[LP] Fuzz – II

Après une tournée des festivals d’été, qui fut l’occasion de découvrir de nouveaux morceaux et d’attester de la brutalité du projet de Ty Segall et Charles Moothart, les bien nommés Fuzz sortent un deuxième album fracassant, un double sobrement intitulé « II ».

Fuzz - II

Ty Segall est décidément un musicien hyperactif. À l’instar de quelques-uns de ses amis et collègues multi-instrumentistes que sont John Dwyer (Thee Oh Sees) ou Mikal Cronin (Ty Segall Band), l’homme est un véritable pilier de la frange dure du renouveau garage-psyché sur la côte ouest des États-Unis. Enchaînant nouveaux albums et nouveaux groupes à la vitesse de l’éclair – il a sorti un excellent double album solo l’an dernier, « Manipulator », et n’a pas moins de deux nouveaux groupes sur le feu, GØGGS avec le même Moothart et Broken Bats avec des membres de Melvins – ce prodige qui revendique, avec ses comparses, le patronage musical de Black Sabbath, des Stooges ou de groupes plus confidentiels mais cultes comme Blue Cheer ou Jerusalem, est donc de retour avec Fuzz pour l’un de ses disques les plus solides et musclés à ce jour, « II ».
Il semblerait par ailleurs qu’au sein de la grande vague de néo-psychédélisme, le sous-genre nommé hard-psych (un mélange de hard rock, de rock psychédélique et bien souvent de stoner) connaisse un élan particulier, plutôt encouragé par une critique enthousiaste et un public qui suit ; en témoignent les récentes programmations au sein de gros festivals de groupes comme les Anglais de Uncle Acid and the Deadbeats ou les Allemands de Kadavar. Si Fuzz, dont le nom fait référence à la pédale d’effet la plus célèbre du rock en général et du psyché en particulier, officie grosso modo dans la même catégorie, le supergroupe mené par un Ty Segall pour une fois derrière les fûts se démarque grâce à un plus grand syncrétisme dans ses influences et des touches de modernité qui passent par un jeu assez fin avec les codes d’un genre pourtant bien délimité.

Si l’intro de l’album, passé un étrange grésillement, nous familiarise d’emblée avec les riffs puissants et gorgés de distorsion du groupe, elle a ceci d’original d’être en deux parties, une bien agressive et l’autre plus répétitive, convoquant à l’esprit de l’auditeur un groupe qui n’est pourtant pas toujours en odeur de sainteté auprès des aficionados du genre, Status Quo. En effet, Fuzz emprunte ici aux rois du hard boogie anglais une structure complexe, généralement réservée pour les fins d’albums, telle qu’on pouvait en trouver sur les disques de la grande époque que furent « Quo » ou « Dog of Two Head » au début des années 70. Plus étonnant encore, c’est au même Status Quo, mais plus précoce, que se réfère le tubesque « Let it Live », sorte de réactualisation musclée de l’entêtant « Pictures of Matchstick Men », un monument du rock psychédélique. Fuzz pousse le goût pour ces références moins attendues dans les moindres détails, citant également Deep Purple à deux reprises sur le très heavy « Rat Race », avec ses harmonies guitares / claviers et son riff sinueux digne de « In Rock », mais aussi sur le plus étonnant « Silent Sits the Dust Bowl », dont le pont presque planant aux étranges violons rappelle sans aucun doute le solo à l’archet de Ritchie Blackmore sur « Fools », un morceau qui figurait sur l’album « Fireball ».

Ce deuxième disque de Fuzz ne se limite fort heureusement pas à ces quelques érudites citations ; il est aussi un marathon (14 morceaux, 1h07 de musique au total) sans aucun temps mort et sachant jongler entre les styles pour ne pas ennuyer l’auditeur. La recette se corse encore un peu, puisque le groupe joue avec nos attentes et les codes du genre, en lançant ça et là quelques feintes et fausses pistes, comme le final apocalyptique très seventies de « Let it Live », qui débouche sur un riff titanesque beaucoup plus connoté années 90, ou bien ce riff introducteur de « Bringer of Light », tout droit sorti de l’album apollinien de Segall, « Manipulator », qui se change brusquement en un inquiétant riff pour une des pistes les plus inspirées par le doom metal du disque. Doom metal dont on retrouve la lenteur et les mélismes de guitares saturées caractéristiques sur plusieurs autres titres, notamment sur les riffs de « Pipe ». Le groupe apporte sa touche personnelle sur des pistes plus agressives et lourdes, dignes du précédent enregistrement ou de « Slaughterhouse » du Ty Segall Band, comme « Pollinate » ou la survoltée « Red Flag », qui représente un versant beaucoup plus garage-punk du groupe.

Par ailleurs, si Ty Segall et sa voix nasillarde, reconnaissable entre mille, dominent le disque, une alternance avec Charles Moothart sur quelques titres (« Rat Race », « Burning Wreath », par exemple) apporte une variété bienvenue, de même que l’instrumental « Sleestak », passage obligé de tout album de hard psych qui se respecte. Si aucune ballade enfumée façon « Spirit Caravan » de Black Sabbath ne vient reposer nos tympans du fracas perpétuel qu’offre ce redoutable album, on se consolera avec les intros psychés en diable du parfait tube « Say Hello », porté par un Ty Segall au top de sa forme, et du très beau « Jack The Maggot », qui rappelle l’admiration de ce dernier pour Melvins. L’autre passage obligé justement, c’est la jam finale épique ou le solo de batterie. Le groupe souscrit aux deux options sur l’ahurissante dernière piste éponyme, dont le presque quart d’heure sans paroles est un défi lancé aux auditeurs les plus chevronnés – ou les plus sous acide. L’exercice est osé et périlleux, et les premières minutes, si elles étonnent par la rapidité d’exécution du morceau, qui file à toute berzingue comme si rien ne le précédait, ne brillent pas forcément par leur originalité. Pourtant, peu à peu, sous le nuage de fuzz et de distorsion qui sature les guitares, l’oreille s’arrête sur la basse ronronnante et presque dansante de Chad Ubovich, qui devient la véritable ossature de cette longue semi-improvisation, faisant écho au vacarme qui mettait fin à l’album « Slaughterhouse » du Ty Segall Band. Les cinq dernières minutes du disque en particulier sont une vraie montée d’adrénaline, entre crescendo supporté par une section rythmique proprement infernale, ébauche de solo de batterie et breaks survoltés d’un Ty Segall décidément complètement déchaîné.

Fuzz

S’il est certes plus éprouvant de par son intensité et sa durée que le premier album du groupe, ce « II » s’avère être sans conteste un modèle du genre, et un disque à inscrire désormais parmi les meilleures créations du génial Ty Segall, qui s’affirme comme un des musiciens les plus passionnants de la décennie ; en attendant de voir ce que donneront ses autres projets en cours. Une machine à riffs à la logique imparable.

« II » de Fuzz est disponible depuis le 25 octobre 2015 chez In The Red Records.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique