[LP] Future Islands – The Far Field

« I learned not to fear infinity, the far field, the windy cliffs of forever ». La poésie de l’Américain Theodore Roethke est sublimation de l’écriture personnelle, de l’expression d’un for intérieur fragile et déchiré. Les Américains de Future Islands y ont puisé le titre du chapitre qu’ils ouvrent avec la sortie de leur cinquième album, qui voit la poursuite de leurs explorations synth pop sur fond de cœurs esseulés et d’amours malheureux.

Il y a trois ans de cela, « Seasons (Waiting On You) », source d’une performance immanquable chez David Letterman, était acclamé comme meilleure chanson de l’année 2014 et avait soudainement fait de Future Islands des incontournables de la scène indépendante. Phénomène incontrôlable sur celui du buzz Internet, de quatre minutes de live et de pas de danse qui accordent enfin au groupe une renommée subite et étrangement motivée, mais très méritée. Il y avait quand, même derrière cette agitation, l’excellent « Singles », brillante synth pop habillée de l’énergie fiévreuse de Samuel T. Herring et l’effort le plus solide du projet jusque-là. Et, même quand vient le moment d’en refermer le chapitre, ces instants charnières ne sont jamais anodins, à plus forte raison lorsqu’ils semblent éclairer leurs successeurs.

Cette continuité se faisait sentir, déjà, avec la première introduction à « The Far Field » qui nous avait été offerte, l’incontournable « Ran ». Reprenant la recette de ce qui avait fait son succès, Future Islands imposait alors une nouvelle réussite implacable en termes de pop aérienne : une forte invitation au voyage, emmenée par les synthés rêveurs de Gerrit Welmers juste assez dynamisés par le redoutable tandem basse-batterie de William Cashion et Michael Lowry. Elle annonçait aussi, à elle seule, la dynamique de tout l’album, qui devait signer les au revoir définitifs du groupe à son ancienne électro-punk. Avec cet album, Future Islands polit sa synth pop dont le ton, comme l’humeur, semblent s’être adoucis de plus belle. Des nappes de synthés aériennes viennent habiter le cœur de l’effort, lui donnant une légèreté nouvelle qui contraste d’autant plus avec le chant guttural de Samuel T. Herring. Ce sage glissement aboutit, de temps à autres, à des morceaux un peu gentils, comme « Through The Roses » ou « Candles », et fait aussi de « The Far Field » un album sans grosses surprises. Pour autant, comme œuvre bien digne du groupe, il parvient toujours à se distinguer par ses nuances subtiles et une énergie toujours vibrante.

crédit : Tom Hines

Tout cet apaisement musical entre en résonance, de façon intentionnelle ou non, avec celui des tourments qui ont toujours animé les histoires que pouvaient raconter Future Islands. Il livrait encore, avec l’album précédent, une œuvre teintée d’une mélancolie prenante, un tourment infernal qui accaparait toute l’écriture. C’est un registre sensiblement différent qui vient animer « The Far Field », faisant figure de chapitre de renaissance dans la fresque personnelle dont il constitue le dernier ajout – et ce, presque paradoxalement, vu sa proximité musicale avec son grand frère. À l’écoute attentive des paroles réapparaît sans cesse ce motif du mouvement, incarné par les recours au voyage et à la route, prééminents dans « Ran » et « Beauty Of The Road ». À la mélancolie abattue a succédé l’espoir que les cœurs brisés peuvent renaître dans le registre de Samuel T. Herring. Ses écrits deviennent ici animés d’une tension permanente, entre douleur et force humaine de se relever, de se défaire des liens du passé pour mieux renaître. Le prenant et entraînant « Cave » en est sans doute l’une des meilleures et plus marquantes expressions. L’amour reste toujours un lieu commun bien ancré chez Future Islands, exploré avec plus ou moins de naïveté, cette fois porteur de plus de promesses.

« The Far Field » n’est pas tout à fait l’égal de son prédécesseur direct, manque légèrement de relief, mais confirme tout le bien que l’on peut penser de Future Islands. Il reste ce groupe à la sincérité inébranlable, fort aussi de ce chant particulier, fragile et tourmenté, plus beau encore lorsqu’il trouve écho avec celui de Debbie Harry, dans la pièce maîtresse qu’est « Shadows ». De ce caractère et de cette passion difficilement imitables tient la force primaire de ses albums, et motive sans doute cet attachement que l’on ne peut s’empêcher de lui porter, une fois de plus.

« The Far Field » de Future Islands est disponible depuis le 7 avril 2017 chez 4AD.


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Cassandre Gouillaud

Étudiante, passion musique. Si jamais un soir vous me cherchez, je suis probablement du côté des salles de concert parisiennes.