[LP] Garciaphone – Dreameater

Le groupe Garciaphone représente, pour nous, l’un des plus beaux talents pop hexagonaux. Son nouvel opus, « Dreameater », est indéniablement un très grand disque, bien qu’il n’ait pas été conçu comme tel, mais restera sans conteste l’un de nos plus beaux coups de cœur de l’année. Depuis des premières traces discographiques autoproduites, en 2011, et des passages très remarqués sur les labels Kütu Folk et Talitres, Olivier Perez, l’âme de Garciaphone, sublime comme jamais l’exercice d’une pop artisanale et sensible pour se rapprocher, avec beaucoup de fraîcheur, de ses propres obsessions « indie » de jeunesse.

Au-delà des références, qui tiennent désormais plus de la fainéantise intellectuelle que d’une réalité ne pouvant être indéfiniment figée, Olivier Perez est indéniablement un compositeur hors-pair et pas seulement le bon élève de la classe indé. A ceux qui ne verraient en lui qu’un clone (certes réussi) du bon vieux Jason Lytle de Grandaddy, nous ne pouvons que leur conseiller de se laisser porter par l’intensité lumineuse de « Dreameater ». Pour faire simple, notre musicien est l’un des meilleurs « singing songwriters » pop français actuels, rejoignant le cercle fermé de clients de la trempe de H-Burns, Julien Pras et forcément Syd Matters. Et, avec des hits imparables comme « Tornadoes », « Blanket », pour le côté historique et « Mourning Of The Day » pour le côté présent, la musique parle pour nous.

« Dreameater » fait suite à l’excellent « Constancia » sorti en 2013. Olivier, accompagné du fidèle Matthieu (alias Matt Low) à la basse et de Raphaël à la batterie, avait emmené sa matière musicale dans l’antre du studio Black Box. Force est de constater que cet épisode n’avait en rien bouleversé l’identité première du groupe, mais lui avait permis de densifier son propos et de libérer des pulsions électriques sous-jacentes, à l’image de l’instrumental « Thou Shall Not Talk Shit ». Pour ce nouveau disque, Garciaphone est revenu à une approche plus modeste et intrinsèquement lo-fi qui lui va si bien mais, surtout, pas moins ambitieuse. De nouveau, Olivier a réuni autour de lui la formule évidente et complice du trio, avec l’arrivée de Zacharie, musicien plus connu sous le patronyme de Zack Laughed. « Dreameater » en profite pour marquer une forme de rupture, dans le sens où il est (enfin ?) un véritable album et, plus simplement, une collection gourmande de titres accumulés. Chaque élément semble en effet participer à un tout et avoir été muri dans la perspective d’un seul et même disque.

Au milieu des années 90, le musicien folk indé canadien Hayden nous avait littéralement émus avec son sublime « Everything I Long For ». A l’époque, Hayden racontait que ce disque avait été enregistré à la maison avec les moyens du bord, et que, sur certaines prises, il était possible d’entendre ses propres parents et, plus généralement, la vie quotidienne. Sur « Dreameater », nous pouvons sentir que l’enregistrement du disque s’est nourri de l’intimité, du côté rassurant et protecteur du chez soi et du home-studio. Lieu où les repères sont là : des objets, une ambiance familière et, par-dessus tout, bien sûr, les proches (et toujours l’indispensable Matthieu). Pourtant, Garciaphone n’est pas tombé dans le piège de la régression : l’entité a encore grandi et a su se transformer. Ne serait-ce que dans son rapport au temps ! Alors que de nombreux morceaux fonctionnaient, par le passé, à travers leur immédiateté et leur urgence, « Dreameater » installe des climats contemplatifs et patients, produisant des instants de grâce en suspension avec des morceaux comme « A Hole In The Universe ».

Par moments même, Garciaphone plonge dans des émotions évanescentes et presque « slowcore » façon Red House Painters ou Low (« Dusk »). Pourtant, et alors que la plupart des textes ont souvent évoqué les doutes et les épreuves de l’existence, ils n’ont jamais donné lieu à un rendu musicale torturé et névrosé, préférant la retenue de l’humilité face à l’ambivalence de l’existence, entre dureté implacable et beauté miraculeuse. Pour employer un mot à la mode, la résilience semble être le leitmotiv de la création. Voilà certainement ce qui est le plus touchant dans la singulière personnalité de Garciaphone. Chaque morceau devient le lieu du partage d’une humanité simple mais lucide, dans un contexte sonore qui reste léger, rêveur et voyageur, en dépit de sujets parfois très profonds et intensément pénétrants. Bien sûr, et ce n’est pas une nouveauté, la musique est certainement la plus fantastique des thérapies : nos étagères sont remplies de disques « divan », sur lesquels nos artistes préférés se sont livrés avec vérité et poésie. En cela, Garciaphone et son leader. Olivier ne peut, d’ailleurs, systématiquement être comparé à de seules références masculines souvent tentées par le larmoyant ou le trop plein. En effet, dans ses chansons, la musicalité nuancée des phrases, la force évocatrice des images, la façon de faire (ré)sonner les mots rappelle la finesse de l’écriture et la souplesse du chant de la grande musicienne folk américaine Laura Veirs, pour ne citer qu’elle (« Our Time To Spare »).

crédit : Julie Lopez

Loins des projecteurs médiatiques, « Dreameater » installe définitivement Garciaphone, avec sa seule matière musicale, comme une véritable référence indé actuelle (et pas simplement hexagonale) ; de celles que nous utilisons régulièrement pour nourrir nos chroniques amoureuses et pour lesquelles les disques nous rendent insomniaques et innocemment monomaniaques.

« Dreameater » de Garciaphone est disponible depuis le 10 novembre 2017 chez Tiny Room Records / Microcultures.


Retrouvez Garciaphone sur :
Site officielFacebookTwitterSoundcloud

Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.