[Interview] Julii Sharp

Du piton de la Fournaise aux Pyrénées, Julii Sharp a toujours vécu proche des montagnes. De son enfance à la Réunion jusqu’à son adolescence au cœur des Hautes-Pyrénées, la chanteuse et guitariste débarquée à Toulouse à l’époque du lycée, a conservé au creux de sa musique la proximité avec la nature et son acoustique si singulière. Sa musique, tendre, captivante et apaisante, d’abord construite autour du répertoire de ses références folk, rock, blues comme reggae donne désormais à ses propres compotions ce goût délicat de l’ailleurs, de l’évasion et de la liberté. À une semaine et quelques jours de sa participation aux 37e iNOUïS du Printemps de Bourges, vendredi 22 avril, Julii a accepté de nous confier ses souvenirs d’enfance et son histoire d’amour, en musique toujours, avec la ville rose.

crédit : Mélanie Fernandez
  • Salut Julii, tu fais partie de nos dernières découvertes. On va essayer ensemble d’en savoir plus sur toi, ton projet, ton parcours. Avec toute chose, quelle est ton histoire ?

Je suis née à la Réunion et y ai passé une bonne partie de mon enfance. Là-bas, j’ai participé à beaucoup concerts, on avait tous les reggaemen possibles et imaginables à la maison : la musique, c’était tout le temps. J’apprenais pas mal de chansons en créole, en anglais, en français, et chantais très fort sur le CD d’Alanis Morissette que ma sœur m’avait offert. Petite, j’ai fait un peu de pianos, mais j’ai abandonné assez vite pour monter à cheval, puis il a fallu attendre mes 13 ans pour que ma mère m’apprenne mes premiers trois accords. Je m’en souviens très bien, c’était dans le village d’Anères (65), pendant le festival du cinéma muet qui sera plus tard un point important dans le déclenchement de la suite.

Après avoir fait ces trois accords en boucles et appris « Jimmy » et « No Woman No Cry », j’ai acheté ma première guitare (une Tanglewood rouge que j’ai encore souvent en concert), et j’ai travaillé dessus grâce à YouTube. En même temps, je m’entraînais à faire des harmonies sur Audacity avec des chansons de First Aid Kit et d’autres groupes que je trouvais sur internet. À ce même moment, j’ai fait mes premières scènes ouvertes, je chantais tout le temps devant le lycée et puis finalement j’ai rencontré Kieran Thorpe avec lequel ça a vraiment marché musicalement et qui m’a présenté pas mal de groupes anglais desquels je me suis beaucoup inspirée (The Buffalo Skinners, Holy Moly & the Crackers, Rob Heron and the Tea Pad Orchestra, Robbie Thomson, etc.). En 2014, je suis partie seule à Édimbourg et suis tombée un peu par hasard sur un de ces groupes. L’aventure était assez extraordinaire et c’est là que j’ai écrit mes premières chansons (notamment « Under a Tree »), une chanson en accords blues que mon père m’avait appris pendant ce voyage (il était en Angleterre et j’étais passée le voir). En rentrant, Kieran m’a aidé à enregistrer un EP, et par la suite on a chanté de plus en plus ensemble.

En 2018, après 3 années d’anthropologie à la fac, je suis allée dans ce fameux festival d’Anères et là, j’ai rencontré des personnes qui se sont trouvées êtres sensibles à ma musique (je pense à Stephen Harrison, Jean Dubois, Valentin Vander…) et qui m’ont invité à Paris pour des co-plateaux dans petits théâtres et salles indépendantes (le Petit Théâtre du Bonheur, la Passerelle 2, l’Ogresse…). Et comme j’étais payée, je me suis dit que je pouvais presque vivre de ça si j’en avais envie. Alors j’ai quitté la fac, j’ai fait un service civique pour avoir un peu de revenus et j’ai commencé à jouer toute seule où je pouvais. Finalement, par le bouche-à-oreille, j’ai pu faire plus de 40 dates en un an et là je savais très bien que l’idée ce serait de ne plus jamais m’arrêter. En 2020, j’ai commencé à jouer avec Félix (contrebasse) et Tristan (batterie) ; on a fait assez peu de concert en trio à cause du Covid puis en 2021, Paul a rejoint le groupe et nous voilà à quatre sur scène !

  • J’ai pu lire dans ta biographie que tu partages des racines anglaises du côté de ton père. Petit retour dans le passé. Autour de quels albums, dans quelles discographies d’artistes anglo-saxons as-tu baigné étant jeune ? Est-ce ces écoutes qui ont influencé la musique que tu composes et interprètes aujourd’hui ?

J’ai connu mon père assez tard et ai eu le temps de nourrir un grand fantasme sur la musique et les bateaux (puisqu’il était musicien et vivait sur des bateaux), alors très vite, vers mes 5 ans, j’ai écouté « An Irish Party in Third Class » du film Titanic en boucle et suis devenue fan des musiques folk en général (et de Leonardo DiCaprio). C’est aussi et surtout les heures d’exploration sur YouTube à l’adolescence et les musiciens que j’ai rencontrés sur ma route qui m’ont le plus inspirée. Bien sûr, j’ai fait ma rencontre avec des artistes comme Bob Dylan, Leonard Cohen, Karen Dalton, Marie Laforêt qui m’ont aussi donné pas mal de matériaux dans mes reprises et compositions. Mon père n’y est vraiment pas pour rien non plus ; je pense que traîner avec autant d’Anglais et écouter autant de musique anglo-saxonne, ça n’était pas anodin. D’ailleurs, il m’a toujours encouragé, corrigé des chansons et j’ai eu ses propres mélodies dans la tête très jeune avec les CD qu’il avait enregistrés dans son home studio.

  • Si je devais associer des artistes à ta musique : je parlerai de la rencontre entre les ballades crépusculaires de Mazzy Star, le lyrisme atmosphérique de Julianna Barwick et le romantisme mélancolique de Pomme. Y’a-t-il des familles de musiciens avec qui tu te sens particulièrement proche ?

La famille de musiciens de laquelle je me sens la plus proche ça doit être celle de ceux que j’ai rencontrés (Kieran, les Buffalo, etc.), c’est-à-dire des ballades écrites ou reprises, des chansons anglaises à texte… Mais de plus en plus, je pourrais dire que j’ai des morceaux de moi dans plein de familles différentes, au vu de la tournure que prennent mes chansons avec le groupe.

  • Tu chantes à la fois en français et en anglais, mais tu gardes cette sensibilité très saxonne dans ta voix et ton interprétation. C’est presque un porte-bonheur cette double nationalité pour cultiver la singularité de ton projet ici ?

Quand j’ai découvert Marie Laforêt, j’ai eu un déclic : elle arrive à chanter en français sur de la musique folk, sans que ça sonne comme de la chanson ou comme Francis Cabrel (avec tout le respect que j’ai pour lui et les heures de voiture passées avec ma mère à hurler ses chansons de toutes mes tripes). Alors j’ai commencé à tenter des choses, puis il y a eu « Toucan » et d’autres que je compose avec la lourde ambition de les faire sonner comme si c’était de l’Anglais.

Je sais que pas mal d’artistes français n’assument pas trop leurs textes en anglais par peur de ne pas être légitimes. J’avoue que je porte ma double nationalité comme un étendard (à moi-même parce que chacun écrit dans la langue qu’il veut) et ça me rassure un peu… Comme un porte-bonheur.

  • Tu es basée à Toulouse, peut-nous nous parler de ta relation avec cette ville, avec la scène musicale et culturelle locale ?

Toulouse ! Je suis venue faire mon lycée ici à partir de la première et j’ai très vite préféré aller voir des concerts et sécher les cours du matin que d’aller à l’internat. Pendant toutes ces années, j’ai rencontré énormément d’acteurs de la scène locale, fait de la musique avec les copains et c’est devenu un point d’ancrage dans lequel je me sens chez moi. J’aime autant les open mics hip-hop et que les soirées jazz manouche, les concerts folk dans les jardins, les groupes de rock dans les caves… J’ai réussi à m’intégrer un peu partout. Puis par le bouche-à-oreille, j’ai fait des rencontres assez déterminantes !

  • Pour que la musique se développe dans les villes, il y a des associations, des structures d’accompagnement, des salles de spectacles qui interviennent dans le processus de professionnalisation des artistes. À l’échelle de Toulouse, pourrais-tu nous présenter ces différents acteurs, du moins ceux avec qui tu es aujourd’hui amenée à collaborer et avec qui tu as porté ta candidature aux iNOUïS du Printemps de Bourges.

Autour de 2018/2019, j’ai fait un concert à La Dynamo (Toulouse) qui m’a franchement porté bonheur parce qu’il y avait mon ange gardien de Toulouse : Louisa Bênâtre. Elle était à ce moment-là stagiaire du festival « Le marathon des mots » et a parlé de moi au sein de l’association qui m’a par la suite invitée sur plusieurs projets. Elle a également parlé de moi à l’association Topophone pour lesquels j’interviens régulièrement depuis. Il y a d’autres personnes qui nous soutiennent et nous conseillent, je pense à Stéphan Bertholio (Dionysos), Joël Saurin (Zebda), Virginie Bergier (de la salle du Lo Bolegason), etc. Entre-temps, j’ai intégré la formation Octopus qui m’a permis d’élargir mon réseau. Depuis les iNOUïS, Mina et Yann (Klaxon Prod) sont derrière nous et nous permettent de nous faire davantage connaître en groupe sur la scène locale et sur les ondes radiophoniques.

crédit : Danya Kierman
  • On te retrouvera bientôt dans la sélection finale à Bourges en avril. C’est la première fois que tu tentes ce dispositif ? Quelles sont tes attentes, qu’espères-tu y trouver ?

J’ai tenté le coup l’année dernière quand nous étions encore un trio, mais n’avais pas passé la première étape. Certains membres du Jury m’ont encouragé à me représenter, et voilà !
Mes attentes sont déjà effectives : défendre mon projet en groupe ! J’ai réussi à me faire connaître un peu en solo, mais présenter un quatuor c’est beaucoup plus compliqué, d’autant que la musique évolue et que notre public lui aussi en conséquence. Être sélectionnés nous a permis de travailler en résidence, de faire ressortir notre nom et ça nous offre pas mal d’opportunités de dates. Ce qu’on aimerait trouver aussi, c’est un accompagnement dans la sortie de notre EP, voire au quotidien dans la construction de notre « projet ».

  • Sur scène, tu n’es pas seule, toi et ta guitare. Tu es accompagnée de Félix Roumier à la contrebasse, de Tristan Bocquet à la batterie et de Kieran Thorpe et Augusta aux chœurs. Tu nous les présentes ? Seront-ils tous de l’aventure iNOUïS avec toi ? Et comment avez-vous préparé ensemble ce concert au format showcase ?

Les musiciens présents sur la vidéo du Théâtre des Mazades ne correspondent pas tout à fait à ceux présents aujourd’hui. Je suis avec Félix, Tristan, et Paul à la guitare électrique.

J’ai d’abord fait appel à Félix pendant ma formation (Octopus), dans l’idée de monter un trio guitare/contrebasse/batterie par la suite. Félix, il ne fait pas du folk, mais du rock ; on peut le retrouver dans Thom Souyeur et Les Petits Grégory par exemple.

Il venait de se mettre à la contrebasse (il est bassiste à la base), et on a travaillé ensemble pour que ça sonne un peu plus comme du folk. C’était aussi une très belle rencontre humaine et j’avais envie de tout faire pour que ça marche. On a fait notre premier concert tous les deux en sortie de résidence au Labo des Arts (Toulouse), mais quelques heures avant le concert on a appelé Tristan (qui fait plutôt du punk (Input’e, Tricycle…) pour avoir un peu de caisse claire sur un morceau.

Finalement, il a fait tout le concert avec nous et tous ceux qui ont suivi. L’année dernière, j’ai commencé à enregistrer un EP et ai rencontré Paul qui avait une belle sensibilité et que j’avais envie d’avoir à la guitare sur quelques morceaux. Finalement sa sensibilité, elle était tellement belle que je lui ai proposé de rejoindre le groupe. Paul, il vient plutôt du jazz ; il est à l’origine d’un groupe superbe : Orri, et dans le folk, le punk, le rock et le jazz, j’arrive à trouver matière à explorer !

J’aime beaucoup notre côté éclectique, on a toujours des idées un peu différentes (et nos caractères !), ce qui fait qu’on s’équilibre bien.

  • On a parlé de ta musique, un peu, mais finalement assez peu de tes actualités discographiques. Quelles sont-elles ? Qu’est-ce qui arrive prochainement ?

Il y a mon petit EP enregistré avec Kieran en 2014 que l’on peut écouter sur Soundcloud, un EP de quatre ballades enregistrées au Studio Condorcet à Toulouse (« Ballads at Condorcet ») avec Olivier Cussac disponible sur Bandcamp, et un EP de huit titres qui sortira cette année. (On peut également trouver quelques morceaux sur YouTube !)


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques