[Interview] Jean-Louis Brossard

Certainement aussi emblématique que le festival qu’il a lancé avec sa complice Béatrice Macé en 1979, Jean-Louis Brossard nous partage avec une passion entière et une curiosité toujours intacte ce qui fait l’esprit des Trans Musicales. Programmateur et co-directeur du festival, le Rennais tient à son rôle de passeur. Infatigable digger de nouveautés qu’il n’hésite pas à aller découvrir et surtout confirmer, en temps normal, sur des festivals de showcases en Europe, parfois même à l’autre bout du monde, Jean-Louis Brossard chapeaute avec énergie, rigueur et beaucoup d’amour il faut le dire, ce rendez-vous incontournable de début décembre en terre bretonne. Il revient pour indiemusic sur les coulisses de cette 43e édition : l’accompagnement et le soutien auprès des groupes rennais, son approche instinctive du travail de programmateur et ses incontournables de décembre.

crédit : Richard Dumas
  • Bonjour Jean-Louis, merci de m’accorder de ton précieux temps à deux semaines du lancement des 43e Rencontres Trans Musicales. Tu es le directeur artistique et l’un des membres historiques de ce grand rassemblement de décembre, incontournable aussi bien pour le grand public que pour les pros du secteur musical. Qu’est-ce qui reste intact depuis toutes ces années dans l’ADN des Trans ? Et qu’est-ce qui selon toi fait la force et la singularité du festival ?

Jean-Louis Brossard : Ce qui fait la force : c’est l’envie de proposer tous les ans quelque chose de radicalement différent que ce soit artistique, mais pas seulement. C’est aussi un festival où il y a des artistes qu’on ne voit pas ailleurs, surtout pour une première fois. Et puis, il y a une création lumière, une déco particulière chaque année. C’est plein de choses qui sont radicalement différentes d’une année sur l’autre. Et en plus, ça va être une année normale quoi, par rapport à l’année dernière où l’on avait fait Les Trans s’invitent chez vous. C’était 12 groupes en streaming, mais diffusés en direct le jour du festival.

C’était la 42e et voilà donc la 43e édition où l’on va revenir aux Trans comme elles l’étaient il y a deux-trois ans. Et l’ADN, c’est d’abord écouter de la musique, c’est de la découverte, c’est une passion qui doit rester intacte envers tous styles. C’est surtout l’envie de rencontrer du monde, de partager des choses.

  • Pour cette édition, tu as composé avec la reprogrammation des artistes de 2020. Parmi eux : Ladaniva, Urban Village, LohArano ou encore les talents locaux Lujipeka, Guadal Tejaz et Gwendoline. Peut-on voir ce choix comme celui d’un acte militant d’accorder de nouveau cette tribune scénique (et incontestablement médiatique) à ces artistes qui n’avaient pas eu leur chance de s’exprimer aux Trans l’an passé en raison de la Covid ?

Disons que je n’avais pas une page blanche pour commencer cette année. Et c’est vrai qu’il y avait des artistiques programmés l’année dernière que j’avais envie de faire « pour de vrai », je dirais, dans le cadre du festival.  Ça n’a pas été un choix facile, mais c’était un choix quand même. Il faut toujours assumer ses parts de risque artistique : c’est toujours ce que j’ai fait. Et puis il y a tous les nouveaux qui seront là ainsi que quelques anciens.

  • Avec ton collègue Mathieu Gervais à la programmation, comment avez-vous orchestré la répartition des groupes sur les différentes scènes du festival ?

Généralement, quand on écoute un artiste, on voit tout de suite à peu près le lieu où on va le faire : si c’est au Hall 9, à l’UBU, à l’Étage… Après, c’est une affaire de goût et effectivement, quand un groupe me plait énormément, je décroche tout de suite mon téléphone et j’appelle l’agent et on essaye de trouver une date ensemble. Les choses vont assez vite et rien n’est calculé. C’est la musique, l’artistique qui prime si tu veux. Il n’y a pas de calcul vraiment où l’on se dit : « tiens, on va faire ça, si, comme si ou comme ça. ». En fin de compte, les choses arrivent un peu d’elles-mêmes, sur les lieux du festival en tout cas, pour savoir si on le fait sur un Hall 3, un Hall 8. C’est pas difficile en fin de compte, car les groupes vont s’imbriquer un peu d’eux-mêmes à un moment. Au début, par exemple, je ne sais pas sur quel Hall je le fais, mais après, quand la programmation se construit, là les choses s’imbriquent les unes avec les autres. C’est comme ça que ça se passe.

  • Parmi ces nouveaux noms : il y a le duo rennais Barbara Rivage, groupe accompagné par les Trans, qui ouvrira chaque soirée pour Lujipeka sur la scène de l’Aire Libre, du mercredi 1er au dimanche 5 décembre. Il y a d’ailleurs également l’habituelle tournée des Trans dans le Grand Ouest, cette année avec Niteroy, Brieg Guerveno, Guadal Tejaz, Alvan, Eighty et Bye Bye Panke qui a débuté à l’UBU de Rennes le 10 novembre et qui s’achèvera à l’Hydrophone de Lorient le 26 novembre prochain. Peux-tu nous parler de ce travail de création, d’accompagnement et de soutien auprès de la scène locale qui s’opère en amont des Trans ?

À partir du monde où l’on a décidé de prendre un artiste et de l’accompagner, il y a pas mal de choses qui sont faites. Mais il y a surtout des jours de répétition à l’UBU où ça travaille plus le son, plus les lights, avec un petit filage le dernier jour, avec un débriefing de Mathieu et de moi.
Puis après il y a la tournée des Trans qui est donc en amont du festival.

Et il y a aussi pas mal de réunions avec Sandrine et Marine à la production artistique qui vont leur explique un petit peu les démarches à suivre pour s’inscrire à la SACEM ou le fait d’être intermittent. Il y a plein de choses en dehors du live. Il y a une structure artistique, plus artistique. Et on essaye de trouver des agents pour les groupes, des tourneurs, des maisons de disques, et c’est des groupes qu’on va aussi accompagner l’année prochaine : on va se voir assez souvent et donc il y a aussi des artistes qui ne font pas la tournée des Trans, mais qui vont être en résidence ; je pense à Barbara Rivage qui sera en résidence à l’école Pascal Lafaye, c’est au Blosne, dans le quartier sud de Rennes, avec tout un travail qui sera mené avec des jeunes aussi. Les jeunes qui vont sans doute jouer d’un instrument et écrire des textes avec le groupe, avec une restitution de ce qu’ils ont travaillé avec Barbara Rivage qui se fera à l’Ubu ainsi que dans cette école.

  • Il y a aussi ces artistes venus d’ailleurs : je peux citer en vrac le phénomène islandais Daði Freyr, le trio néerlando-néo-zélandais MY BABY, les Béninoises de Star Feminine Band, les Californiens d’Hello Forever, le viking finlandais Antii Paalanen et les curiosités australiennes Amyl and the Sniffers et Molly Lewis. Tous les continents sont représentés cette année. Qu’est-ce qui permet concrètement, des partenaires en passant par la logistique, de réunir autant de nationalités différentes durant une semaine à Rennes ?

Amyl and the Sniffers, ils sont Australiens et sont en tournée anglaise juste avant les Trans : c’est plutôt pas mal, car ça a permis de les faire. Parce qu’un groupe australien en one-off, c’est pas facile et c’est quand même un très long voyage. Et puis les billets sont pas donnés ! (rire)

Mais bon, à part ça, j’ai toujours aimé avoir plein de pays représentés, de plein de continents. C’est cette musique-là que j’ai envie de montrer. Après c’est des coups de cœur, certains artistes que je suis depuis un moment. Il y a certaines scènes, comme celle de Madagascar que j’apprécie : il y a déjà eu trois-quatre groupes malgaches aux Trans.

C’est quand même des scènes que je suis depuis un petit moment, tu vois. Après il y a assez peu d’Américains, un peu d’Anglais, un peu de Nordiques, pas mal d’Espagnols cette année, mais ça arrive comme ça : tu découvres trois groupes comme ça, différents, et tu as envie de les montrer parce que tu trouves passionnante leur musique.

  • Et eux, ils intègrent les Trans à leur tournée ?

C’est que des one-off, à part un ou deux groupes qui peuvent être en tournée européenne. Et des fois, tu ne le sais pas. Par exemple, Hello Forever, le groupe de Los Angeles, il se peut qu’ils viennent que pour les Trans. Après je n’ai pas demandé à l’agent français ; avant, c’est nous qui bookions les voyages et on savait d’où ils venaient et quand ils partent, où ils vont et tout ça. Et maintenant, c’est un deal avec un agent qui nous les amène carrément sur place. Donc on ne sait pas s’ils restent un ou deux jours, s’ils vont faire des dates en Hollande, en Belgique, en Angleterre. Parfois, ça peut se faire.

  • Parlons un peu de ton quotidien : quels sont tes outils, mais aussi tes alliés pour te tenir informé des nouveautés musicales qui pourraient trouver leur place sur l’affiche des Trans Musicales ?

Alors un marteau et une faucille pour les groupes de l’Est (rire). Plus sérieusement, tes outils, c’est d’abord avoir tes oreilles, tes yeux. Tu n’attends pas à ton bureau qu’on t’envoie une vidéo ou un CD d’un groupe ; tu vas à la recherche. C’était très difficile cette année parce qu’on n’a pas vraiment pu faire de festivals de showcases comme le Great Escape à Brighton, l’Eurosonic à Groningen, etc., mais ça n’empêche pas de checker des bands qui le font en streaming et tout ça. Et on bénéficie d’un circuit où pas mal de gens t’envoient des choses qui sont susceptibles de t’intéresser. Par exemple, Monsieur Doumani, la personne qui me l’a envoyé, j’avais déjà travaillé avec et c’est un bon tourneur, et tout de suite, il s’est dit que ça allait me plaire. Et il a raison, déjà parce que c’est un groupe particulier, et ça, ça me plait beaucoup.

  • Il semble maintenant acquis que pour découvrir un phénomène en devenir, nul besoin désormais de se rendre à l’autre bout du monde pour le voir en live avec l’essor des nouvelles technologiques et des moyens de communication. Cela dit, es-tu de ceux qui tiennent à être aux premières loges de festivals de découvertes, showcases et assimilés ?

Oui, absolument. J’aime beaucoup ça. Il y a l’excitation d’être devant un concert sur scène. Je veux dire, quand tu vas sur un festival ; j’en cite un à tout hasard, le Great Escape à Brighton, où il y a à peu près 400 groupes et artistes – souvent solos – qui se produisent, j’écoute les 400 avant d’y aller, car il n’y a que comme ça que tu peux savoir. Et je coche ce que j’ai envie de voir. Ça me permet de voir si c’est compatible avec mes horaires, s’il n’y en a pas plusieurs que j’ai envie de voir qui jouent à la même heure, dans plusieurs endroits différents évidemment. Tu peux en voir deux éventuellement, ça reste jouable, trois c’est plus difficile parce que les groupes ne jouent que trente minutes en raison du format des showcases. Et quand un groupe me plait, je me débrouille pour entrer dans la loge, pour aller voir les artistes et leur dire : « je veux vous faire aux Trans ». Quand j’ai envie, c’est booké comme ça. Il y a un groupe australien avec qui ça s’est passé comme ça, juste après le concert, j’ai rencontré le groupe, et après l’agent français, le manager australien et l’agent anglais, et le mec m’a dit, « voilà, pour que le groupe puisse venir, c’est 8000 euros ». Et là, j’ai dit « OK, banco ».

  • On a cité précédemment quelques noms de cette 43e édition. Quels sont selon toi les cinq artistes ou groupes à ne surtout pas manquer début décembre ?

Allez, je dirais Monsieur Doumani, Yann Tiersen avec son nouveau live, Tankus the Henge que j’aime beaucoup et j’y crois énormément, tout comme Star Feminine Band ou Maruja Limón. Enfin, il y a plein d’artistes à mon avis qui vont ressortir de cette édition. Je l’espère de tout cœur pour eux, mais j’en suis pratiquement sûr.

  • Pour finir, après plus de quarante années d’activisme, qu’est-ce qui contribue toujours à ton émerveillement vis-à-vis de la scène émergente ?

Eh bien, la musique, je veux dire ! À partir du moment où tu écoutes des groupes qui te donnent envie de les faire en concerts et ceux que je rencontre tout au long de l’année à l’UBU. C’est une chose que j’aime. J’adore parler de musique avec les musiciens et ça me porte. Sans eux, je ne ferais pas les Trans, et eux, sans les Trans, ils ne seraient peut-être pas où ils sont maintenant pour certains. C’est ça, l’un ne va pas sans l’autre. Mais c’est toujours un plaisir, et j’ai hâte d’être aux Trans de cette année. Ça m’a beaucoup manqué l’année dernière, c’est clair.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques