[LP] Fauve – Vieux Frères – Partie 1

Je pensais que le succès était ingrat. Je pensais que l’engouement était néfaste à la création artistique. Je pensais qu’il ne fallait pas prendre au sérieux les goûts d’une masse. Qu’il fallait regarder avec méfiance et mépris ceux qui réussissent. Qu’il fallait seulement aller chercher ailleurs, mettre en lumière ce qui se cache dans l’ombre. Ne pas parler et juger indigne d’attention ce qui est déjà trop sous les projecteurs, ce qui a déjà fait trop de remous. Je pensais aussi ne jamais en arriver à écrire musique à la première personne. Garder ça pour ce qui est de l’intime et de l’introspection. Garder la sobriété pour donner son avis. Mais j’ai ravalé ma fierté, j’ai écouté et j’ai eu besoin de parler de Fauve.

Fauve - Vieux Frères - Partie 1

Je sais aussi que je m’avance sur un terrain glissant, et qui plus est, doit être en pente. Qu’au passage je vais prendre quelques retours de bâtons. À droite, à gauche, de mes coéquipiers. Je lis des lignes assassines. Je lis des lignes méprisantes dans l’underground de la musique indépendante. Je lis qu’il est bon de ne pas aimer Fauve. Qu’il est question d’imposture, de nombrilisme. Je change de page, de vague et de tendance. Je lis alors que c’est fabuleux. Que c’est nouveau. Que c’est un collectif. Je lis qu’il est bon d’aimer Fauve. Qu’on aime ou qu’on les déteste il faut dans tous les cas en parler partout. Avec foi ou avec dégoût, mais en parler. Beaucoup. Beaucoup trop. En parler, partout et nulle part.

Alors sûrement, à présent c’est à mon tour de rentrer dans cette mouvance dangereuse. En parler, encore ici. Peut être une fois de trop, parmi tant d’autres fois, qui sont elles aussi de trop. Pourtant, j’ai aimé Fauve parce que je ressens leur musique. Parce que pour moi, elle est devenue viscérale. Seulement pour ça. Et seulement pour ça, j’ai voulu écrire.

Ces dernières semaines, celles qui ont suivi la sortie de « Vieux Frères – Partie 1 », j’ai écouté Fauve d’une façon convulsive. D’une façon dépendante. Nécessaire et exclusive. La rencontre avec Fauve est de cette manière déroutante. Frappante. Elle est un impact. Forcément. L’effervescence qui gravite autour du collectif en est la terrible preuve. J’ai lu qu’il était prétentieux d’écrire sa vie, que cela ennuyait les autres. Je ne pense pas. Parce que les mots ne sont pas seulement les leurs. Parce que leur musique crie une vérité. Celle d’une réalité. Celle d’une jeunesse invisible. Cette jeunesse qui jusque-là ne parlait pas. Ne parlait plus. Cette jeunesse sans vague, qui marchait droit et qui ne levait jamais le ton. Cette jeunesse qu’on a définie, qu’on a enfermée dans le terme de « banal ». De « sans problème ». Ces élèves qui en conseils de classe ne prennent que quelques secondes. Dans cette case méprisante, cette jeunesse survit à ses démons, à ses doutes, à son quotidien. Les mots de Fauve sont ceux que j’aurai aimé écrire, car cette jeunesse c’est un peu la mienne.

Puis, il y a la musique. Il y a la parole. Et l’une ne va pas sans l’autre. Parce que, les textes ont forcément besoin d’une énergie, d’une fougue pour exister. Parce que la musique leur apporte cette liberté. Les mots voguent sur un son percutant, riche de sursauts et de temps marqués. De pause et de silence. Tout est fondé sur l’impulsion, sur le rythme. Sur ce qui peut donner le souffle à une diction parfaite. Oui parfaite. La musique est de la sorte physique, mais pas opprimante. Loin d’être coupée au couteau. De la même façon que les anaphores marquent les coups. Le rythme perd sa brutalité en s’habillant de jolies notes enjouées. Comme cette douce mélodie qui chante dans nos têtes.

Et puis, si on prend l’album à bras le corps, on ne peut qu’avouer qu’il est terriblement bien construit. Tout se répond. Parfaitement tout. Et c’est là qu’on rencontre la précision d’un tel projet. L’intelligence de ces garçons. Dans tout ce chaos de sentiments et d’états d’âme, la cohésion règne. L’album s’ouvre pour donner un souffle à sa fin. « Voyou », déchirante et méchante introspection, va de pair avec la force de « Loterie ». Quand le commencement se perd dans les marécages, la fin ne peut être que plus belle, plus courageuse. Entre ces deux points qui semblent fermer la boucle, ou bien le tourbillon de la dépression, on navigue entre l’amitié et ses vieux frères. Entre le mur et la parole libératrice. Entre l’échec et le bonheur amoureux. À cette image, « Infirmière » et « Lettre à Zoé » sont les petites beautés gracieuses et même chantées de l’album. Le refrain est joliment maladroit. Le texte est criant de peurs. L’ensemble est beau.

Fauve

Simplement, convulsivement « Vieux Frères – Partie 1 » est toutes ces choses. Mais au dessus de tout, il est sincère. J’ai écouté Fauve et j’ai aimé.

« Vieux Frères – Partie 1 » de Fauve est disponible depuis le 4 février 2014 chez Fauve Corp.


Retrouvez Fauve sur :
Site officielFacebook

Photo of author

Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes