[LP] Evgueni Galperine & Sacha Galperine – Loveless (OST)

Un garçon d’une dizaine d’années, aux cheveux d’une blondeur miraculeuse. Un couple de jeunes fous, cherchant l’amour dans le néant, leur néant, en gravitation autour de leur enfant et d’une Russie qui ne les comprend plus. L’oubli, une cellule sans amour, et le drame surgit. Le film du cinéaste Andrey Zvyagintsev nous frappe fort dans la poitrine et, avec lui, la musique de Evgueni et Sacha Galperine ne fait qu’attiser son étourdissement émotionnel. À coups de silences et de douceurs vénéneuses et mélancoliques, les cordes et le piano funestes et obsédants de la bande originale de « Loveless » s’immiscent dans notre esprit comme le regard déchirant d’Alyosha, cet enfant à la tristesse incarnée.

L’intensité de l’interstice. C’est dans ce mécanisme que Evgueni et Sacha Galperine inscrivent leurs hauts et bas musicaux. En rapport avec le suspens social et dramatique du film, ils s’agenouillent devant la rigueur émotionnelle et essaient de la renforcer sans l’annuler. Voici comment les notes de piano de « 11 Cycles Of E » accourent vers un point culminant pour redescendre instantanément dans le silence. Une peur s’installerait presque, dans le même style que l’on retrouve dans le cinéma de genre, pour ainsi gagner en profondeur à la fin du morceau. Les tonalités, comme des encéphalogrammes qui se chevauchent, déroulent ce qui deviendra le thème phare du film et, de surcroît, le plus morceau de la bande originale.

À l’origine des compositions, Evgueni et Sacha déclarent : « Andrey Zvyagintsev utilise généralement de la musique préexistante, parce qu’il veut que la musique apporte une nouvelle dimension à l’histoire, pas pour souligner ce qui existe déjà. Pour la même raison, il nous a demandé d’écrire toute la partition sans regarder le film ou lire le script. Il voulait que nous donnions une interprétation absolument libre de l’histoire basée uniquement sur sa description, espérant que la musique deviendrait une pièce manquante du puzzle psychologique et émotionnel. […] Une pensée, donc, dans le langage de la musique, ce serait une note, un accord, un rythme – c’est ainsi que naquit l’idée de « 11 Cycles Of E », la pièce qui ouvre et ferme le film. Le cinéma d’Andrey montre toujours le lien invisible entre les histoires intimes des êtres humains et de l’univers. Et, souvent, la musique incarne ce lien. Trouver le moyen d’exprimer cette connexion était le plus incroyable et gratifiant défi que nous ayons rencontré. »

Dans ces mêmes synergies, les cordes frottées, frappées, étouffées et même pincées emmèneront ce disque dans une atmosphère désespérément épique – bien que le mot serait mal venu car « Loveless », « Nelyubov » dans son titre original, nous parle d’un sujet trop sensible pour être ainsi galvaudé par l’assurance divertissante d’une épopée. Quand « Trouble » et « Snowstorm » jouent la part belle à l’inconfort électrisant du film, « The Search » et « The Song » appuient le mélodrame dans son lyrisme.

Ce que l’individualisme déclenche de plus mauvais dans la famille et le couple traverse la Russie de « Loveless » mais, en fin de compte, tend aussi à l’universel. Toute la nature et la poésie tarkovskienne se concentrent dans le bouillon social de Andrey Zyyagintsev, connu pour la richesse dénonciatrice subtile de son cinéma. Et, dans le cas de ce véritable chef-d’œuvre (récompensé par le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes), la musique des Galperine prête à l’impensable, au dédoublement des arts et à leur mariage. L’un sans l’autre n’est rien. Nous ne pouvons ni l’isoler, ni la dissocier du film. Même en l’écoutant seule, la bande originale transpire du vertige filmique et, en tout et pour tout, du regard même de Alyosha qui transperce et déchire nos raisons, malheureux et pauvre étendard d’un amour en perte.

« Loveless » de Evgueni Galperive & Sacha Galperine est disponible depuis le 10 novembre 2017 chez Varèse Sarabande.

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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante