[Live] Ho99o9, Moodie Black et Plack Blague à l’Épicerie Moderne

C’est un plateau finalement éclectique et même plutôt osé que nous avait concocté l’Épicerie Moderne de Feyzin ce 11 avril, ajoutant au fil des semaines deux premières parties qui ont redessiné les contours d’une soirée folle ayant pour dénominateurs communs une parenté plus ou moins proche avec le rap, une forte propension au bruit et une indéniable dimension politique à la fois punk et queer. Une salle, trois ambiances, mais trois concerts convaincants chacun à leur manière.

Ho99o9 – crédit : Justine Targhetta

Il est très tôt (20h15), et la salle est encore déserte à 5 ou 6 personnes près, lorsque les lumières s’éteignent et que les deux mecs de Plack Blague s’installent sur scène. Et c’est d’abord un grand éclat de rire qui nous traverse, parce que rien ne nous préparait à la venue en première partie de Ho99o9 de deux mecs gays lookés cuir / fetish, le chanteur dissimulant son visage sous une cagoule et une casquette de motards avec pics, vêtus d’un blouson en cuir noir, de boots et de chaps assortis, mais surtout arborant fièrement un jock-strap donc la coque est recouverte de pics, exhibant par la même un postérieur velu au public lorsqu’il arpente la scène. Derrière lui, son beatmaker est presque plus sobre, en tout cas plus habillé, même si le style reste celui d’un personnage des BDs de Tom of Finland, ces strips pornos qui ont donné leurs lettres de noblesse aux différentes tenues emblématiques des fantasmes de la virilité homoérotique. Il nous faut bien cinq minutes pour faire dépasser ce choc initial réjouissant et se concentrer sur la musique, entre EBM, indus et punk synthétique qui sent bon les donjons berlinois et les playrooms des bas-fonds de San Francisco.

Complètement anachronique dans l’esprit, mais avec une brutalité et un twist presque comique (il fallait oser jouer dans cette tenue et sans aucune pudeur aussi tôt et devant ce public) qui le rend finalement assez moderne, le duo délivre ainsi au poing et au poil un set brutal et assez fendard d’une demie-heure, réussissant le petit exploit de réunir devant eux une foule de curieux tous hilares dans un premier temps, puis bizarrement séduits par ces beats sales de techno « cuir-moustache » et les chorégraphies décomplexées jubilatoires du chanteur. Si l’on devine la part de moquerie pas forcément bien intentionnée dans la réception de certains dans l’assemblée, d’autres, en particulier les filles et les mecs les plus jeunes (les plus ouverts ?) du public, semblent réellement apprécier tant l’audace que la musique. Ouverture queer à mort, on adore.

Un bref répit plus tard et c’est un autre duo qui prend place, cette fois-ci Moodie Black. Changement d’ambiance radical, mais on reste ébahis de voir que c’est un deuxième groupe ouvertement queer (un discours du chanteur le confirmera) qui se présente à nous, puisque Kdeath porte une robe noire et des collants à strass, en plus d’un maquillage assez emo-goth. Le guitariste lui, un gros nounours avec un t-shirt de black metal, offre un amusant contrepoint. Difficile de parler de première partie ici tant le groupe semble aimé et déjà bien connu d’un public cette fois nettement plus nombreux. Le fait que cette date est leur quatrième concert lyonnais en quelques années l’explique aussi sans doute, une partie de l’assistance étant en fait venue uniquement pour eux sur les bases d’un précédent concert (au Marché Gare, me dit-on). Cette fois vocalement, fini les aboiements bourrés de réverb de Plack Blague, on passe au flow démentiel de Kdeath, qui mélange à son rap un spleen très emo, un peu goth, comme si un Robert Smith rajeuni changeait brutalement de carrière. Pionniers depuis 2012 d’un nouveau genre de rap baptisé tantôt noise-rap, tantôt rap-gaze, ils distillent une musique où la rythmique est dictée par les beats électroniques gérés sur ordinateur, par le flow exigent du chanteur, mais où le mur du son érigé par le guitariste vient noyer le tout dans un océan tantôt très violent et bruitiste, tantôt plus mélancolique et shoegaze.

Moodie Black – crédit : Justine Targhetta / iamjusteen.com

En trois quarts d’heure, le duo donne un bon aperçu des possibilités offertes par un tel genre, chaque élément prenant suivant les morceaux joués une importance plus ou moins prépondérante. Le début du concert fait très rap conscient maussade et dépressif, un peu façon Dälek avec ses incursions industrielles et métalliques, puis les riffs ravageurs viennent changer la donne – et noyer un peu la voix au passage. On se prend à dodeliner plusieurs fois sous les nappes de plomb envoyées par la guitare, qui semble amplifiée plusieurs milliers de fois tant le volume sonore et les effets employés sont indécents. La deuxième partie du concert est encore plus contrastée, avec un morceau plus bref et énergique dominé par un riff de guitare très nu metal qui côtoie des plages mélancoliques plus calmes avant de s’achever dans un vacarme assourdissant que ne renierait pas un groupe comme Deafheaven, auquel on pense à plusieurs reprises. Kdeath nous fait d’ailleurs un petit discours avant de quitter la scène, remerciant Ho99o9 pour l’invitation et saluant surtout la concrétisation d’un projet de longue date d’une tournée entre plusieurs groupes de la scène noise-rap, projet semble-t-il avorté à plusieurs reprises. Citant les autres pionniers Dälek, il salue la présence, sur scène et dans le public, des personnes racisées impliquées dans ce courant musical hybride, ainsi que la présence des personnes queer, marquant une pause avant de lancer un brave et ironique « Are we queer enough for you? ». La boucle est bouclée, tout s’explique et on peut à présent passer au plat de résistance de la soirée.

Après une pause nettement plus longue, Ho99o9 débarque devant une salle comble et gonflée à bloc. Cette fois il y a trois personnes sur scène, le groupe s’accompagnant sur scène d’un batteur – et quel batteur ! – en plus des machines qui gèrent les beats et les samples. Dès que le concert démarre, c’est la folie. Le public, très mixte, se déchaîne, prêt à en découdre, parfois au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité et de prise en compte des autres comme en témoignent les quelques pieds et poings qu’on va se prendre dans le nez alors qu’on essaie juste d’écouter le concert sans forcément participer à la mêlée. La setlist annoncée est longue d’une vingtaine de morceaux, mais Eaddy l’arrache dès le premier morceau, comme si elle représentait un affront, une norme ou une convention de plus dont le duo devait absolument s’affranchir pour montrer son intégrité et marquer son territoire. Car c’est bien d’un territoire à défendre et à occuper plus que d’une scène dont il s’agit désormais.

Rarement aura-t-on vu deux musiciens, en particulier Eaddy – mais theOGM, même s’il gère surtout les samples, n’est pas en reste non plus -, posséder littéralement un espace. Empruntant volontiers au hardcore dans ses postures marquées et agressives, comme ancrées dans le sol de la scène, les deux musiciens arpentent l’espace, haranguent la foule, s’appuient volontiers sur les premiers rangs du public et viennent régulièrement au contact, pour hurler dans le micro à quelques centimètres de nos visages, crowd surfer, escalader le matériel ou inviter des gens à monter sur scène, faire quelques pas de danse frénétique avec eux et plonger dans la fosse. On ne les compte plus d’ailleurs les plongeons, car dès les premières secondes du concert ils commencent – du jamais vu ! – et ne cesseront jamais, la sécu n’en ayant pour une fois strictement rien à foutre. Baston générale aux allures de teuf vénère et hallucinée donc, que le découpage très dynamique du set orchestre avec fureur.

Procédant par blocs de 4-5 morceaux joués sans interruption et reposant sur des contrastes de style et de rythme, le groupe alterne ainsi hip-hop horrifique et psychédélique, déferlantes industrielles nimbées de samples hétéroclites (on y croise des discours, des bruits de guerre, des musiques de film, le rire d’Ozzy Osbourne et une chanson de Frank Sinatra) et surtout explosions hardcore mélangeant punk furibard et crossover thrash. On sent que les mecs ont écouté Suicidal Tendencies dès que le batteur met son infernale machine en route et sort une double pédale qui a le don de rendre le public encore plus dingue qui ne l’était déjà. Public qui semble connaître la moindre syllabe hurlée d’une discographie pourtant nébuleuse et moins évidente d’accès que les performances très frontales et généreuses du groupe en live. On reconnaît néanmoins les déjà classiques « Street Power » et « City Reject » pour le premier bloc, mais surtout « Bone Collector » ou « Money Machine » un peu plus loin, qui fédèrent dans la violence jubilatoire et libératrice aussi bien les vieux punks barbus de la scène hardcore locale, venus en nombre, que les jeunes queers vénères, nouvelles têtes qu’on croise d’habitude plutôt au Sonic ou à Ground Zero devant les nouvelles coqueluches du punk comme Black Midi et Fontaines D.C.

L’engagement politique du groupe ne fait ainsi aucun doute devant les sujets abordés et l’attitude scénique, agressive et frontale certes, mais aussi d’une générosité et d’une ouverture à son public finalement plus si fréquente de nos jours. Ils ont beau avoir l’air complètement givrés sur scène, on en devine pas moins que ce sont deux gars vraiment sympas. Le concert s’achève dans une espèce d’orgie décadente, le groupe faisant monter la sauce pour chauffer le public à blanc avec un medley en hommage à Prodigy où « Smack My Bitch Up », « Breathe » et « Firestarter » se retrouvent comme compressés, digérés et délivrés avec une énergie sauvage, mais si fidèle à l’esprit originel de ces compositions. Le groupe termine sur un quasi-hymne « Fight Fire with Fire » et reviendra même pour un rappel qui n’était pas prévu sur la setlist, tout aussi violent, mais nettement plus marqué hip-hop que les précédents morceaux du concert. Ça valait le coup de se faire plus ou moins péter le nez tant on ressort de là avec l’impression d’avoir assisté à quelque chose qui fera date.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique