[LP] HMLTD – West of Eden

Près de quatre ans après un single inaugural et ébouriffant, « Stained », les imprévisibles HMLTD nous livrent enfin leur premier album, « West of Eden ». Malgré une hype qui n’en finissait pas de grimper, des prestations live démentes et un EP plutôt solide, le projet anglais ne faisait plus beaucoup parler de lui. L’attente a-t-elle été trop longue ? Le groupe a-t-il tué sa propre hype ? Que vaut-il en fin de compte, ce premier album ? On vous donne quelques éléments de réponse ci-dessous.

Le 7 février dernier est donc sorti « West of Eden », premier album des Britanniques HMLTD présenté à la presse comme un pamphlet contre la dégénérescence de l’Occident (rien de moins), dans un improbable manifeste de plusieurs pages qui cite, pêle-mêle, Steinbeck (« East of Eden »), Ballard (« Crash »), la mythologie gréco-romaine, le djihadisme, le 11 septembre, la misère sexuelle, la perte de foi, la masculinité toxique, la course à l’armement et la théorie queer. Tout un programme. Il faut bien admettre qu’écouter le disque avant d’avoir lu cette déclaration d’intentions, puis le réécouter ensuite éclaire forcément quelques perspectives, mais des doutes et des déceptions persistent. Le groupe affirme avoir laissé de côté « des douzaines » de compositions dans le processus de sélection de la tracklist finale, mais vue la qualité inégale de pistes retenues, on peut s’interroger sur le niveau des morceaux qui ont été abandonnés. Car du temps a passé depuis le choc de « Is This What You Wanted ? », « Music » (absentes du disque) ou même « To the Door », qui refait surface ici. Et ces chansons hybrides qui jetaient allègrement des éléments de punk, de glam rock, de dance et quelques autres excentricités a priori difficilement conciliables nous manquent un peu sur un opus largement dominé par des sonorités électroniques flirtant avec l’EDM (pourquoi pas, après tout ?) et par la personnalité un brin envahissante du chanteur Henry Spychalski, charismatique, cabotin et capricieux (le manifeste, c’est lui), à tel point qu’on se demande par moments où est passé le groupe et si ce premier effort n’a pas sauté quelques étapes obligées de la carrière de tout combo rock sensationnel qui se respecte, oubliant donc les sacro-saints « premier album de génie », « déception du deuxième disque », « troisième album low-key mais réinvention et maturité », « clash entre les musiciens et album solo du chanteur ». On projette à peine, mais vous saisissez l’esprit.

« West of Eden » et « LOADED » donc, qui ouvrent le bal. On retrouve au loin une guitare un peu western spaghetti, référence probable à la fois à cet « Ouest » mythique qu’entreprend de dézinguer le sextet et aux sonorités qui refont surface juste après sur l’enchaînement « The Ballad of Calamity Jane » / « To the Door », sorte de suite de western  cette fois cyberpunk et plutôt convaincante, mais dont la moitié était déjà connue depuis quelques années. Le narrateur (ni plus ni moins que le biblique Caïn, d’après le chanteur) nous annonce que « l’Ouest est mort » et que ce disque sera son voyage à travers ses paysages désolés. Ce dernier se veut ainsi un improbable fourbi un brin moralisateur et prophétique; en oublie-t-il la musique pour autant ? Un peu. La meilleure composition de l’ensemble, le décadent « Satan, Luella & I » aux accents tragiques dignes d’un cabaret de Weimar, était sortie en 45 tours en 2018 ; c’est donc un peu faible, pour un premier essai, de ne pas pouvoir se reposer sur des compositions inédites pour nous convaincre. En témoigne la tiédasse bluette pop aux relents new wave un peu niais « Mikey’s Song », qui ramène en plus un élément vocal féminin dans le mix et fait basculer cette quête émancipatrice et révolutionnaire proclamée par le groupe à travers son manifeste dans une hétéronormativité un peu confondante. Il s’en explique d’ailleurs à demi-mot, s’interrogeant sur leur légitimité d’hommes « déconstruits » mais hétérosexuels (pour la plupart du moins) à investir une esthétique et un vocabulaire résolument queer. On reste en effet circonspect, car c’est une petite douche froide après trois années à voir en eux la relève flamboyante d’une scène gay et queer dans l’indie punk. Mais soit, au moins ils font l’effort de s’attaquer aux méfaits de la masculinité toxique en embrassant leur part de féminité. C’est d’ailleurs cette démarche qui est au centre de l’intrigant diptyque « Joanna » / « Where’s Joanna? », que le groupe affirme être un collage sonore de onze hallucinations auditives recréées en studio et qui démembrent, musicalement et textuellement, la figure féminine idéalisée de Joanna. Une critique surréaliste et macabre des violences faites aux femmes et du patriarcat forcément délétère, le tout dans une esthétique grinçante de cabaret monstrueux dans laquelle les musiciens excellent. Ailleurs, la figure féminine est réduite à l’illusion mécanique de la robotique, sur le très J-pop et électronique « Why? », autre piste plutôt réussie à défaut d’être inoubliable.

L’omniprésence de la violence, des armes à feu, de la guerre et de la mort contrebalancent les pulsions sexuelles (hétéro donc, et dictées par un homme en proie à une attirance-répulsion pour sa propre part de féminité), suivant une dialectique un brin conventionnelle et scolastique Eros / Thanatos sur « 149 » (en duo avec Tallulah Eden) ou plus explicitement « Death Drive », qui exécute des variations littéraires sur les thèmes de J.G. Ballard à travers un morceau désincarné et glacial rappelant immédiatement les expérimentations morbides et cathartiques de Suicide / Alan Vega. Incontestablement un des meilleurs titres inédits de l’album. Pour le reste, le disque déçoit indubitablement, avec une série de chansons oubliables et pas vraiment marquantes qui – et c’est le comble pour un premier album si attendu – font office de fillers en demi-teinte. Loin de la folie hystérique de « Where’s Joanna? » ou de la grâce mélancolique de « Satan, Luella & I », on se farcit donc une autre ballade électronique conventionnelle avec beats un peu putassiers, chœurs féminins clichés et refrain poussif comme « Nobody Stays in Love », largement dominée par la présence d’Henry encore une fois, au détriment de l’inventivité de la musique et cassant complètement la noirceur intéressante qu’avait amorcée un « Death Drive » chaotique et malsain. Si on voulait être méchant, quoiqu’un peu lucide, on pourrait comparer cette tendance à des sonorités et des compositions plus mainstream à certains morceaux de Muse récents, ou à des groupes du type 30 Second to Mars. Vraiment le pire morceau de l’album, pour le coup. « MMXX AD », intermède insignifiant qui file la métaphore confuse biblique et moralisatrice, a au moins le mérite de nous faire oublier la catastrophe du titre précédent et le disque se conclut sur deux pistes un peu plus convaincantes, dont le médiocre « Blank State » avec sa douceur alarmiste encore une fois emmenée en fanfare par une performance envahissante d’Henry Spychalski, mais qui nous donne un peu plus de matière côté composition, avec sa structure en hymne power pop rompue sur la fin par une ligne de piano lo-fi mélancolique. Ça manque un peu de conviction et de sincérité, ça reste poussif et forcé comme la majorité de l’œuvre, mais c’est déjà ça de pris. Ne reste plus que « War is Looming », final grandiloquent et vaguement menaçant qui renoue pour un temps avec l’étincelle de créativité que l’on entrevoyait encore de 2016 à 2018, dans un curieux registre acoustique cette fois, mais qui ne manque pas de charme. Maigre consolation venant tourner la (première) page d’une discographie autrefois prometteuse sur une note un peu plus optimiste musicalement que ce que le projet a péniblement essayé de nous raconter pendant cinquante minutes. Espérons que « les douzaines de morceaux » non retenus fourniront une matière première autrement plus excitante pour la suite.

crédit : Jenna Foxton

Manifestement trop attendu et trop minutieusement préparé par des créateurs encore bien jeunes, ce « West of Eden » témoigne d’un projet qui, à ce stade de sa carrière, a malheureusement perdu en créativité et spontanéité ce qu’il a gagné en sérieux et application. À trop vouloir nous faire avaler son concept pompeux et son préchi-précha apocalyptique, le groupe britannique – et, à sa tête, son chanteur omniprésent Henry Spychalski – se noie dans une musique paradoxalement générique et saturée de sonorités EDM et mainstream et consensuelles, dans laquelle surnage toutefois une poignée de morceaux passionnants, à la fois vestiges de la splendeur passée et lueurs d’espoir pour un potentiel renouveau artistique à venir.

« West of Eden » de HMLTD est disponible depuis le 7 février 2020 chez Lucky Number.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique