[EP] J. Fernandez – Memorize Now

Entre expérimental et mélodies à vif, l’artiste américain trouble et attire dans des filets métalliques et artificiels faussement protecteurs.

J Fernandez - Memorize Now

L’exil a parfois du bon, musicalement parlant. Si l’on contemple tous les artistes ayant (re)trouvé l’inspiration en quittant leurs terres natales, en chassant le confort pour se risquer à parcourir de nouveaux horizons (géographiques autant que créatifs) ou en cherchant à découvrir des lieux que l’homme n’aura pas encore foulés, cela semble couronné majoritairement de succès (les Beatles en sont certainement le plus bel exemple à partir de 1964 et de leurs tournées mondiales, suivies de l’urgent mais fantastique « Rubber Soul », et si l’on ne prend pas en compte la découverte parallèle des substances illicites…). Reste encore à passer le baptême du feu : suivre son instinct de survie dans un contexte nouveau, accepter de s’ouvrir avant de mieux s’isoler et composer. Justin Fernandez a donc voulu partir, découvrir Chicago et s’en imprégner, réalisant, au milieu de tous les partisans émergents du DIY, un premier EP artisanal, « Olympic Village », posant les bases d’une musique satinée et âpre au goût et aux oreilles, demandant autant de concentration que d’immédiateté dans sa réception. Le temps est alors venu de délivrer une seconde vision de ses expérimentations ; ainsi, « Memorize Now » voltige sans s’écraser, dépasse les frontières restrictives de la home technology pour transfigurer des harmonies aussi furieuses et rapides que légères et savantes.

À l’instar d’un groupe comme Liars sur son dernier album, J. Fernandez explore des univers inconnus et radicaux, surprenants et presque figuratifs dans leur évocation : que l’on vole au-dessus de cheminées blanches très 80’s (Close Your Eyes) ou que l’on contemple des soucoupes volantes lumineuses et dévoilant des charmes épurés, extraterrestres et viscéraux (Failed Scales), on se voit positionné en tant qu’observateur d’une mutation auditive continue, impossible à saisir mais hypnotisante. Incorporant des guitares claires douces et constamment sur le fil du rasoir (Memorize Now, Cosmic Was), le musicien, plutôt que de simplement concevoir des titres, les triture, les remet en question sur des formats courts, les compacte pour en presser un jus sucré et acide. A la limite des délires fascinants de Syd Barrett (Image), ou du moins pleurant les mêmes larmes irritantes et nécessaires, il étreint ses harmonies comme on serre le corps de l’être aimé, entre étouffement et réconfort. Car les 6 chansons du EP sont semblables à ces instants suspendus pendant lesquels on peut tout aussi bien trouver la jouissance que la noirceur la plus inconfortable. Sans jamais perdre son propos, le savant libère sa créature, faite de fils et de membres mécaniques et électroniques, et la laisse évoluer pour vivre sa propre existence, ses passions personnelles autant que ses regrets et pertes de l’innocence (les propos pris sur le vif de « Geneva » auxquels un saxophone égaré et solitaire vient répondre).

J Fernandez

Posant une voix aussi claire qu’épuisée par les tourments de titres proches de la chute, J. Fernandez semble vouloir se reposer, s’allonger au bord de la falaise et contempler la mer, plusieurs dizaines de mètres en-dessous. Lorsque les chœurs interviennent comme autant d’échos de voix subtiles et entêtantes, ils sont un appel à l’admiration et à l’abnégation, le fantasme d’un trip ne nécessitant aucun hallucinogène, les sons se suffisant à eux-mêmes et à l’auditeur. Tout laisse à croire que l’homme a offert à tous son rejet du tourment à l’état brut, son vœu d’un sommeil réparateur par le biais d’instrumentaux et de chants précieux et sensitifs, devenant alors le serpent pernicieux qui prend corps devant nos yeux embués et attendant d’admirer ce qui pourra nous faire quitter la réalité et plonger dans les recoins oniriques de fantaisies suaves et immédiates. On parcourt ces morceaux comme on observe un ciel d’été matinal : clair, bleu, mais avec une atmosphère brumeuse qui cache un mystère encore fugace des éléments qui se modifieront ou non.

C’est avec ces doutes mais aussi de telles résolutions que l’on pénètre dans « Memorize Now » ; avec l’envie de se voir caressé autant qu’égratigné, les couches supérieures de nos épidermes se couvrant de chair de poule, de sueur et de baumes réparateurs.

« Memorize Now » de J. Fernandez, disponible depuis le 14 octobre 2014 chez Atelier Ciseaux.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.