[Interview] Inès Sanchez, programmatrice du festival Hibernarock

Le festival Hibernarock est un festival pas comme les autres, qui depuis plus de 10 ans, l’hiver, au cœur du volcan cantalien (le plus grand d’Europe) présente pendant presque deux mois une programmation qui pourrait rendre jalouse n’importe quelle salle de concert des grandes villes de France et de Navarre. Daniel Darc, Mustang, Boogers, Dominique A, Stranded Horse, Son Of Dave, Ez3kiel ; voici un condensé des groupes et des artistes qui auront marqué l’histoire du festival et établit une réputation solide dans le paysage de la musique rock indépendante en France.
Inès Sanchez est devenue il y a quelques mois, la nouvelle programmatrice d’Hibernarock. En pleine préparation de l’édition 2017, qui selon nos informations, présentera une nouvelle fois, une affiche ambitieuse et foisonnante, elle a accepté entre deux rendez-vous de répondre à nos questions. Elle évoque ainsi aussi bien son parcours, que la spécificité de ce festival pas comme les autres, tout en dévoilant avec intelligence ses goûts musicaux.

Inès Sanchez, programmatrice du festival Hibernarock
Inès Sanchez, programmatrice du festival Hibernarock
  • Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Inès, 33 ans, chef de projet.

  • Quel a été ton parcours professionnel, associatif et culturel avant d’arriver en Auvergne et de devenir la programmatrice/coordinatrice du festival Hibernarock ?

Je suis investie dans le milieu culturel depuis de nombreuses années.  J’ai travaillé dans les domaines de la production, de l’administration, de la programmation, de la coordination et de la gestion de projets culturels : au sein d’associations dans les Yvelines, auprès du service culturel de la Mairie du 9e à Paris ainsi qu’à la Friche la Belle de Mai à Marseille. J’ai découvert différents univers, différents types de fonctionnements dans le montage de projets.
Puis, j’ai été pendant 6 ans, coordinatrice et programmatrice de projets culturels en milieu rural, plus exactement sur le Plateau de Millevaches en Creuse, au sein d’une association très active dans la culture avec un grand C. Avec tout de même, plus de soixante événements culturels programmés, dont une bonne moitié estampillée musiques actuelles tous les ans. Cette dernière expérience a été le point de départ de mon choix de vie actuel : vivre à la campagne et participer à la dynamique d’un territoire à taille humaine. Je ne me vois pas vivre ailleurs ; je suis pourtant native de Marseille et j’ai vécu quatre ans à Paris.

  • Qu’est-ce qui t’a séduite dans Hibernarock quand tu as répondu à l’annonce pour ce poste ?

Un festival de musiques actuelles, programmé en hiver, en itinérance, accès sur l’émergence, la pluridisciplinarité des propositions, les actions culturelles, la durée du festival ; le tout en milieu rural. Et puis forcément la polyvalence des missions : programmation, coordination, logistique et communication.

La carte du festival Hibernarock
La carte des lieux accueillant le festival Hibernarock lors des 10 ans de l’édition du 21 janvier au 20 mars 2016
  • Quelles seraient selon toi les principales qualités pour assumer ce poste à responsabilité et effectivement très polyvalent ?

Passionnée, investie, à l’écoute, organisée : très (très) réactive.

  • Après quelques mois, comment te sens-tu ? Quelles sont tes premières impressions sur ce festival pas comme les autres ?

Plutôt bonnes, mes impressions sont positives ! Je souhaitais continuer de travailler sur des co-productions et à l’échelle du Cantal, je suis plutôt conquise ! Mais cela demande beaucoup de temps et de routes pour assimiler rapidement les rôles de chacun, leurs envies et leurs aspirations pour l’édition 2017 d’Hibernarock.

  • Soyons un peu concret, ça ressemble à quoi, la journée de la programmatrice d’Hibernarock ?

Classiquement, la programmation se construit très en amont ; entre avril et juin : nous devons définir les partenaires avec qui travailler, les dates, les lieux, les envies de chacun en termes d’esthétiques, car c’est une des spécificités du festival, mais la programmation se construit avec les partenaires et les lieux de diffusions. Les premières pistes de « têtes d’affiches » commencent à apparaître. Puis à cela se rajoutent les actions culturelles, les actions de médiation ; il faut contacter très tôt les établissements scolaires, centres culturels, associations, etc.

L'affiche du festival Hibernarock en 2013
L’affiche du festival Hibernarock en 2013

Pour commencer à caler les intervenants et les actions de médiation avant l’été. Entre juillet et août, ça s’active : contact avec les tourneurs des groupes. Les dates commencent à se valider. Mais pour répondre quand même à ta question « la journée d’une programmatrice, ça peut ressembler à quoi ? », je dirai qu’aucune ne se ressemble ! Je peux passer plusieurs jours à écouter de la musique, tout en contactant les tourneurs lorsqu’un groupe me plaît, puis en faire part aux partenaires du festival. Je peux jongler plusieurs jours entre écoutes, coups de téléphone et emails. Les journées filent vite ! Puis, d’autres jours, je suis plus sur des aspects techniques, logistiques, tableaux Excel. Et encore d’autres où je vais me consacrer uniquement à la communication du festival.

L'affiche du festival Hibernarock en 2014
L’affiche du festival Hibernarock en 2014
  • Des rendez-vous immanquables bientôt ?

Du 12 au 14 octobre prochain : le MaMA festival ! Ça approche : l’occasion de découvrir beaucoup de tourneurs, beaucoup de groupes et de participer à des rencontres pro sur les musiques actuelles. Le planning de ces trois jours se construit et pas mal de rendez-vous avec des boîtes de productions ont déjà été pris !
Sinon en Auvergne, le 7 novembre : le MIMA (le Marché de l’Image et de la Musique en Auvgergne) : une rencontre pro à l’échelle de la région.

  • Tu dois désormais écouter beaucoup de musique, découvrir plein de groupes et d’artistes : quels sont tes derniers coups de cœur ? Et la scène auvergnate dans tout ça ?

Les coups de cœur de cette année ? Pas mal d’entre eux font partie de la programmation du festival, je ne peux donc pas encore en parler (clin d’œil).
D’autres n’ont pas pu être programmés cette année, faute de date, de disponibilité. J’apprécie le travail de l’artiste belge Nicolas Michaux, il sera d’ailleurs programmé en première partie de Philippe Katerine cette année au théâtre d’Aurillac. La chanteuse Manon Tanguy découverte au hasard de la programmation d’un festival : ses textes, sa voix, ses arrangements, son humour font vraiment d’elle un joli projet. Baptiste W. Hamon, découvert cette année en première partie de la Maison Tellier. Du folk en français, seul sur scène, un joli timbre. Bumpkin Island et Fragments : un beau plateau que je voyais bien dans la programmation, et puis aussi Fabian Tharin, Chet Nuneta, Moh Kouyaté. Il y en a d’autres, bien entendu. Et puis il y a eu Faada Freddy cette année. Je souhaitais absolument le découvrir sur scène et je n’ai pas été déçue ! Beaucoup d’émotions, de frissons : un moment assez magique.

Pour ce qui est des groupes auvergnats, il m’en reste encore pas mal à découvrir. J’ai assisté au concert d’Adèle Coyo cette année à l’espace Hélitas et à celui d’Hiver Pool (rock folk psychédélique…). Il y a également le rappeur Bugz-Bunny de Jussac (petite ville du Cantal) qui a enregistré son premier EP avec Love Mi Tendeur. La scène auvergnate est active. Du côté de Clermont-Ferrand, les lieux de diffusion sont nombreux : Ll Coopérative de Mai, le 109, le Sémaphore, etc.

À Aurillac, il y a de belles initiatives comme celle de Love Mi Tendeur (association rock historique d’Aurillac), comme celle de la Java des Paluches (un caf’conc rock’n’roll, qui accueille pas mal de groupes en tournée en France). Il manque peut-être encore un lieu de diffusion à taille humaine, jauge 250/350, une vraie scène de musique actuelle, émergente. Une SMAC dans le Cantal ?

  • Au-delà des singularités, est-ce que tu perçois des tendances dans l’émergence musicale actuelle en France bien sûr et même ailleurs ? Et si oui, quelles sont-elles, dans les grandes lignes ?

Le rock, le pop-rock et les musiques électroniques restent pas mal représentés. Avec bien entendu des glissements vers d’autres styles avec des associations de plusieurs genres musicaux : du math rock, de la noise pop, de l’indie folk… Je trouve par ailleurs que le folk a vraiment la côte. Il y a pas mal de groupes nouveaux comme Sparky in the Clouds, The Clarks Project, Faik

  • C’est un peu la question bateau, pour un programmateur, mais imaginons que tu as budget illimité, et que tu peux choisir tous les groupes que tu désires, ça pourrait ressembler à quoi comme affiche ?

Katerine, Calypso Rose, Hindi Zahra, Gramatik, Faada Freddy, Camille… (rires)

  • La pression est en train de monter doucement, pour l’édition 2017 d’Hibernarock : qu’est-ce que tu attends de ta première édition ?

Oui, la pression monte ! Pas mal de mouvements et de changements structurels cette année qui m’ont plongé dans le bain dès mon arrivée ! La nouvelle carte des communautés de communes, la nouvelle direction de la culture au niveau du département. Toute l’équipe est face à des nouveautés et à une nouvelle organisation. Mais nous sommes tous dans le même bateau ! Faut donc aller de l’avant et continuer à croire en nos projets et dans nos valeurs que nous défendons en matière culturelle.

Ce que j’attends de ma première édition ? Je souhaite bien évidemment que tout se déroule pour le mieux, que les publics, les artistes, les partenaires s’y retrouvent. Et comme beaucoup de programmateurs, j’attends la mixité des publics, les échanges, les rencontres ; que l’expérience artistique fasse son travail (dans un sens comme dans un autre) auprès des publics.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.