[Live] Föllakzoid et Wall/Eyed au Sonic de Lyon

Le collectif Génération Spontanée organisait, le vendredi 27 novembre dernier, sur l’emblématique péniche du Sonic (haut lieu de la musique indie et underground à Lyon, tant pour ses soirées que pour sa programmation de concerts), une grand-messe noire dédiée au psychédélisme actuel. L’événement se déroulait en deux temps, tout d’abord avec les Français de Wall/Eyed, puis avec les Chiliens de Föllakzoid. L’ambiance était au rendez-vous et la musique planante à souhait.

crédit : Hellena Burchard et Bérengère Frieß
Wall/Eyed – crédit : Hellena Burchard et Bérengère Frieß

Il est presque dix heures moins le quart lorsque la bande-son qui diffuse l’excellent album « Peer Amid » de The Skull Defekts s’arrête et cède sa place au jeune quatuor parisien Wall/Eyed. Quand on les voit débarquer, presque candides dans leur juvénile décontraction, on est à quelques encablures de s’imaginer ce qui nous attend pour les trois prochains quarts d’heure. Baskets aux pieds, bonnet ou casquette vissés sur la tête, le duo bassiste-guitariste qui prend toute la lumière de la scène ressemble plus à un jeune groupe de garage ou de skate-punk. Mais le claviériste, discret dans l’ombre bleue, et surtout le batteur, qui doit bien avoir le double en âge de ses comparses, sont des indices du piège musical qui se tend et auquel on va se laisser prendre d’abord avec surprise, puis avec plaisir. Après avoir bidouillé quelques minutes leurs pédales d’effets (essentiellement de la delay) et installé un léger bourdon au clavier, le groupe entame un premier titre, « Alaska », qui étire sur près de dix minutes un rock psyché acide à souhait, tout en montées et déflagrations sonores, bercées par les ululements du chanteur, quelque part entre les divagations motorik de Thee Oh Sees et les expérimentations sonores pop d’Avey Tare pour Animal Collective. Le morceau s’achève et laisse un public visiblement médusé, et l’ami qui m’accompagne se tourne vers moi pour me murmurer un « J’aime vraiment beaucoup se qui se passe sur scène, là ».

Le jovial chanteur-guitariste plaisante avec le public, en prenant soin de laisser l’effet delay sur son micro, pour nous maintenir dans l’ambiance, et le groupe enchaîne derechef avec « L.A. Imaginée », au groove évoquant fortement le Tame Impala de « Currents » ; sentiment renforcé par la voix du jeune homme qui, en anglais, rappelle la suavité de Kevin Parker, et en français celle de Neige, le chanteur d’Alcest, dont le shoegaze planant n’est d’ailleurs pas si loin. Suivent les plus traditionnels « Noyau de nuit » et « Voices », grâce auquel le groupe paie son tribut au Pink Floyd période « A Saucerful of Secrets » dans un rock psyché parfaitement planant et équilibré où le batteur, musclant son jeu, fait des merveilles sur les nappes de claviers et le mur du son apporté par la guitare. Mais c’est le finale de « Mirrors » et sa structure en deux temps qui achève de faire de cette première partie un grand moment, puisqu’avec sa base rythmique de motorik directement tirée du « Halleluwah » de CAN ou du plus récent « A Sea Within a Sea » de The Horrors, le morceau nous envoie une violente sauce sous acide en jouant aux montagnes russes. La transition très krautrock est judicieuse quand on sait que le groupe qui va bientôt prendre place en propose une version radicalement épurée et planante, sous les auspices directs des allemands de CAN ou de Neu!

crédit : Ion Rakhmatulina
Föllakzoid – crédit : Ion Rakhmatulina

Un petit quart d’heure plus tard, et les Chiliens de Föllakzoid, visiblement aussi perchés que la musique qu’ils vont nous jouer, prennent place. Le public se densifie et semble déjà tout acquis à leur cause, surtout s’il on en juge par l’ébriété (et encore) de certains : ça promet. De mon côté, je plane doucement, encore sous l’emprise des effets de Wall/Eyed. Le look des musiciens est cette fois notablement différent, tout comme celui de leur public. Tout de noir et d’ample vêtu, on sent que la soirée va basculer du côté sombre de la force et les premières notes de l’hypnotique « Trees » confirment ce constat. La musique de Föllakzoid (prononcez « foyakzoyd », ou « Feuerzeug », pour briquet, en allemand) est sans chichi et radicale : une base motorik épurée avec une batterie métronomique effectuant peu de variations, et une basse qui se cantonne à égrener, tout le long, les trois ou quatre notes qui servent de trame au morceau joué, ainsi qu’une guitare gorgée d’effets en tous genres poussés à leur maximum (la delay durait bien trente secondes), ce qui permet de superposer presque à l’infini les sons pour obtenir une texture dense et terriblement planante. « Trees » est un démarrage efficace mais en douceur, avec une structure limpide et particulièrement basée sur le retour d’un même riff hypnotique, idéal pour se mettre en jambes. Mais c’est à partir du déjà classique « Electric », tiré du dernier album en date des Chiliens, « III », que le miracle opère. Le morceau est beaucoup plus dense, ténébreux, presque violent dans ses décharges électriques et ses montées en puissance soutenues par une batterie vigoureuse. Plus encore, apparaît sur scène un quatrième musicien, caverneux et hirsute, visiblement perché tout là-haut et préposé au trifouillage de boutons sur une table de mixage et d’effets. Le bassiste et le guitariste saupoudrent le tout de leurs imprécations obscures qui se noient dans le nuage de décibels (un compteur affichait 109 décibels par moments, ce qui est plutôt élevé) et soudain, en plein milieu de lysergique « Earth », le guitariste décide de sautiller et de se jeter, guitare à la main, dans le public et directement sur moi, avant de pogoter tout seul avec sa guitare et de remonter sur scène comme si de rien n’était. Tout le monde ou presque est déjà en transe depuis longtemps quand les dernières boucles du morceau retentissent. Le quatuor finit son set avec « Nine », puis « Feuerzeug », où l’on comprend subitement l’origine du nom du groupe, une jam planante qui s’étire sur près de vingt minutes de krautrock old school et répétitif à souhait, au milieu de laquelle le chanteur réclame des shots de whisky au bar après avoir plaisanté sur les cocktails whisky-ananas qu’ils s’enquillaient tous depuis le début de la soirée.

Certes, pour le non initié, le groupe peut donner l’impression d’avoir joué la même chose pendant presque une heure et demie ; mais en réalité, les compositions sons très étudiées et fourmillent de très subtiles variations (comme ces contretemps à la batterie sur le dernier morceau) qui produisent un effet monstre, pourvu que l’on se donne totalement à la musique qui sort de leurs amplis. C’est une musique chamanique, d’abandon sensoriel total, qui se regarde avec les oreilles et s’apprécie dans le mouvement ondulatoire des corps – on comprend aisément que la sobriété ne soit pas des plus recommandées pour l’apprécier pleinement, et les odeurs diverses qui planaient ce soir-là dans la salle du bateau en disaient long. Par ailleurs, si la filiation et la revendication d’un style krautrock motorik ou kosmische musik est un fait, elle s’agrémente de petites touches plus modernes, comme si la monotonie programmatique d’un Kraftwerk avait rencontré les élucubrations psychédéliques d’un CAN ou d’un plus moderne My Sleeping Karma. Mais, mieux encore, la texture sonore métallique, voire percussive, des effets de guitare tournait parfois tellement à l’abstraction que le concert s’apparentait, sur bien des aspects, à un set de goa ou de psy-trance, comme un retour à l’analogique de la musique électronique des pionniers. Un bon gros buvard et un grand trip, en somme.

Le concert achevé, le Sonic s’est rapidement peuplé de personnes venues pour une soirée dédiée à la musique new wave, la Dark 80’s, à laquelle l’accès était libre. La mixité entre les gens venus pour le concert et restés par curiosité et celle des nouveaux arrivants faisait plaisir à voir, et les musiciens des deux groupes continuaient à errer, voire à danser, sur les premiers morceaux choisis par le DJ du soir. C’est là un exemple parmi tant d’autres du caractère unique et précieux d’une salle comme le Sonic qui, malheureusement, est actuellement en danger.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique