[Live] Hinds au Social Club

Un an d’existence et de concerts, mais Hinds en est déjà à son quatrième passage à Paris au Social Club. De la capitale française jusqu’à Austin en passant par Londres, les quatre Espagnoles sont le porte-étendard du rock underground madrilène ; une scène peu connue, mais qui a énormément à nous montrer.

crédit : Tanguy Calvès

Le rock garage espagnol, cela ne dit pas grand-chose à beaucoup de gens de notre côté des Pyrénées, même les fins connaisseurs de musique. Effectivement, c’est une scène assez limitée, surtout si l’on parle de groupes qui chantent en anglais. Pourtant elle existe, à Madrid notamment, de la même façon que l’électro ibérique a fait son petit trou à Barcelone.

Composé de quatre jeunes Espagnoles déjantées, groupe de potes avant d’être groupe de musiciennes, et toutes fans hardcore de Mac DeMarco et des Black Lips, Hinds produit un rock lo-fi avec une orientation très british, mais également un charme espagnol, ce qui lui donne une certaine singularité. Le quatuor, composé de Ana, Carlotta, Ade et Amber et produit par leur alter ego masculin local, The Parrots, se fait ainsi depuis quelques mois la vitrine du rock underground madrilène.
La formation n’existe pourtant que depuis tout juste un an. Depuis longtemps, Ana et Carlotta ont écrit, joué de la guitare et chanté toutes les deux sur YouTube, mais ne sont pas montées sur scène avant l’arrivée de leurs deux amies. Pour démarrer une formation sérieuse, il leur faut en effet une bassiste. Pour ce faire, elles offrent à Ade une Fender pour son anniversaire afin de la convaincre de les rejoindre. Pour la batterie, Carlotta a pensé se débrouiller avec une grosse caisse, en y jouant à coups de pédale en même temps que de la guitare. Mais l’idée ne fait pas long feu, et l’Hollando-Espagnole Amber rejoint le groupe avec un kit complet.

Le live band est prêt pour faire un premier concert en avril 2014. A partir de là, pour Hinds (qui à l’époque s’appelait Deers), tout est allé à cent à l’heure. Si, depuis ces récents débuts, leurs concerts se comptent seulement par quelques dizaines, elles sont déjà passées par les États-Unis, dont le fameux SXSW d’Austin cette année. À Paris, elles ont réalisé pas moins de quatre concerts, dont un en première partie de The Libertines au Zénith de Paris (oui, sans blague), avant ce dernier passage au Social Club.

Cet intérêt croissant pour les quatre Espagnoles surprend d’autant plus qu’elles n’ont que quatre chansons enregistrées à proposer jusqu’à présent, avec les deux EPs deux titres « Barn » et « Demo ». Mais c’est suffisant pour le manager de The Libertines, qui a tenté sans succès de les prendre en charge (elles ont déjà leur manager, faut pas rêver) ou pour travailler leur album en studio aux côtés de The Vaccines (en fait, « juste » le bassiste, Árni Arnason.)
En tout cas, au Social Club, ces quatre chansons résonnent déjà comme des hymnes pop, et les fans qui accourent à chacun de leurs concerts parisiens les accueillent comme tels : « Trippy Gum », « Bamboo », « Castigadas En El Granero » et « Between Cans », avec leurs guitares grésillantes dominant des mélodies surf-rock délicieuses. Le quatuor est d’autant plus séduisant qu’il ne se prend pas au sérieux avec cette courte première année d’expérience scénique.

Les quatre filles sont les premières à dire que le mot « garage » prend tout son sens avec leur musique. Le Social Club aurait pu être ce genre garage. En vérité, cela ressemble à une vieille cave, située 142 rue Montmartre et qui logeait les machines d’imprimerie d’un célèbre journal parisien qui fit la gloire d’Émile Zola à l’aube du XXe siècle. Quand Hinds se glisse dans cet élément, on ne peut s’attendre qu’à quelque chose de bruyant, un peu crade, dans la pure culture du « Do It Yourself ». L’instru est lourde voire bourrine, les voix sont un peu étouffées. La luminosité n’est pas le fort du lieu, censé accueillir aujourd’hui des soirées club, et le groupe semble gêné de ne pas voir la fosse complètement dissimulée dans le noir, alors que toutes les lumières sont projetées vers la scène. Ana et Carlotta se débattent avec leurs micros mal vissés sur des perches glissantes, fuyant sans cesse leurs lèvres. Tout paraît ainsi encore un peu brouillon et improvisé, mais parfaitement adapté au contexte.

D’autant plus que chaque passage de Hinds à Paris a autant l’air d’un concert que d’une fête entre amis. Entre les admirateurs du groupe toujours plus nombreux se glissent également proches et amis du quatuor, souvent les plus bruyants. Il n’y a effectivement pas que des étrangers pour Hinds dans cette ville, notamment pour Ana, à moitié française, et qui a passé son bac au lycée français de Madrid. Cependant, si elle connait bien notre langue, elle n’en dit pas un mot. Sur scène, c’est surtout Carlota qui s’exprime, elle aussi en français (du moins elle essaye) avant de passer à l’anglais comme ses trois partenaires.
Après tout, c’est l’anglais qui permet de faire briller leur musique aujourd’hui, et qui porte le groupe jusque dans la rubrique « Tracks » de Pitchfork ou dans les colonnes du NME, alors que la Scala de Londres leur a ouvert ses portes pour jouer en tête d’affiche. En première partie, les Espagnoles font même jouer des Anglais, Oscar. Il n’y a pas de doute, elles savent sur quel terrain jouer.

crédit : Tanguy Calvès

Sur scène, la setlist de Hinds est encore courte, avec une petite dizaine de chansons. Le public du Social Club se contente d’une majorité de titres qui lui sont encore inconnus, fraîchement enregistrés en studio et qui font leur arrivée sur scène. Peu importe ; Hinds amène sa folie et sa rage, les spectateurs se laissent emporter par la bonne humeur des Espagnoles, qui s’acharnent à faire danser leur public. Carlota essaie pendant quelques minutes de convaincre qu’il faut au moins bouger, au mieux danser, car en face d’elle il y a ce fameux public parisien traditionnellement contemplatif et davantage connu pour faire du bruit entre deux chansons et lors du rappel. Après tout, elle a raison : c’est un set qui doit sentir la bière et la sueur, tellement la chaleur est étouffante et les gorges sèches dans ce petit espace du club réservé au concert.

Enfin arrive le final, épique : une reprise décalée de « Davey Crockett » de Thee Headcoats ; puis après un rappel insistant, un moment gênant ou le quatuor se rend compte que s’il revient sur scène, il n’a absolument plus rien à jouer. Quelle importance ? La dernière fois, au Pop Up du Label, elles avaient rejoué une chanson de la setlist. Un peu facile. Cette fois-ci, soyons fous jusqu’au bout : elles lancent un son qu’elles n’ont joué qu’une seule fois devant un public. Évidemment, c’est encore plus bordélique que le reste, mais bon, on est bien. Un album nous est promis pour la rentrée de septembre, et on espère juste que ce sera une occasion de les revoir à nouveau.


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens