[LP] Gurr – In My Head

Merci Mesdames, en quelques accords et grâce à quelques gimmicks savamment balancés, vous nous avez redonné foi dans la grande messe rock’n’roll, en nous faisant oublier en quelques secondes, le désolant dernier disque d’Iggy Pop (chose peu évidente, tellement la déception fut grande). Nous devons même vous avouer que nous avons presque eu envie d’accorder nos vieilles guitares pour enfin enregistrer nos misérables chansons adolescentes en deux accords. C’est bien connu, le chroniqueur musical est un musicien frustré qui pour se donner de la contenance, s’arroge le droit de critiquer la musique des autres, avec plus ou moins d’objectivité, variant selon son niveau de frustration. Le « rock critic » (selon la fameuse formule anglo-saxonne) devrait d’ailleurs reconnaître que malgré le discours dominant, le rock a toujours été une affaire de femmes, n’en déplaise aux grincheux. Avec Gurr, nous en avons d’ailleurs la confirmation vivante. Car depuis les Headcoatees, nous n’avions pas ressenti un tel vent de fraîcheur dans le rock dit « garage ».

Gurr - In My Head

Gurr est un groupe berlinois, stabilisé autour des musiciennes Andreya Casablanca et Laura Lee Jenkins. Inévitablement, devant un tel aplomb, nous serions tentés d’évoquer le mouvement « riot grrrl » et les immenses Bikini Kill. Pourtant ce serait nier l’approche délicieusement vintage de ce désormais duo, dont les références semblent ancrées dans les années 60 et ses mythiques « girls band » : Dara Puspita ou The Heart Beats parmi tant d’autres. Une époque, un refus de la norme, des attitudes qui, plus proches de nous, auront inspiré de merveilleux combos, les Britanniques de Bis, les Japonaises de Shonen Knife et l’Américaine Sallie Ford, à la tête de son groupe The Sound Outside. Gurr rejoint ainsi cette joyeuse communauté de musiciens et musiciennes, qui veulent raconter une autre version que l’histoire « officielle » du rock, qui relierait trop facilement Elvis à Jim Morrisson et Kurt Cobain, et oublierait des monuments comme Sister Rosetta Tharpe, The Runaways ou encore The Slits.

L’album commence sur les chapeaux de roues avec le sémillant « Breathless ». La courte durée des morceaux entretient avec vigueur l’énergie jouissive qui émane de ce premier long format. Le second morceau « #1985 » rappelle la générosité des excellentes Bangles : oui, vous avez bien lu, nous parlons bien de ce mythique groupe des années 80, reformé dans les années 2000. Comme leurs illustres aînées australiennes, Andreya et Laura Lee savent écrire des chansons et composer de sacrés morceaux. Vous n’avez qu’à vous pencher sur les troublants « Moby Dick » et « Free » et vous comprendrez ainsi que Gurr dépasse très rapidement le domaine du cliché et de l’anecdote.

À grand renfort de riffs et de mélodies entêtantes, l’air de rien, Gurr rentre dans la cour des grands et donc des grandes : « Wallnuss » et « Yosemite » titillent sans forcer la sincérité de Motorama, et « Song for Mildred », malgré son enregistrement minimal presque lo-fi se rapproche de la reine PJ Harvey. Au-delà des inspirations émancipatrices qui animent encore aujourd’hui les femmes dans la musique rock, Gurr démontre une personnalité, qui ne nous avait pas encore effleuré l’oreille. Le groupe existe pourtant depuis 2012 et a, à son actif, une flopée de titres regroupés sur sa page Bandcamp et même sur une cassette sortie sur le label américain Drug Party en 2014.

« In My Head », premier véritable disque du duo, est un enregistrement candide, qui n’a peur de rien. Il n’aurait pas dépareillé sur le label londonien Damaged Goods. Ce label est notamment connu pour avoir donné sa chance à la française Fabienne Delsol (qui pourrait être la grande sœur de nos deux Berlinoises) mais surtout permettre à un éternel punk alternatif de poursuivre son œuvre délirante et sincère, j’ai nommé Billy Childish. Gurr partage avec cette icône de la musique indépendante, cet esprit « garage » rock’n’roll, où toutes les raisons sont bonnes pour prendre sa guitare et enregistrer des milliers de chansons géniales et inutiles, quelques soient les moyens à disposition. De ces onze morceaux suinte ainsi un plaisir évident, pas seulement décontracté, car les nuances de ce long format révèlent des intentions beaucoup plus profondes que les premières écoutes pourraient le suggérer.

crédit : Joe Dilworth
crédit : Joe Dilworth

Chez indiemusic, nous allons écouter jusqu’à la liesse « In My Head », profitant de notre position fort avantageuse de chroniqueurs frustrés (mais totalement passionnés) car dans quelques semaines, quand la folie s’empara du monde, de la presse et de la blogosphère, Gurr fera la couverture de tous les magazines, et nous pourrons modestement affirmer que nous avions vu la chose venir.

« In My Head » de Gurr, sortie le 14 octobre 2016 chez Duchess Box Records.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.