[Live] Hellfest 2018, jour 1

Pour couvrir la treizième édition du Hellfest, qui avait lieu à Clisson du 22 au 24 juin derniers, indiemusic renouvelle un peu son équipe de choc sur place, à l’assaut des six scènes, presque 200 concerts et des 180 000 festivaliers sur place. Voici le récit illustré de ces trois jours de folie infernale, en commençant bien sûr par le vendredi.

Mos Generator – crédit : Erwan Iliou

Article écrit par Maxime Antoine et Maxime Dobosz

Ceux qui lisent nos comptes-rendus du Hellfest depuis quatre ans le savent bien : chez indiemusic, on ne rigole pas, et nous sommes d’aplomb dès l’ouverture des portes le vendredi matin pour en prendre plein les oreilles. Arrivée la veille pour une partie d’entre nous, queue chaotique pour récupérer les accréditations en plein cagnard et harcelé par les abeilles (si si), place plutôt sympa en camping, traditionnelle soirée apéro (ou comme on dit là-bas : « APEROOOOOO ! ») du jeudi soir, avec option « coupe du monde de foot » et match de la France pour les aficionados, et un premier constat : l’organisation, une fois passée la file d’attente inaugurale, est de très bonne facture. La mise en place d’un cashless rechargeable à l’avance et en ligne (et la conjonction avec le match de foot peut-être) a dépeuplé les horribles files d’attente des éditions passées, et en cinq minutes chrono nous voilà armés de notre sésame à bière et nourriture ainsi que d’un bracelet pour aller prendre des douches tièdes au milieu de hordes de festivaliers velus chaque matin. Autant dire qu’on part sur de bonnes bases.

Vendredi matin donc, ouverture à 10h pétante, on est déjà sur place et on arrive avec un peu d’avance devant la barrière en Valley (notre scène de prédilection chez indiemusic) pour le concert de Fange, pendant que le commun des mortels se rue sur le merch officiel ou cuve encore au camping. Bien nous aura pris de notre assiduité, puisque les Rennais font honneur à leur réputation de groupe le plus sale et le plus bruyant de Bretagne, balançant sans vergogne et de bon matin de torrents de boue sludge avec la hargne d’un groupe de hardcore et des vocaux qui flirtent avec le black-death. Le look des musiciens est au diapason, c’est-à-dire un peu effrayant quand même, et les compositions s’étirent de façon improbable, multipliant les plans fracassants, les changements de rythme et de style jusqu’à l’écœurement. Un brin indigeste et pas complètement abouti, mais l’énergie folle de ces musiciens et de ce chanteur furieux, un temps accompagné d’un de ses potes qui regardait depuis le côté de la scène pour quelques vociférations en duo, compensent largement les quelques lourdeurs ou fautes de goût.

Un petit passage en Temple où jouent les Chambériens de Caïnan Dawn suffit à nous convaincre que ce type de black metal un peu trop guignol et folklorique n’est pas pour nous, et nous traçons vers la Main Stage pour apercevoir de loin, sur l’herbe et au soleil, un groupe qui aurait eu sa place en Valley. Mos Generator joue en effet un hard blues aux relents de stoner idéal pour un début de matinée sous la tente dédiée aux variantes les plus psyché du metal, avec de fortes influences seventies et une bonne humeur franchement communicative. Rien de renversant, mais ça fait parfaitement le job et ça fait du bien de voir autre chose d’un énième groupe de metalcore ou de sympho sur les Main Stages en début de journée.

À peine le temps d’engloutir une première bière qu’on s’enfonce de nouveau dans la brume de la Valley. On entre directement dans le vif et la lourdeur du sujet avec le trio canadien Sons Of Otis qui assène son stoner caverneux en cette fin de matinée. Entre larsen et effets de voix qui donnent une sensation d’espace assez impressionnante à la puissance d’éléphant de la basse, le groupe livre un set surpuissant à la hauteur de leur statut de groupe culte et injustement méconnu en dehors des sphères stoner / doom. La première claque du festival. On file rapidement vers la Warzone pour la première fois du festival, traversant le petit bois à grandes enjambées en regardant un peu ce qui se passe autour : des milliers de festivaliers qui continuent d’arriver par l’entrée principale, des centaines qui font la queue en plein cagnard pour le merch, quelques flux de foule qui vont de la Warzone vers les autres scènes et réciproquement, et, juste avant d’arriver dans l’arène du punk et du hardcore, on apprécie les gouttelettes d’eau qui s’échappent d’une structure de métal rouillé qui amène ombre et fraîcheur aux festivaliers en quête d’une pause. Grande nouveauté de cette édition : les fosses des trois scènes complètement « outdoor » (les Main Stages et la Warzone) sont pavées, pour éviter les nuages de poussière ou les torrents de boue des années précédentes. On découvre donc une Warzone flambant neuve, en dur et sans l’habituelle tornade brune qui tourbillonne au moindre circle pit, rendant l’air irrespirable et les conditions vraiment extrêmes pour profiter d’un concert de près. Spermbirds, les vétérans du punk hardcore allemand, délivrent un show très énergique à la joie si communicative qu’elle provoque plus que de gros pogos (les premiers du festival) : une chenille-circle pit fait son apparition, animal de fosse hybride qui vous fait croire que ça va être fun et rigolo, mais qui est juste un prétexte pour vous ramener là où on se tape dessus dans la joie et la bonne humeur (vraiment). Le chanteur se bidonne, les refrains très « oï » sont vite repris en chœur par fans et néophytes, on passe plutôt un bon moment et la saveur politique du discours du groupe qui s’insère entre et dans les morceaux est un bonus non négligeable, même si fréquent sur cette scène (la seule réellement politique du festival). Après vingt minutes hilares et rythmées, on file presto en Temple pour voir Darkenhöld quelques minutes. Les cinq musiciens de ce groupe français jouent un black pagan médiéval un peu old school, jusqu’aux looks typiques, cheveux très longs, postures théâtrales et fringues qui pourraient sortir du Puy du Fou. Passé le choc esthétique, on apprécie la dimension très mélodique et soignée de cette musique, d’une précision remarquable rehaussée par des parties folks acoustiques vraiment charmantes. Les voix sont un chouïa grandiloquentes mais justes, en français et en occitan. Un des guitaristes fait tâche, avec son look radicalement différent qui ferait presque croire que c’est un musicien de tournée. Le chanteur annonce au passage que le groupe fête au festival ses dix ans d’existence, une nouvelle reçue par des acclamations enthousiastes du public. Un discours de remerciement assez touchant et inhabituel clôt leur concert solide, porté par les mélodies imparables du groupe.

Retour en Valley pour un rendez-vous immanquable avec des Canadiens qui nous avaient fait faux bond il y a deux ans : Dopethrone. Le groupe, habilement nommé d’après l’album le plus connu de Electric Wizard, officie dans ce sous-genre du stoner-doom qui revendique de façon démesurée la consommation de psychotropes et en fait le principal moteur de sa musique, composée et jouée sous influence. Malheureusement, c’est un concert assez bizarre qui nous attend, entre son écrasant et sale, batterie très curieusement réglée, et groupe qui sombre peu à peu dans le désordre le plus confus. Le chanteur, qui assistait sur le côté de la scène aux concerts précédents, semble complètement à côté de la plaque et le groupe débute son concert avec des problèmes techniques agaçants qui entraînent de nombreuses pauses et colères de son leader. Les Canadiens ne se démontent pas pour autant et se rattrapent rapidement en réglant tous ces soucis au compte-gouttes. Le sludge de Dopethrone se révèle être groovy et enfumé à souhait, il flotte de part et d’autre des odeurs suspectes de rigueur. Confirmé plus tard par une question du leader Vincent Houde au délicieux accent québécois « Qui c’est qui a soif ce soir et qui prend de la drogue ? », rappelons qu’il est midi passé à peine. Il n’en oublie pas son petit message de prévention qui semble teinté d’expériences douloureuses : « Ne prenez jamais d’héroïne, c’est mauvais pour vous. » Bien vu. Au-delà de ça, on retiendra les patterns surprenants de batterie que joue le nouveau venu dans le groupe Mark Greening, ce dernier nous offre un anti-solo de batterie assez jubilatoire pour fêter la nouvelle. Bref, Dopethrone, c’était vraiment pas mal, mais les avis du public étaient plutôt divisés sur le sujet et sur la prestation du batteur, dont il se murmure qu’il était surtout très ivre. On retiendra aussi ce moment où Houde fait crier à l’unisson au public un « Tabernacle ! » épique.

On arrive à choper la fin de Misanthrope, qui jouait en même temps que les Canadiens et que nous voulions absolument voir, même cinq minutes. Les Français, pionniers d’une musique metal très libre et inventive chantée dans la langue de Molière, mélangent depuis trente ans death metal, doom, rock progressif, musique expérimentale et influences littéraires costaudes. Si leurs derniers albums n’ont pas la force de frappe des concepts d’antan comme « 1666…Théâtre bizarre » (1995) ou l’excellent « IrréméDIABLE » (2008), sur scène ça passe plutôt pas mal si vous n’avez pas trop peur des trucs amphigouriques. On a du mal à comprendre les textes (pourtant d’une sophistication peut-être seulement égalée par les Britanniques de Cradle of Filth) que chante Philippe Courtois de l’Argilière, le leader et compositeur principal du groupe. Par chance, nous assistons à des titres anciens puisque les deux derniers morceaux datent respectivement de 1995 et de 1997, « 1666… Théâtre Bizarre » d’un côté et puis « Bâtisseur de Cathédrales » pour clore le set. La générosité old school du chanteur, qui fait chanter les gens et taper dans les mains, tranche de façon amusante avec le caractère très particulier de leur musique, pas des plus accessibles.

Un peu de marche digestive après un cul sec de hamburger végétarien et on peine à trouver le temps de voir les ancêtres Hard-Ons. Ces bons vieux punks australiens au look de comptables enchaînent gros refrain sur gros refrain avec une voix qui peine à être juste, mais est-ce réellement important ? On n’a pu voir qu’une moitié du concert qui nous a présenté un éventail vraiment large et mélodique du groupe. Sans trop de pauses ou de fioritures, Hard-Ons enchaîne ses petits tubes débiles remplis de riffs mélodiques assez bluffants d’harmonies bien trouvées. Fait surprenant, on a entendu une personne dans la foule chanter le fameux « Pouloulou » de Niska (Réseaux). Bémol, génie ? Personne ne saura répondre.

Quoi de mieux pour digérer qu’un peu de black métal atmosphérique ? Comme le dit l’adage ardéchois « après le café, black atmo’ pour digérer ». Et là, première claque, et non des moindres. Schammasch sonne avec une indécence rare, le son est merveilleux de précision, l’ensemble instrumental est d’une puissance folle quand la saturation posée sur la voix du chanteur Obscura finit de nous glacer. Nous ne sommes pas très loin de cette mode proche de Batuschka qu’a le black metal atmosphérique ces temps-ci à se vouloir cérémonial et spectaculaire sur scène. Là où ce type de spectacle peut finir par être risible et fort peu original, le groupe suisse se distingue de toute évidence par son intensité tout le long de leur set sans tomber dans un excès de théâtralisation. Le groupe grimé tout de noir autant sur le visage que les vêtements mettent un bon coup de pression. Il est essentiel de préciser que Schammasch possède la première double grosse-caisse du festival et que, même si cela reste absolument cool, le groupe n’en abuse pas avec de longs moments d’accalmie qui frôlent le drone. C’eut été préférable d’apprécier ce concert de nuit, mais trêve de chipotages, Schammasch a livré un très grand concert, très solennel et tenu de bout en bout. On regrettera simplement les premières minutes, inaudibles, car une partie de l’information sonore n’était pas transmise dans les baffles et nous n’entendions que la guitare aiguë saturée qui nous écorchait les tympans. Le reste était parfait et le groupe a le bon goût de finir sur « Metanoïa », leur morceau le plus emblématique – et une tuerie monumentale.

Chose peu commune, on enchaîne en Valley pour un concert résolument influencé par le black metal. Les Lyonnais de Céleste prennent place pour nous coller une monumentale baffe, semblant aspirer la lumière du jour et créer l’obscurité autour d’eux et de la croix renversée rouge qui leur sert de décor de scène luisant. Musicalement on est entre un black metal contemporain furibard et des salves rythmiques hallucinantes dignes de Meshuggah. Tout est d’une précision dingue et le groupe nous met rapidement au tapis. Malheureusement, un autre groupe intéressant joue en Main Stage en même temps et nous partons assez rapidement, prenant le pari de les revoir à Lyon à l’automne (au Transbordeur avec Amenra).

Nous allons donc voir ce que donnent les acolytes de Mike Portnoy, l’ex-batteur herculéen de Dream Theater au capital sympathie inattaquable et qui a récemment monté un super-groupe de metal progressif, Sons of Apollo, avec des musiciens de compétition (comme Ron « Bumblefoot » Thal ou Derek Sherinian). C’est tristement la prestation la moins convaincante de la journée tant le chanteur Jeff Scott Solo semble ramer pour tenir la barre d’un groupe techniquement monstrueux, mais un peu décousu. Et sur ce genre de musique, si un truc est décalé ou faux, tout se casse la gueule. Portnoy, en vieux routier, assure comme d’hab, tout sourire et à fond, mais le vent par bourrasques achève de nuire au son des musiciens. Dommage, mais gageons que le groupe sera plus convaincant en salle qu’en plein cagnard.

On reste sur les Main Stages pour assister avec curiosité, mais peu d’attente au concert des vétérans australiens de Rose Tattoo, groupe qu’il faut bien avouer nous n’avions jamais écouté avant, mais dont le nom nous était vaguement familier. Les premiers albums datant de la fin des années 70, ça passe ou ça casse – on se souvient tous de la catastrophe Deep Purple et de la bonne surprise Blue Öyster Cult l’an dernier. Mais soyons honnêtes, les Australiens s’en tirent avec les honneurs, leur chanteur montrant une forme remarquable et un entrain plutôt communicatif, et la voix suit le tout. Ce hard rock un peu bluesy n’est pas sans rappeler Aerosmith, avec quelques touches de boogie à la Status Quo qui s’avèrent plutôt efficaces. Sympathique pour les familles qui passent la journée devant les Main Stages. Retour en Valley pour les inénarrables Bongzilla (un an après les inoubliables Bongripper) qui vont allègrement nous défoncer la gueule à grands coups de riffs pachydermiques. Le son est monstrueux, le groupe joue à fond sur les contrastes rythmiques entre passages titanesques et accélérations vicieuses, hurlant de-ci de-là tout au long du concert, à la fois cosmique et tellurique. Un des temps forts de cette première journée, indéniablement.

Place à la bagarre générale avec les rois invaincus du hardcore qui débarquent sur la deuxième Main Stage, pour plus de démesure. Sans trop étonner, Converge est toujours aussi fou sur scène, on se pose encore la question de savoir comment les poumons et le cœur de Jacob Bannon font pour tenir le coup. Converge est toujours aussi généreux sur scène, les musiciens dont Kurt Ballou parcourent la scène de long en large dans une perte totale de leurs mouvements. On sent clairement des musiciens qui prennent toujours autant de plaisir à jouer ensemble sur scène des albums comme le classique « Jane Doe », ça sourit dans tous les sens, c’est fort agréable de constater que la saturation n’implique pas nécessairement de faire la gueule. S’il fallait émettre une réserve, l’ambiance fermée d’une salle permet d’apprécier un peu plus la rage folle de Converge. Dans l’attente de les revoir, on repose sur la platine « Beautiful Ruin », le nouveau venu du groupe en format court.

En guise de récréation, nous assistons ensuite au concert d’une des rares femmes de cette édition, puisque Joan Jett débarque avec ses Blackhearts sur une des deux scènes principales et enchaîne avec entrain tubes de sa carrière (solo ou avec les Runaways) comme « Bad Reputation » ou « Cherry Bomb » et reprises, comme le « Do You Want to Touch Me ? » de Gary Glitter (également pédophile notoire, raison évidente de sa disparition des radars puisqu’il est en prison, et bien fait pour lui). C’est sympa, mais pas transcendant non plus, un show taillé pour les Main Stages en somme. On en profite alors pour jeter un œil à Saor en Temple, sorte de Alcest celtique qui joue un black metal atmosphérique teinté de passages folk. C’est mignon (sur album même très convaincant), mais en live les violons sont envahissants et mièvres et on se prend à imaginer une reprise du thème de Titanic ou des Visiteurs par le one man band écossais, ce qui est rarement bon signe. C’est le signal qu’il nous faut une bonne correction des familles pour nous réveiller et nous faire repartir de plus belle. En Valley donc, les Américains de Crowbar, groupe emblématique du sludge sudiste avec Eyehategod et Down, vont réussir haut mission la mission mentale que nous leur avons confiée. Le public se déchaîne sur un concert boueux et massif, volontiers brouillon dans les passages les plus rapides et agressifs, beaucoup plus convaincant lors des ralentissements et des riffs écrasants que le groupe nous assène.

Un concert burné, moite et viril que nous quittons à mi-parcours pour voir ce que donnent les Suédois de Meshuggah sur la Main Stage. Énième dilemme de vendredi donc, et gros défi pour le combo le plus technique du metal extrême : jouer en extérieur, en plein jour, devant un public qui potentiellement attend jusque ce soit le tour de la grosse tête d’affiche (Hollywood Vampires et Judas Priests) de jouer. Et malgré tous ces obstacles, c’est la mandale cosmique. Privé de leur lightshow épileptique (grandiose en salle), le groupe déroule impeccablement un flot de rage musicale diablement technique. Par chance, même en ayant raté une partie du concert, nous assistons au cultissime « Bleed » qui semble même convaincre les gens n’ayant jamais entendu parler de ce groupe auparavant. La section rythmique colossale sert de redoutable socle au jeu de guitare le plus précis et le plus déconcertant du festival, tout en signatures impossibles à suivre et que le groupe semble avoir inventées. Démentiel.

Encore sous le coup des quantités indécentes de décibels (et d’herbe rigolote) que nous venons d’infliger à notre corps, nous passons le concert d’Europe allongé dans l’herbe un peu en retrait, soit exactement comme tous ces mecs qu’on a passé les précédentes années à juger copieusement. Lunettes de soleil vissées sur la tête, casquette en place pour se protéger du soleil, et regard perdu dans les cieux, on se laisse bercer par le hard rock étonnamment solide des Suédois, qu’on pensait uniquement obsédés par les ballades mielleuses. Du gros riff, il y en a à gogo, et le combo scandinave s’en sort au final bien mieux que bien des pointures du hard à la même place. Comme quoi un tube stupide peut parfois faire de l’ombre à une honnête discographie. En parlant du loup, « The Final Countdown » vient logiquement conclure le concert, comme une sorte de messe parodique qui l’espace de quelques minutes fait communier cyniques et fans de la première heure, sobres et mecs bourrés, pour chanter un des hymnes les plus inoubliables des eighties. C’est toujours aussi craignos, mais c’est à peu près aussi drôle que d’avoir fait de la tyrolienne pendant Foreigner il y a deux ans, et le Hellfest est aussi fait de ces moments de kitscherie en forme de plaisir coupable. Par contre, le chanteur ressemble à Pascal Sevran, avec son brushing impeccable, sa teinture (est-ce une moumoute ?) et ses dents Colgate achetées sur Amazon.

L’avantage d’avoir traîné à proximité de la Main Stage pendant le concert des Suédois, c’est qu’au changement de scène on profite des quelques centaines de festivaliers qui migrent vers d’autres horizons pour s’approcher et assister à la performance très attendue de Steven Wilson de raisonnablement près. Techniquement, c’est le big boss de la journée : génie musical incontesté, virtuose indéniable et surtout gros geek perfectionniste qui assure à son set le meilleur son de tout le festival, puisque tout ça sonne comme du cristal de roche alors qu’il joue sur les Main Stages pas vraiment réputées pour ça, et sujettes aux bourrasques. Donc kudos pour le tour de force digne de Pink Floyd. Cela dit, si le début de set envoie du lourd, puisque monsieur attaque avec « Home Invasion » et « Regret #9 » de son avant dernier album « Hand. Cannot. Erase », la suite est vite plus compliquée, Wilson assumant très goguenard son album de pop à la Abba (même lui le dit) et jouant la plus cheesy « Pariah ». Mais Hellfest oblige, et Wilson ayant conscience de la ténacité de ce public, il annonce ensuite une setlist plus « heavy » et enchaîne un morceau de son groupe culte Porcupine Tree, « The Creator has a Mastertape » puis « People Who Eat Darkness », un des extraits les plus convaincants de son dernier album. Nous nous éloignons pour rejoindre la Valley, mais la suite du concert comporte quelques surprises : un autre morceau de Porcupine Tree, un morceau tiré d’un de ses EPs et une autre piste issue de « Hand. Cannot. Erase. », « Ancestral ». Plutôt convaincant et avisé en somme.

En Valley, c’est un groupe culte et relativement rare qui se produit, donnant lieu à un des innombrables conflits Main Stage / Valley de la journée : Church of Misery. Les Japonais sont volontiers décrits comme le chaînon manquant entre Black Sabbath période Ozzy et un autre groupe nippon, les freaks psyché de Acid Mothers Temple. Le résultat est effectivement de cet acabit, à grand renfort de riffs lugubres et obsédants répétés sur de longues minutes dans une infernale spirale psychédélique, ponctuée d’interventions au theremin, instrument curieux, mais affectionné des groupes japonais apparemment, et qui donne une coloration cosmique au tout. C’est lourd, c’est puissant, c’est enivrant et ça fonctionne à plein, un mec du public lance des brassards bouées sur scène que le leader du groupe attache en rigolant à son theremin, jouant de l’instrument avec ces accessoires inattendus. Gros bémol dans cette liesse générale : le groupe finit avec dix minutes d’avance, coupant court à une longue outro extrêmement langoureuse et ne revenant pas pour un dernier titre. Dommage.

Passage obligé en Temple pour voir une bonne partie de Solstafir, groupe islandais de post black à la discographie mélancolique et élégante récemment entachée par le limogeage indigne de leur batteur, un des membres fondateurs du groupe, en 2015 (à lire ici sur son blog). C’est donc avec des pincettes que nous abordons ce concert, conscients qu’il y a au moins un salaud et quelques lâches sur scène. Néanmoins, le groupe reste toujours aussi convaincant et poignant, atteignant quelques passages d’une intensité émotionnelle rarement égalée de tout le festival. Au bout d’un moment, on tourne légèrement en rond et on en profite pour aller jeter un œil moqueur au carnage annoncé sur scène avec Hollywood Vampires en tête d’affiche de la soirée. Le super-groupe plus people qu’autre chose, composé de Johnny Depp en pleine tourmente #metoo et soupçons de violences conjugales, de Joe Perry (guitariste d’Aerosmith) et d’Alice Cooper attire certes la foule la plus impressionnante de la journée, mais s’avère effroyablement ringard. Depp est un piètre guitariste et une épave qui fait peine à voir, il rame pour tenir vocalement, Cooper semble perdu et fatigué, il entonne avec peu d’entrain quelques-uns de ses tubes et Joe Perry lui, miracle de la coke sans doute, tient parfaitement la route et sauve le tout du naufrage total, assurant carrément ses parties sur le cultissime « Sweet Emotion » d’Aerosmith. Mais bon, une tête d’affiche qui joue des reprises de standards du hard et du heavy au milieu de quelques compositions originales désolantes, ça fait pitié.

On retourne dans le brouillard de la Valley pour voir les vieux de la vieille Eyehategod qui décident par un gros et interminable larsen de rameuter le public dispersé un peu partout. Une dizaine de minutes de larsen, c’est long. Le concert finit enfin par démarrer et le trio libère toute sa violence sludge, avec ces riffs lourds aux harmoniques qui ne sont par moment pas sans rappeler étonnamment Machine Head, dont la musique est pourtant assez éloignée. Le groupe nous livre pendant une petite heure un set constant dont le charisme repose sur ces quelques musiciens qui ne sont pas là pour déconner, en acquiescera le technicien lumière qui s’est fait gronder par le guitariste à qui il éclatait les yeux au stroboscope. Une bonne dose de violence et de gras, dans la parfaite continuité de Crowbar. Dommage que le père maudit Phil Anselmo (de Down et Pantera), persona non grata depuis quelques dérapages avinés, ne soit que (supposément) à la programmation musicale de la Valley et non sur scène avec un de ses projets pour compléter ce panorama du sludge 90’s de la Nouvelle-Orléans.

La soirée bat son plein et la vraie bonne tête d’affiche indiscutable de la soirée s’apprête à prendre possession de la Main Stage principale. Les Anglais de Judas Priest, fort d’un très convaincant 18e album studio (!), « Firepower », et ayant préalablement annoncé que cette tournée serait la dernière, sont attendus au tournant et avec ferveur par des dizaines de milliers de festivaliers. Rien n’a changé, Rob Halford et ses comparses débarquent vêtus de cuir noir de la tête aux pieds, avec moult pics en métal et une sorte de cape scintillante pour Halford qui pavane un peu avant de dévoiler le reste de sa tenue, en comparaison plus sobre, mais dans l’absolu complètement déluré. C’est un plaisir fou de voir celui qui reste, outre un des dieux du heavy metal à la sauce british (ou NWOBHM), un des rares musiciens metal de cette notoriété à être ouvertement gay depuis vingt ans et à amener de la visibilité et de la diversité dans un festival par ailleurs très hétéro et masculin. Et en plus son guitariste rythmique est plutôt très sexy dans le genre daddy cuir. Voilà, c’est dit. Côté scène, le show fait office de petit avant-goût à celui d’Iron Maiden qui nous attend dimanche. Scène monumentale, décors impressionnants, mise en scène sophistiquée avec changements de costumes et interactions chorégraphiées entre les musiciens. Côté musique, l’ouverture du concert fait honneur au dernier album, avec la chanson-titre et la très efficace « Lightning Strike », ainsi que « Grindr », un classique de « British Steel », album le plus célébré du groupe et le plus joué ce soir avec six morceaux sur dix-huit. Deux interludes structurent la setlist qui s’achève sur un enchaînement attendu de tubes que nous n’avons pas vus, ayant filé vers d’autres scènes la mort dans l’âme. Pas de « Metal Gods », « Painkiller » ou « Breaking the Law » pour nous, mais à la place un bout du concert de Napalm Death, habitués du Hellfest et visiblement condamnés à jouer en même temps que des gros mastodons. Les rois du grindcore (sous genre extrême du death metal), anarchistes convaincus, jouent un nombre invraisemblable de morceaux (puisqu’ils durent entre 30 secondes et deux minutes) avec une énergie ébouriffante et un chanteur sur une autre planète. Très brutal, mais aussi très rigolo, avec en prime en fin de set une reprise du classique des Dead Kennedys, « Nazi Punks Fuck Off », qui vient compléter un setlist riche en tueries monumentales (« Scum », « You Sufer », « Life ? »).

La soirée touche sensiblement à sa fin et nous avons sacrifié Judas Priest (et dans une moindre mesure Napalm Death) uniquement dans le but de voir environ la moitié du concert de Corrosion of Conformity, qui signe au final une des meilleures performances de la journée avec un stoner survolté groovy et très psyché qui bénéficie en prime d’un son excellent, fort et net. Groupe culte, assez rare en Europe hors festival, les musiciens se déchaînent pour notre plus grand plaisir, nous gratifiant d’une orgie sonore réjouissante qui aurait fait office de parfaite conclusion à cette première journée si nous n’avions pas décidé d’aller voir A Perfect Circle sur la Main Stage. Le groupe emmené par Maynard James Keenan (chanteur de Tool), qui justifie à lui seul le détour, a en effet sorti un atroce quatrième album plus tôt cette année, et nous n’avons par ailleurs jamais complètement adhéré à la proposition musicale de ce groupe, sorte de version plus commerciale et plus banale de groupe autrement plus intéressant comme Tool ou Deftones. Le concert est à l’image de ce jugement pas tendre : quelques moments fascinants et convaincants, mais pour y avoir droit, il faut se farcir beaucoup de titres mollassons et pas franchement intéressants. On ne voit jamais bien Maynard qui passe le concert isolé des autres musiciens sur un promontoire, et sa prestation vocale irréprochable est vraiment ce qui sauve le tout. Mais nous jetons l’éponge avant la fin, gagnés par la fatigue et l’ennui, et laissons les milliers de fans hypnotisés apprécier le concert qu’ils attendaient sûrement depuis dix heures du matin.

Une première journée de Hellfest assez mitigée, probablement desservie par le trop grand nombre de groupes excellents à s’y produire, créant une suite de dilemmes vraiment agaçants, alors que les deux jours suivants auront chacun leurs respirations et une programmation objectivement moins alléchante, mais qui permet de se concentrer sur plus de concerts complets. Néanmoins la Valley et, assez curieusement, la Temple et la Main Stage 2 nous auront offert leur lot de concerts mémorables.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique