[LP] Étienne Daho – Blitz

Avec Daho, nul pape ni même patron à l’horizon. Il en fallait plus pour définir le dernier poète du siècle : artiste complet, à la fois chanteur, compositeur, photographe et artisan de mots à la sensibilité rare et précieuse. À 61 ans, c’est en éternel jeune homme, aussi bien oiseau de nuit que belle de jour – et aventurier, de surcroît – qu’Étienne Daho se livre à travers « Blitz », un album à la fraîcheur bienvenue, en forme de jardins d’hiver.

crédit : Pari Dukovic

Ni sa voix, qui se fait plus sensuelle et suave à chaque piste du Diskönoir, ni son visage en première de couverture (photographie signée Pari Dukovic), ni même les élans de son âme – jardin secret offert sur un plateau d’argent – ne sauraient trahir l’âge de l’intéressé. Comme si Étienne Daho, sorte de Dorian Gray plein de défiance, avait troqué les affres du temps qui passe contre un talent infini. Destiné à plaire à jamais ; un comble pour celui qui n’a de cesse de rendre grâce à la splendeur des femmes.

Pour cet album, Étienne Daho s’aventure quelque part entre les cafés de Londres, son précieux jardin d’éden (« Jardin ») et les rocheuses lynchéennes de Mulholland Drive. L’album commence avec «Les Filles du Canyon » et ouvre d’entrée de jeu une brèche dans le désert. Sorte de porte sacrée d’où s’évadent d’ores et déjà des amazones chimériques, « dévalant la vallée » comme Naomi Watts et Laura Harring dans le fameux film de celui que les Américains ont surnommé le « Tsar Du Bizarre » (Lynch). Et voilà Daho, qui tisse des le départ un canevas de références cinématographiques et d’odes aux nymphes mystiques et mythiques peuplant ses rêveries. Ravissement des sens et de l’esprit.

Sur ce premier morceau, qu’il n’a sûrement pas choisi pour rien, l’artiste sort d’emblée les guitares et arbore des riffs très surf rock, propres à la côté Est. En adéquation parfaite avec la course folle menée au cœur des lueurs blafardes de Los Angeles, ceux-ci répondent à des plans de batterie en cascade ; comme autant de pas de l’intéressé qui résonnent sur les pavés (« Étincelle »). Rien ne semble avoir été laissé au hasard, pas même les hurlements de la ville, chantée tantôt par un chœur de femmes, tantôt par Daho lui-même. Créant ainsi une atmosphère urbaine phosphorescente, faite d’errances nocturnes psychédéliques et de rencontres ( « The Deep End ») multiples et sensuelles (« Hôtel des infidèles ») , comme souvent avec Daho. À Paris ou Ailleurs.

Cet amour démesuré de l’autre, des femmes (« Les Baisers Rouges ») ou de la femme, (« Voodoo Voodoo »), ainsi que son incroyable capacité à rester léger mais pertinent en toutes circonstances – comme lorsqu’il choisit de s’afficher vêtu de cuir, de la fumée de cigarette s’échappant des lèvres, en référence au film « Scorpio Rising » de Kenneth Anger – valent d’ailleurs souvent à Daho de frôler le scandale. Mais comment ne pas respecter l’homme derrière l’artiste ? Pourquoi vouloir lui prendre le droit d’être amoureux du fait même d’aimer ? Ni, également, d’être assez détaché du regard des autres pour être lui-même, sans détour ? Daho s’amuse d’ailleurs de la facilité avec laquelle les gens n’ont jamais eu de cesse de s’offusquer lorsqu’ils ne comprennent pas une œuvre d’art. Pourtant, une dimension mystique, quasi religieuse, émane de ce quatorzième album, invitant à ouvrir son esprit aux Good Vibrations.

Mais, face à cette pop apparemment pleine de candeur, ne pas s’y tromper : plusieurs niveaux de lecture chez Daho, qui permettent aussi d’accéder à un sens beaucoup moins glamour et plus grave, plus concerné. Le terme « Blitz » fait en effet référence à la guerre éclaireayant frappé Londres durant la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, si «The Deep End» a quelque chose d’angoissant qui rappelle «L’homme qui marche» de 2013 ; si le clip des « Flocons de l’été » dérange ; et si les amants d’ «Après le Blitz» se serrent pour mieux se protéger des bombes, c’est bien parce que Daho fait, une fois de plus, l’apologie de l’amour face à la guerre. Guerre de la société de consommation, de l’individualisme croisant, mais aussi guerre mondiale de la haine de l’inconnu (et autres attentats), dont Daho a conscience qu’ils sont des forces obscures à l’œuvre que l’artiste se doit de combattre, à grands renforts de musique, usant de l’art pour passer un message nécessaire à autrui.

crédit : Pari Dukovic

Contrairement à ce que nous avons dit plus haut, cet album n’est pas celui d’un jeune homme fougueux, mais bien le constat intime d’un homme d’âge mûr, mature, à l’apogée de son art, érigé en «pape» bien malgré-lui, devenu lui-même référence à force d’en faire l’expérience.

«BLITZ » d’Étienne Daho est disponible depuis le 17 novembre 2017 chez Mercury Music Group.


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Justine Jude

Chroniqueuse rock n'en restant pas moins damoiselle en quête de perles rares et précieuses encore in/méconnues et qui ne demandent qu'à éclore dans le jardin sauvage des musiques actuelles.