[Live] La Route du Rock 2017, jour 3

L’édition 2017 de la Route du Rock était ensoleillée et traversée de concerts tantôt décontractés – voire flegmatiques -, tantôt ébouriffants et débordant d’une énergie sauvage. Si d’autres artistes ont su nous captiver avec des prestations hiératiques, ces trois soirées chargées ont également eu leur lot de déceptions, voire de ratages. Retour sur les temps forts et les temps faibles du dernier jour de cette 27e édition globalement réussie.

Ty Segall – crédit : Cédric Oberlin

Article par Maxime Antoine et Sébastien Michaud
Photographies par Cédric Oberlin et Luis Amella (amdophoto)

Premiers sur scène pour cette dernière journée de festival, les Anglais de The Proper Ornaments ont eu quelques peines à réveiller la torpeur d’un public sans doute mal remis, pour une partie, de ses excès de la veille… Side-project de James Hoare (Veronica Falls) et Max Oscarnold (Toy), le groupe offre des morceaux où s’entremêlent influences folk, psyché et britpop. Si l’influence de Toy se fait brièvement sentir par instants, c’est surtout du côté des vétérans shoegaze de Ride que lorgnent nettement nos lascars quand le chant se fait collégial. Sympa. Bien ficelé, mais dans ces cas-là, comme on dit, on préférera toujours l’original à la copie…

La petite appréhension qui planait avant le concert de la belle Angel Olsen fut dissipée en quelques minutes. Ses musiciens, tous impeccablement vêtus du même costume trois-pièces bleu marine une fois en place, elle arrive, drapée dans une combinaison saumon lumineuse et affublée d’un large sourire sur son visage mutin : elle est de bonne humeur et le concert devrait bien se dérouler. C’est peu dire tant ce fut impeccable, la folkeuse reconvertie en déesse du rock indé nous gratifiant d’un set virtuose où les morceaux les plus immédiats de son dernier opus, tel le tube « Shut Up Kiss Me » y côtoient des prises plus hardies et épiques comme « Sister » et « My Woman ». Le véritable sommet du concert cependant reste le très Mazzy Star-ien « Those Were the Days », long morceau composé pour une compilation d’artistes anti-Trump et dont les guitares de velours nous caressent langoureusement jusqu’à un joli paroxysme final porté par une voix d’une justesse irréprochable et au timbre suave capable des plus jolis aigus. Un grand soleil, des musiciens hors pair et une artiste qui rayonne, il n’en fallait pas plus pour nous combler.

Découvert l’an dernier au festival angevin de rock psychédélique Levitation, Yak avait déjà de quoi déstabiliser les puristes du genre, avec son rock garage bien plus tourné vers les Stooges que vers n’importe quels groupes amateurs de planeries cosmiques…  Produit par un ex-Pulp et invité à tourner aux côtés de The Last Shadow Puppets, le trio anglais n’a également pas grand-chose à voir avec le monde de la pop claire et ciselée… Alors ? Alors c’est simplement à un grand moment de noisy rock auquel nous aura conviés Oliver Burslem, avec sa gueule d’ange à la Mick Jagger version 60’s, et ses deux potes. Amplis dans le rouge et hymnes braillés avec fougue et conviction : le public pogotant des premiers rangs ne s’y trompe pas en accueillant avec bonheur, dès le second morceau,  un superbe stage diving du chouchou de ces dames…

De retour sur la grande scène, on retrouve l’habitué des festivals estivaux Mac DeMarco, accompagné de ses fidèles musiciens, et invitant à table Angel Olsen et sa bande pour faire la fête avec eux et un public très nombreux. La pop lumineuse et décontractée du Canadien fait toujours des merveilles, la douceur de sa voix contrastant avec son attitude d’éternel adolescent cajoleur coincé dans le corps d’un trentenaire un peu trop porté sur le whisky et la cigarette. « This Old Dog », son dernier album à ce jour, est un peu plus introspectif et méditatif que ses prédécesseurs, mais le charme opère toujours et les nouveaux titres s’insèrent bien dans une setlist où les déjà classiques titres de « 2 » font office de balises pour le public. De « Salad Days » ne seront jouées que l’éponyme et « Chamber of Reflection », délaissant pour une fois « Together » au profit du très joli et crépusculaire « Moonlight by the River », longue pièce qui concluait pratiquement « This Old Dog ». Connaissant la tendance de Mac à digresser et partir en live, on regrette le côté un peu guindé de la sécurité (valable pour tout le festival) et qui semble-t-il a freiné les ardeurs de certains artistes à se jeter dans la foule ou à les inviter sur scène, comme c’est l’habitude notoire du Canadien, mais il nous offre une reprise improvisée déjà culte de Vanessa Carlton, dont il ne répète qu’une phrase en boucle d’un air goguenard, sous les cris du public et les rires d’Angel Olsen et de sa troupe. Le dernier morceau sera toutefois l’occasion pour lui d’un bref bain de foule, car tout concert de Mac DeMarco qui se respecte se termine ainsi. Un joli moment, pour une fois plus centré sur la musique de Mac DeMarco, au détriment de la folie habituelle de ses prestations scéniques.

« Pas besoin d’en faire des caisses quand on a un répertoire de qualité » : tel pourrait être le sous-titre de la nouvelle tournée dInterpol, célébrant cette année le 15e anniversaire de la sortie de son premier album « Turn on the Bright Lights ». Une tournée tiroir-caisse pourraient souligner les plus cyniques, sauf que ce soir la puissance et la beauté froide de ce premier opus, alliées à un son parfait, balaient tout sur leur passage. Dans la pénombre, le gang de Paul Banks, statique et cravaté comme il se doit, vient tout simplement rappeler au public du Fort Saint-Père que c’est bien lui qui a ranimé la flamme post-punk du début des années 2000, entraînant dans son sillage les Bloc Party, The Rakes et autres Editors… Un public reconnaissant à en juger aux sauts de cabris des premiers rangs, et tout aussi enthousiaste face aux premiers morceaux du set (« Not Even Jail », « Slow Hands »…), extraits des albums suivants et exécutés en guise de hors-d’œuvre. La suite ? Les onze titres de ce fameux « Turn on the Bright Lights » donc, enchaînés dans l’ordre exact d’apparition sur disque, complétés en rappel par un « Evil » de haute tenue. Au-dessus de la scène, dans l’obscurité du ciel breton, le fantôme de Ian Curtis applaudit à deux mains…

S’il en est un qui frise le sans-faute dans l’histoire récente de la Route du Rock, c’est bien Lias Saoudi. Déjà auteur de deux prestations incendiaires ces dernières années avec sa Fat White Family, ce dernier présentait ce dimanche soir le second visage tout aussi génialement déglingué de ses pérégrinations musicales : The Moonlandingz, side-project soutenu par une poignée de potes au diapason de sa folie.  Grand prêtre d’une messe noire rock’n’roll soulignée de fluo, Saoudi joue au Iggy Pop de Brixton avec un art consommé du second degré. Aussi génial qu’inclassable, son grand cabaret psycho-punk-futuriste-tribal fonctionne à merveille et les 45 petites minutes du set passent à la vitesse de l’éclair…

Dernier concert de rock du festival avant une ultime étape techno que nous zapperons, fatigue (et pause d’une heure imposée) oblige, Ty Segall était également l’un de ceux que le public attendait avec le plus de ferveur. Sorte de séquelle musique au tremblement de terre qu’était le concert de (Thee) Oh Sees deux jours plus tôt, l’euphorie était palpable dans les rangs bien trop serrés devant la scène, pour ce qui restera comme le concert le plus intense, le plus violent voire le plus dangereux du festival. Dès le riff d’intro de « Break a Guitar », pas de pitié : la foule s’ouvre en deux et tout le monde se retrouve irrémédiablement compressé devant et vers son centre. Passer la première moitié du set ainsi écrabouillé n’a rien de jouissif, mais une fois que nous réussissons à nous extirper – pour nous retrouver dans le nuage de poussière et de sueur d’un monumental pogo de festivaliers ivres, on commence paradoxalement à apprécier la musique. Depuis sa tournée pour « Emotional Mugger », un curieux album qui lui a étrangement ouvert un peu plus les portes de la célébrité, le son de Ty Segall s’est considérablement appesanti et durci, à l’image de la poignée de morceaux de son dernier album éponyme qu’il joue devant nous. Les riffs sont plus lents, plus gras, le rythme est massif et implacable. Deux inédits sont joués, comme sur chacune des dates de la tournée, peut-être en prévision d’une prochaine sortie, « Alta » et « Fanny ».

Le public accueillit chaleureusement l’intro faussement délicate de « Finger », et la foule résonne de « ouh-ouh » incertains avant que la délivrance d’un riff magistral ne lance le morceau comme une torpille : Ty Segall revient alors pour quelques instants au garage qui l’a fait connaître. C’était sans compter sur la pièce maîtresse de son dernier album, le très masturbatoire et zeppelinien « Warm Hands (Freedom Returned) », où la référence à Hendrix n’est pas non plus à prendre à la légère, puisque c’est l’occasion pour le chanteur-guitariste de montrer à peu près tout ce qu’il sait faire durant un quart d’heure de guitare incandescente, de riffs sauvages, de hurlements bestiaux repris par quelques milliers de voix s’époumonant sur ces « Shaaaaaame ! » rageurs, de passages plus calmes et enfin de solo pyrotechnique qui vire à la jam-session. Après ce tour de force assez monumental, le concert reprend son cours presque un peu trop sagement malgré l’efficacité et l’intensité que mettent les musiciens à l’œuvre, jouant les deux principaux singles de « Emotional Mugger » de façon pachydermique avant d’embrayer sur des morceaux choisis des albums les plus garages de l’Américain : « Melted », « Lemons » et « Twins ». Quelques minutes du set seront dédiées à un improbable anniversaire pour un de ses musiciens, et le tout s’achève sur une note surprenante, Ty choisissant de conclure sur une version étirée remarquable du très beau « Sleeper », montrant aussi qu’il est capable d’un peu de douceur dans un set pourtant pas forcément caractérisé par sa subtilité. On regrettera l’absence de quelques titres incontournables comme « Feel », « Girlfriend », ou « You’re the Doctor », pourtant bien souvent joués.

Une belle édition en somme, avec un joli nombre de concerts de haute volée dans des genres très différents (Idles, PJ Harvey, Yak, Soulwax, Angel Olsen, Thee Oh Sees, The Jesus and Mary Chain et Ty Segall), qui font oublier sans problème les déceptions (Arab Strap, Foxygen) ou les naufrages techniques (Black Lips), ainsi que les petits soucis dans l’organisation le premier jour, les files beaucoup trop longues aux différents stands et le site assez inhospitalier, car par trop poussiéreux.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique