Ils sont deux et apparemment se sont bien trouvés. Depuis Marseille, Allan Besset et Théo Rivière forment le groupe Fauzene, entité qui bouscule actuellement les repères et active un souffle créatif d’une incroyable fraîcheur. Ils sont drôles, joueurs, marrants, décomplexés, potaches, malins, généreux et surtout libres. Exemple parfait avec leur single « Freestyle débile », déjà un véritable tube underground, qui s’incarne aujourd’hui en exclusivité pour vos yeux ébahis, dans un clip vibrant et astucieux, mettant en scène toute la singularité de ce tandem iconoclaste, dont nous n’avons pas fini d’entendre parler !
Mais revenons pour commencer à une certaine réalité de terrain. Allan Besset et Théo Rivière, en tant que respectivement musicien intervenant et technicien du son, se sont investis l’an dernier par exemple dans un projet de création d’un album avec plus de 400 élèves de deux écoles primaires du Sud de la France. Ils sont à l’image de milliers de musiciens et artistes un peu partout en France, qui entre les interventions, les cours de musiques, les prestations techniques, les concerts, vivent de leur travail, de leurs compétences, de leurs passions, en accédant pour certain·e·s d’entre elleux, à l’intermittence. Bien sûr, tous ces artistes confidentiels ne sont pas en reste niveau créativité, nourrissant une dynamique de l’ombre extrêmement prolixe, inventive et surprenante, qui dépasse par moments l’anonymat. Ces artistes sont souvent reconnus au niveau local, mais ont du mal à faire exploser le fameux plafond de verre pour passer à un échelon de reconnaissance supérieure, de diffusion sur des médias de masse. Ainsi par moments, l’EP « Est-ce que ça fait sens ? » par sa liberté de ton, son côté joueur et presque enfantin, semble n’avoir été à la base qu’un simple délire, et pas vraiment une projection pensée et calibrée pour s’inscrire dans le gigantisme atomisant de la grande industrie musicale.
Musicalement, l’énergie très communicative de leurs morceaux jaillit d’une instrumentation hybride, intense et puissante, qui combine, avec fluidité, organique et électronique. Le hip-hop, le rock, le punk, la chanson, la pop urbaine, le disco se disputent la vedette, sans qu’aucun style ne prenne vraiment le dessus. Dans une période où les barrières stylistiques implosent sous l’impulsion des jeunes artistes émergents, mais aussi des nouveaux usages numériques, « Est-ce que ça fait sens ? » illustre concrètement les renouveaux de la nouvelle scène française, qu’incarnent les disques récents de Claustinto, Suzanne Belaubre, DjREÏNE, PAR.SEK, Walter Astral… Cet EP porte en lui d’énormes qualités qui en font une œuvre jubilatoire et parfaitement en écho avec la période. Qui plus est, sans que cela soit un étendard, la culture méditerranéenne vibre avec générosité, dans le fond comme dans la forme, dans ce disque cosmopolite, à la fois très contemporain et très accessible. Pour résumer, les deux garnements de Fauzene sont avant tout là pour s’amuser. C’est d’ailleurs, ce qui transpire du clip de « Freestyle débile », qui les voit déambuler et s’en payer une bonne tranche dans un parc d’attractions, au milieu des manèges, des boutiques de souvenirs, des animations… Tout devient prétexte pour délirer et improviser, sans avoir besoin de grand-chose : une simple coiffe d’indien, un miroir déformant, un jeu vidéo…
Pour certains, notamment pour Fauzene, la question de la contrainte, en particulier les plus minimalistes, sont des éléments essentiels et déterminants du geste artistique. Cette mécanique se retrouve dans son écriture ludique, bordélique et poétique, qui rappelle les digressions du mouvement Oulipo, si chères à Raymond Queneau. Jeux de mots intempestifs, recyclages, détournements et emprunts récurrents de formules, de phrases, d’expressions, rimes et allitérations tous azimuts. Sa poésie est foisonnante, insolente, mais aussi pleine de tendresse et de philosophie. Elle n’en oublie pas d’alimenter un message subtil et sous-jacent, faisant, par exemple, de « Freestyle débile », une ode à la liberté d’être et de penser dans un monde qui tend à nous faire rentrer dans le moule de la pensée unique. Allan et Théo naviguent également en permanence sur cette frontière floue entre la fiction et le réel, dans une mise en abîme pleine de malice entre leurs personnes et leurs personnages. Cette mise en abîme s’illustre parfaitement dans le prologue et l’outro du clip (principe déjà présent en conclusion du clip de « 8 sœurs »). Le duo a d’ailleurs trouvé chez le réalisateur Théo Longo, le parfait compagnon de route, pour mettre en perspective son univers créatif si particulier. Le vidéaste imprègne de son sens de l’image très affirmé et très personnel les délires de Fauzene en leur donnant beaucoup de reliefs et de vérité. Il n’y a qu’à voir cette manière qu’il a de capturer les attitudes de nos aventuriers moitié cowboy, moitié indien.
Loin de la blague et du simple délire, Fauzene montre à chacune des étapes de sa mécanique artistique que s’amuser n’est pas du tout incompatible avec une véritable ambition artistique. Et n’ayons pas peur des mots, ils sont en passe de devenir l’une des révélations de l’année.
« Est-ce que ça fait sens ? » de Fauzene est disponible depuis le 5 mai 2023.
