[Interview] Guadal Tejaz

Suite à un imprévu de dernière minute, nous n’avons pu être présents le jour du concert du groupe Guadal Tejaz au Binic Festival. Ils nous avaient cependant été chaudement recommandés par Ludovic Lorre, organisateur de l’événement. Mais nous ne pouvions louper l’occasion de discuter avec ce jeune groupe rennais, à l’aube alors de la sortie de son premier album « Cóatlipoca », faisant suite à deux EPs très réussis aux élans spirituels rock variés. C’est donc par téléphone que nous nous sommes entretenus avec Théo d’abord puis Morgan, juste avant leur montée sur scène, afin d’en savoir plus sur leur parcours. Nous avons échangé sur leurs inspirations en perpétuelle évolution, sûrement pour ne jamais nous lasser, ainsi que sur la composition de cet album dans une grange, avec les moyens du bord. Nous nous sommes également attardés sur un sujet inévitable chez eux : leurs influences amérindiennes, partie intégrante du groupe tant musicalement qu’iconographiquement. 

  • Il y a un gros changement de style entre votre premier (plus psychédélique) et deuxième EP (plus garage, krautrock, punk voire cold wave). Que s’est-il passé ?

Entre le premier et le deuxième EP ? Il y a eu une évolution de nos goûts musicaux en fonction de ce qu’on écoute. On a composé nos morceaux différemment et le style musical va encore évoluer avec la sortie du prochain album en septembre sur Crème Brûlée Records. Sur les deux premiers enregistrements, on a démarré à cinq musiciens ainsi qu’un membre, Erwan, qui était au chant et à la guitare et a quitté le groupe l’été 2018 pour se consacrer à ses projets. Nous, on a continué à quatre et on a composé nos morceaux différemment après ça. Nos styles musicaux ont évolué avec le temps et ça donne quelque chose en constante évolution, je pense.

  • Erwan a quitté le projet l’an dernier, est-ce dur de garder la foi avant de percer ?

Non, je ne pense pas. On était tous très motivés pour continuer de faire de la musique. On a eu un petit coup de mou forcément, mais c’était son choix. On l’a tous respecté. On n’a pas souhaité le remplacer et jouer avec quelqu’un d’autre. On a voulu continuer l’aventure à quatre. Dans les membres du groupe, il y a Morgan, qui est aujourd’hui devenu le chanteur du groupe. Depuis le début de l’aventure, il a chanté de plus en plus sur les titres. Au départ d’Erwan, on s’est dit qu’on allait continuer avec juste Morgan à la voix et on a composé les deux nouveaux morceaux comme ça.

  • Vous parlez d’un prochain album pour septembre, vous pouvez nous en dire plus ?

Ça va être un album, cette fois-ci, il s’appellera « Cóatlipoca ». Ça va même être un double vinyle qui sortira sur le label Crème Brûlée Records, un jeune label breton. Pour cet album, on a voulu faire les choses différemment. Les deux premiers EPs, on les a enregistrés en studio et cette fois-ci on s’est tous posé dans un lieu à Rennes qui s’appelle la Ferme de Quincé qui est un lieu culturel mixte avec aussi bien des ateliers de sculpture, que de peinture ou de théâtre. Il y a une assez grande grange dans tout ça qui a été complètement retapée. On avait déjà joué des concerts dans cette salle. On trouvait que le son sonnait bien et, du coup, on s’est dit qu’on aimerait bien l’enregistrer là-bas. On a aussi rencontré, notamment, Jean-Guillaume qui est ingénieur son et est arrivé sur Rennes depuis peu. Il a un studio mobile : il a ramené tout son matériel et on s’est arrangés pour emprunter des micros, du matériel d’enregistrement, et cetera à droite, à gauche et on s’est enfermés une grosse semaine. On a enregistré la plus grande partie de l’album là-bas.

  • Comme j’évoquais dans la première question, votre premier EP était plus psychédélique et deuxième plus garage, krautrock, punk voir cold wave. À quoi peut-on s’attendre pour celui-ci ?

Pour le prochain, tu peux t’attendre à quelque chose d’un peu plus tranchant, plus énervé et noise, mais aussi un peu plus expérimental. Vu qu’on avait le temps et qu’on était dans un lieu un peu plus libre, on a pris le temps d’enregistrer des phases de drone ou expérimentales.

  • Kaviar Special nous disait, lors de sa venue au Binic l’an dernier, que ce genre de grosses dates, à part, donnent le plus de retombées pour les groupes. Avez-vous préparé différemment cette date du Binic ?

Oui, on est retourné dans le lieu où on a enregistré l’album. On s’est mis quatre jours dedans un peu comme une sorte de résidence pour préparer le concert du Binic ainsi que pour la semaine prochaine au festival Visions en Bretagne, vers Brest. Quand on s’est enfermés, on savait déjà un peu ce qu’on voulait sur le set du Binic. On a juste pris notre temps pour proposer le meilleur set possible.

  • Si vous aviez une date à retenir pour sortir de l’anonymat quelle serait-elle ?

Franchement, on n’a pas eu de retombée médiatique sur les précédents concerts.

  • Après on peut imaginer la question différemment : vous avez signé par exemple chez Crème Brûlée Records, est-ce qu’il y a une date qui vous a donné un élan ?

En fait, c’est surtout parce que c’est un copain à nous qui lance ce label et qui nous a vus sur plusieurs concerts. Il a voulu travailler avec nous au final. Je ne sais pas s’il y a eu une date à retenir. J’en appelle aux autres membres du groupe…  Ah oui, il y a plusieurs trucs. L’an dernier on a joué dans un festival qui s’appelle Rock in the Barn en Normandie. Un festival tourné vers le psyché. Ça, ça a été un beau concert. Sinon on a eu aussi une super occase de jouer à Paris à l’Espace B avec un mec qui s’appelle Damo Suzuki qui été le chanteur du groupe CAN et avec un autre groupe de pote lyonnais qui s’appelle Abschaum. On a fait chacun notre tour back in town pour lui sur cette date-là. C’était de la totale improvisation, pour lui aussi. Pour nous, c’était vraiment un gros truc, car Damo Suzuki, c’est un mec qu’on aime beaucoup.

  • Rennes est plutôt une ville rock. Vous y sentez-vous privilégiés ou regrettez-vous, comme certains, de ne pas vivre à Paris et tous ces moyens donnés aux musiciens ?

Je pense qu’aucun de nous ne regrette de ne pas vivre à Paris. Pour le coup, il y a une qualité de vie à Rennes qu’on ne pourrait avoir à Paris. Pour ce qui est de l’aspect musical, on est plutôt contents d’être à Rennes. Il y a tout le temps des concerts, des événements ou moyens de créer des trucs, trouver des lieux de répète et rencontrer des gens. C’est plutôt une belle ville pour faire de la musique.

  • Êtes-vous accompagnés par un autre groupe rennais qui vous aurait pris sous son aile ?

Non pas vraiment. On fait les choses nous-mêmes. Après, entre groupes rennais on se serre les coudes, mais on n’a pas fait, par exemple, la première partie d’un groupe pendant sa tournée.

  • Vous devez ressentir un revival sur votre style musical (le Binic en étant un parfait exemple), mais l’époque a changé. Êtes-vous à regarder et regretter de ne pas avoir joué de cette musique dans les années 70-80 ou êtes-vous en parfaite harmonie avec votre époque ?

Je pense pareil, qu’on n’a pas de regret de ne pas avoir fait de la musique dans les années 70-80. Je pense qu’il y a tellement de groupes qui nous ont influencés en étant sortis après cette période. En fait, on est super contents de s’entendre faire ce genre de musique maintenant.

  • Peut-être grâce aux outils proposés actuellement ?

Pas forcément, on n’est pas à fond sur tous les outils. On utilise peu les réseaux sociaux et compagnie.

  • Si aucun groupe ne vous a pris sous son aile, y a-t-il un groupe qui vous sert de modèle de conduite de carrière musicale ?

Il n’y a pas vraiment, je pense, de groupe qui nous serve de modèle, mais je pense qu’il y a énormément de groupes avec qui on a partagé des dates ou avec lesquels on a envie de jouer. Moi personnellement, je pense à Abschaum et Ashinoa. Sinon, il y a un autre groupe qu’on aime beaucoup et qui joue ce soir au Binic qui s’appelle Slift. C’est plus des groupes qu’on aime bien écouter, avec qui on aime bien jouer en concert. Ce sont de belles rencontres, mais pas de groupes modèles a proprement dit. Si tu veux, je peux te passer Morgan, le chanteur du groupe, qui pourra t’en dire un peu plus sur l’univers du prochain album ?

  • Morgan, veux-tu nous en dire un peu plus sur votre prochain album ?

Oui, personnellement j’ai une grosse affinité avec tout ce qui touche au Texas, Mexique et compagnie. Il y a moins d’un an, je me suis intéressé au mésoaméricain, les Aztèques, les Incas, les Mayas et compagnie. J’aime bien leur sonorité déjà au niveau des noms des villes, le côté graphique de leur culture. Il y a aussi ce côté morbide et complètement perché qu’on ne comprend pas nous occidentaux. Comment pouvaient-ils être comme ça ? Comment pouvaient-ils honorer ces dieux ? Le côté Guadal, c’est un côté mexicain un peu, avec champignon hallucinogène et psychédélisme, le tout accompagné d’une iconographie différente de ce qu’on connaît nous, occidentaux.

  • Vous avez une appétence pour les Incas et cette région, avez-vous prévu de jouer au Mexique ?

Pour nous, ce serait un rêve d’y aller. On fait souvent une blague avec les potes ou on dit qu’on se ferait rembourser par tabasco et qu’on ferait une date sud-américaine.

  • Le tabasco est une référence à votre dernier clip. Cette référence au tabasco est-ce une façon de définir votre musique ? C’est-à-dire piquante ?

Je trouve ça pop avec une iconographie qui est facile à retenir. Un produit de consommation assez populaire et standardisé. Je trouve ça plutôt rigolo. Il y a en effet un peu un côté comme ça dans notre musique, mais c’est plus pour le côté rigolo. On voulait avoir une espèce de sticker marrant et au final on a trouvé que c’était une bonne idée.  Ça marque, les gens s’en souviennent.

  • Je vais vous poser une question qu’on pose généralement au début, mais Guadal Tejaz, qu’est-ce que ça veut dire ?

J’aurais un peu le même style de réponse. Je trouve que c’est un nom cool. Il ne veut pas forcément dire grand-chose, mais il ramène à une image subliminale.  Après, je peux tout de même te dire que Tejas, en espagnol, ça veut dire Texas.

  • De nouveau le Texas. Cet état est connu pour être un vivier de groupes psychédéliques et a importé, entre autres, le festival Levitation à Angers, fer de lance du mouvement en France. Ce festival a-t-il eu une influence sur votre musique ?

Évidemment. On s’est tous retrouvé là-dessus, avec cette nouvelle vague « revival » psyché en 2012-2013. On a écouté le même genre de groupe.  Moi, j’ai découvert des groupes comme les Black Angels et compagnie. C’était un point d’ancrage de cette scène Levitation. On s’y est afféré pendant longtemps, mais maintenant, même si on trouve toujours de bonnes choses, on préfère faire notre petit truc. Je ne nous considère pas comme purement dans cet esprit-là maintenant. Mais pour répondre à ta question, oui, ça a été une grosse influence pour nous, surtout au début.

« Cóatlipoca » de Guadal Tejaz est disponible depuis le 28 septembre 2019 chez Crème Brûlée Records.


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Nicolas Halby

Parce que notoriété ne rime pas forcément avec qualité. J'aime particulièrement découvrir l'humain derrière la musique.