est très beau à voir, et cela excuse toutes les imperfections des musiciens, la voix un peu fatiguée, le son étrangement mixé. Tout cela n’est finalement pas si grave quand un groupe en échange donne tant.

Changement d’ambiance quelques minutes après sur la scène d’en face, et si l’on met quelques minutes à se sécher après le bain de sueur et d’étreintes comprimées au premier rang de Idles, les légendes du soir nous feront bientôt oublier toute conscience de temps et d’espace, comme seuls les grands sorciers du son savent le faire. Les Franco-Britanniques de Stereolab illuminent cette première soirée de leur trop rare présence, puisqu’ils n’ont pas sorti d’album depuis 2010. La rentrée 2019 annonce une flopée de rééditions luxueuses de leurs albums des années 1990 et le groupe semble ainsi profiter de ce retour en grâce et de leur statut de désormais « groupe culte » pour revenir sur le devant de la scène. Le concert s’ouvre par les chants du public qui scande des « Laetitia, Laeticta ! » à l’attention de la Française Laetitia Sadier, voix incomparable du groupe depuis sa formation, et le show commence. Si le mixage ne sera jamais complètement satisfaisant, avec une basse trop présente, et une voix un peu trop noyée derrière avec des guitares trop timides, la setlist en revanche est de haut vol ; le groupe alignant rapidement tuerie après tuerie, de la très efficace « French Disko » à la motorik obnubilée de « Metronomic Underground », qui marque le moment où le concert bascule du côté franchement psychédélique, et rappelle la modernité du groupe qui empruntait dès le début des nineties les rythmiques hypnotiques de Neu! et de Can pour assortir ses mélodies pop naïves et surréalistes d’un nimbe halluciné.

Dans la même veine, « Suggestion diabolique » nous prend par surprise, avec son long détour par une pop sexy et sophistiquée à la Air ou Tricatel et un virage final qui sort les grosses machines psyché pour faire vriller la foule. Côté public, on a oublié depuis longtemps les imperfections sonores, la magie opère. Les vieux briscards retrouvent le groupe de leur jeunesse et la jeunesse elle, profite, entre festivaliers venus pour le seul nom du groupe qui dodelinent joliment et quelques surexcités (on plaide coupable) qui n’écoutaient pratiquement plus que la bande à Sadier depuis des semaines en prévision de cette date. Après ces deux morceaux qui étirent le temps et dilatent l’espace restreint du fort Saint-Père, le groupe rejoint quelque temps les sentiers d’une pop un peu plus circonscrite, dégainant ici une « Miss Modular », là  un « Ping pong » malicieux, mais, levant les yeux au ciel étoilé alors que le set tire à sa fin, Laetitia Sadier invoque la lune, pleine et brillante, pour une dernière odyssée spatiale. Commence alors un long trip d’abord tout en douceur et en caresse, puis la fusée décolle et la montée semble ne jamais s’arrêter, le public se retrouvant à la totale merci du bon vouloir des musiciens de poursuivre ou cesser l’exercice, à grand renfort de feintes bien senties. Un quart d’heure plus tard et une version démente de « Lo Boob Oscillator » derrière nous, on atterrit sur la lune et le concert est fini.

« Let it happen ! Let it happen ! », chante Kevin Parker, leader de Tame Impala, face à une foule visiblement conquise d’avance. « Let it happen », oui, « laisse les choses se faire », même si ce soir l’expression, « mets-toi en pilotage automatique » serait nettement plus appropriée… 6 ans après son 1er (et excellent) passage à la Route du Rock, la tête d’affiche de cette édition 2019 et néo-leader mondial de la pop psyché s’est muée en une sorte de grosse entreprise de spectacle « son et lumière », se contentant de réciter son dernier album en date sous un déluge d’effets 100% colorants de synthèse. Enchaînements et fins de morceaux bâclés (on jurerait parfois qu’un technicien, en coulisse, appuie sur la touche stop d’un quelconque magnéto), chant soporifique, visuels psychés clichesques et dépourvus de toute imagination, canons à confettis à trois reprises pour réveiller tout le monde : on attend avec impatience le prochain split-single du groupe avec David Guetta…

On sauvera néanmoins une fin de set principal qui relève un peu le niveau avec une version sympa de « Apocalypse Dreams » qui oblige le groupe à toucher une guitare et une basse pendant quelques minutes, et un joli rappel qui s’il expédie le désormais tube planétaire « The Less I Know The Better » (il y aurait beaucoup à dire avec le rapport complexe que semble entretenir Kevin Parker avec sa propre célébrité et le succès de certains de ses morceaux, en témoigne le massacre en règle de « Elephant » une demie-heure plus tôt), a le bon goût de nous offrir l’excellente « New Person, Same Old Mistakes » sur un plateau d’argent en guise de conclusion un peu plus incarnée – et prophétique ?

Arrive un des groupes que nous attendions le plus sur cette édition de la Route du Rock. black midi entre sur scène et démarre son show sans que personne ne l’ait réellement compris comme tel et déjà, le quatuor impressionne. Ces Anglais dépassant à peine la vingtaine provoquent une déflagration de bruit dans le Fort Saint-Père qui ne laisse clairement personne de marbre. Il est amusant d’observer les réactions du public, entre les personnes réceptives (comme nous) et impressionnées par la puissance du son de black midi et la maîtrise technique de leurs instruments et voix, et celles qui se sentent un peu agressées par cette offrande de violence musicale aux structures mathématiques. On peut dire sans trop exagérer que le groupe offrait ce week-end la prestation technique la plus intéressante, on se souvient encore des breaks interminables et dangereux du sculptural batteur Morgan Simpson, impressionnant ! Qui plus est, en plein milieu de set, le groupe profite d’un problème technique du guitariste pour jammer pendant de longues minutes devant un public médusé qui ne sait pas si cela fait partie du concert ou non. Si toutes les jams étaient comme ça…

Dernière étape de la soirée pour nous, le concert de Jon Hopkins promet un spectacle conceptuel et cérébral. Si les visuels sont effectivement de toute beauté, la techno un tantinet minimaliste du Britannique est un pari osé pour mobiliser une foule fatiguée et qui, suivant les sensibilités, aura déjà beaucoup donné pendant Idles, Tame Impala ou même black midi et son concert en force de machine à laver musicale. Mais un petit effort et on se laisse charmer par des progressions soignées, des plages plus ambient et des ruptures de ton bienvenues Le public lui, se scinde en trois groupes : les perchés réceptifs, les perchés non réceptifs qui s’ennuient, et les amateurs qui tiennent jusqu’à la fin, mais jettent l’éponge avant Lena Willikens (pourtant un des noms les plus affriolants de la programmation électro de cette année), la faute à un improbable blanc de 30 minutes entre le set de Jon Hopkins et le sien. À deux heures du matin, après une soirée aussi intense, c’est une forme de suicide artistique de proposer une coupure aussi radicale à son public qui n’a pas forcément le budget pour patienter au bar… On quitte donc les lieux sur ces entrefaites, avec un sentiment un peu mitigé entre la qualité des prestations proposées, la déception Tame Impala, la frustration de ne pas pouvoir tenir jusqu’à la toute fin de la soirée et un peu de colère d’avoir raté le concert de Pond (pour un tiers seulement de notre équipe sur place) à cause de l’énorme affluence sur le site causée par la venue de Tame Impala.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique