[Live] Feu! Chatterton, Radio Elvis et Sage aux Nuits de Fourvière

En cette fin juin, le festival des Nuits de Fourvière organisait une soirée dédiée aux nouvelles scènes françaises, avec trois projets ou groupes montants d’inspiration électronique, pop ou rock. Le doute a plané longtemps sur l’issue de la soirée, un énorme orage s’étant invité, mais le concert seul de Feu! Chatterton suffit à nous convaincre.

Feu! Chatterton © Fred Lombard
Feu! Chatterton © Fred Lombard

Sage ouvre la soirée sous un soleil timide. Ambroise Willaume, ex-Revolver et arrangeur de Woodkid, est accompagné de deux batteurs, dont un sur un kit électronique. Le trio atypique claviers / batteries délivre un set un peu timoré et relativement pompeux qui porte d’ailleurs bien la griffe du style Woodkid. Évidemment, c’est bien exécuté, Ambroise a une très jolie voix et semble plutôt sympathique dans son rapport avec le public, mais tout paraît beaucoup trop calculé et affecté et cette wannabe dream-pop de stade aux accents un peu trop lounge peine à convaincre, même si elle possède des atouts séduisants en ce début d’été. Le falsetto d’Ambroise est plutôt intéressant sur « In Between », issu de l’album « Sage » paru récemment, et d’autres morceaux comme « One Last Star » ou « Last Call Couples » seront joués au court de cette demi-heure un peu trop « sage » à notre goût. Il manquait de la folie et un peu d’expérimentation pour rendre vraiment justice à ce dispositif instrumental au demeurant pas inintéressant.

On monte d’un cran avec le sympathique concert du petit phénomène pop Radio Elvis dont le premier album, « Les conquêtes », est sorti le 1er avril dernier avec un joli succès critique. Côté public, beaucoup de gens semblent être venus pour ce seul groupe, en particulier de notre côté de la fosse, où se trouvent par ailleurs quelques amis et proches des membres du groupe. Une plutôt bonne ambiance donc, même s’il fait un peu frais et que la pluie et l’orage font leur retour, conditions pas forcément idéales pour apprécier pleinement la pop rock lumineuse et solaire du trio parisien. Le contraste est d’autant plus fort qu’il nous empêche de totalement rentrer dans un concert pourtant plutôt maîtrisé, où le trio enchaîne quelques compos très bien reçues par un public d’avance conquis. « Au loin, les pyramides » ou « Passé, le fleuve » avec leurs textes imagés et dépaysants sont de bonnes expériences ; mais les musiciens, malgré une plutôt bonne attitude, semblent en garder pas mal sous le pied et ne lâchent pas suffisamment les chiens. On retiendra en revanche deux ou trois temps forts de ce concert perfectible et trop court : Pierre Guénard qui pète une corde sur le troisième morceau et change d’instrument en plein milieu comme si de rien n’était, profitant d’un pont, avant de lancer un accord furieux signifiant « ça marche ! » qui fait bien rire dans les rangs du public ; et les plans finaux de deux titres, en particulier le dernier, qui délivrent enfin un son vraiment plus rock qui fait du bien et qui devrait faire irruption plus souvent dans l’univers un poil trop policé du groupe. La toute fin du set est à cet égard plutôt jouissive, même si « Goliath » est amputé d’une partie de sa matière. Autre étrange impression qui n’est pas vraiment de la faute du groupe : la scène paraît trop grande pour eux, qui se sont cantonnés à un minuscule espace étouffant en son milieu alors qu’ils auraient dû en occuper tout l’espace. Petit Elvis deviendra peut-être grand, en tout cas nous leur souhaitons.

Le véritable événement de la soirée, c’était bel et bien le concert de Feu! Chatterton, qui faisait son retour à Lyon après un passage remarqué au Sonic il y a deux ans. Forts de deux excellents EPs et d’un album rendu inégal par des choix de production parfois étranges, nos attentes pour le concert des Parisiens étaient immenses et furent parfaitement comblées. Il faut le dire, nos craintes reposaient en grande partie sur le passage à la scène d’une musique savamment élaborée sur disque et qui avait perdu pour cet opus une partie de son aspect brut de décoffrage. La personnalité fantasque du dandy 2.0 Arthur avait aussi de quoi polariser nos réactions ; mais dès les premières notes d’ « Ophélie », la magie a instantanément opéré. Le groupe sonne vraiment plus rock qu’en studio, grâce au talent des musiciens Antoine (basse groovy presque zeppelinienne), Sébastien et Clément (guitares et claviers, principalement des orgues pour un côté rétro qui fonctionne à merveille) et du batteur Raphaël qui apporte un soupçon de classe jazzy au tout. Bel écrin musical donc, avec des textures sonores particulièrement travaillées, qui viennent sublimer les textes poétiques d’Arthur, celui-ci donnant tout ce qu’il a sur scène sans jamais tomber dans le mauvais côté de l’excès ou de la démesure, et ce, grâce à un sens de l’humour et de l’autodérision franchement bienvenu. Il fallait voir cette silhouette à la voix rauque déclamer des mots d’amour et de mort comme le loup de Tex Avery. Il fallait aussi le voir invoquer le retour de l’orage sous les étoiles pour faire tomber la pluie sur le refrain de « Côte Concorde », chef-d’œuvre inouï d’élégie cynique et tragique à la fois. Moment somptueux où « du ciel tomb[èrent] des cordes » sur un public qui acclame le chanteur-sorcier pour sa prouesse météorologique. À partir de cet instant précis, le concert décolle vers des sommets d’intensité, avec des titres imparables comme le furieusement charnel « La mort dans la pinède » où le très ambitieux « Bic Médium », suite romanesque de près d’un quart d’heure qui occupait l’EP éponyme paru pour le Record Store Day 2015 et désormais disponible en bonus sur l’album « Ici, le jour a tout enseveli ». Forcément, quand on décoche des flèches aussi affûtées, le temps passe à une vitesse folle et l’heure de l’atterrissage se fait sentir sur les rythmés (et débarrassés de leurs scories électroniques) « Porte Z » et « Boeing », qui achèvent le concert dans une ambiance de folie furieuse. Les coussins pleuvent déjà sur scène et Arthur et ses musiciens, ravis, en redemandent.

Le concert tourne au pugilat bon enfant, mais la musique ne cesse pas. Raphaël joue avec un coussin sur sa caisse claire, un des guitaristes se lance dans une saillie épique à la Johnny Greenwood et joue d’un coussin comme d’un archet. Arthur court, vole, esquive et se venge de ces projectiles verts. Il nous harangue, nous nargue, se marre, en attrape au vol, les renvoie… L’euphorie est grisante et s’empare de toute la foule, qui chante, danse et lance toujours plus de coussins. Après un passage éclair en coulisses, les musiciens reviennent sous les acclamations du public lyonnais (Arthur décédera brièvement d’un jet de coussins et flottera quelques instants telle une Ophélie sur ses nénuphars de plastique) pour jouer deux titres plus « pop » mais gonflés de l’énergie gargantuesque dont ils font preuve depuis bientôt une heure et quart maintenant : « Le Pont Marie » et « La Malinche », qui se retrouve étirée en une version dantesque et extatique avec fausse fin et redémarrage en trombe pour faire ahaner toujours plus de « Oooooh oui » à un public qui ne compte pas en rester là. Mais minuit approche, heure fatidique où le son sera de toute façon coupé. Le groupe disparaît sous une nouvelle salve de coussins et, classe suprême, revient jouer jusqu’à la dernière seconde qui leur est allouée une reprise magnifique et aux paroles semi-improvisées de « Je t’ai toujours aimée », classique de Polyphonic Size rendu célèbre par Dominique A et sur lequel Arthur entonne en guise d’ultime couplet, d’épitaphe presque à ce concert grandiose : « Si je reviens me promener parmi les ruines… » – interrompu par une fan qui lui crie « On t’attend ! », il rétorque, le sourire en coin « Mais pas tout de suite… » et le groupe tire sa révérence. Dernier éclat de ce concert inoubliable. Une partie du groupe sera présent au stand de merchandising pour signer ses albums malgré l’heure tardive. On ne pouvait rêver mieux.

Feu! Chatterton © Fred Lombard
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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique