[EP] eLVINh – À fil continu

Assurément la figure centrale d’eLVINh, Vincent Rostan fait partie de cette génération qui a vécu de l’intérieur la grande époque de folies, d’engagements et de liberté(s), de la scène alternative française, qui voit peu à peu son héritage se réduire à peau de chagrin. Les années ont passé : la rage et la fougue de la jeunesse se sont transformées et se manifestent aujourd’hui dans de magnifiques chansons poétiques, à la sincérité absolument touchante. Les cinq titres, au romantisme totalement assumé, dévoilent les reliefs tout en nuances d’une mise à nu courageuse, aux stigmates rock lointains, qui évoque les approches de figures singulières comme Dominique A et Rodolphe Burger.

crédit : Charles Rostan

Certains disques se distinguent plus que d’autres, par leur absence de calcul, par leur nécessité vitale d’un intense cri du cœur. Musicalement, en réduisant l’instrumentation à l’essentiel, ce rocker élégant et inspiré imprègne son univers d’une vérité vibrante, propice à de déchirantes déclarations d’humanité. Sans verser dans le jeu de comparaisons équivoques et stériles, il y a, par moments, quelque chose du Dominique A – période « Auguri » – dans ce mélange insaisissable de force et de fragilité. Faisant corps avec son instrument, Vincent se joue des respirations, des silences, des accalmies, pour mieux laisser s’envoler ses propres émotions. Porté par sa guitare électrique, omniprésente et dédoublée, le premier titre éponyme alimente les vertus d’un texte singulier, à la portée universelle. Délicatement mis en mots par Caroline Py, il offre des paroles profondes à la voix de velours de ce véritable troubadour en quête de sens. Les mots construisent des allusions élégantes à ces pièces de tissus et d’étoffes. Ces fils, ces fibres se lient, se tissent, se croisent, se mélangent comme autant de symboles de reconstruction, de réparation, de persévérance et de continuité. La lumière jaillit alors de la moindre vibration de cordes et, bien sûr, du souffle de cette voix qui suggère autant qu’elle se raconte. Notre homme ose même la ballade, l’instant d’après, révélant un père, qui s’abandonne tendrement, émerveillé devant la magie incarnée par sa propre fille (« Ma beauté Anaïs »).

Le musicien et chanteur a trouvé, dans tous les groupes au sein lesquels il a donné de sa personne, les ressorts d’une émancipation évidente ; mais aussi, comme nous l’entendons sur cet EP, un espace d’expression salvateur pour dépasser les tourments de l’exil. Nous le comprenons avec humilité grâce à « Poussière de vie », qui relate avec un réalisme confondant, dans un étonnant mélange de tendresse et de colère, les soubresauts d’une existence qui a croisé la grande Histoire. Il est difficile d’imaginer de tels moments où tout bascule, où l’humain doit trouver les ressources pour survivre et croire en un avenir, un ailleurs possible. Et il faut donc parfois savoir se nourrir de tels témoignages pour redescendre de notre piédestal occidental et combattre cette tentation pour le déni de réalité, qui nous rend impassible et immobile aujourd’hui devant l’injustice et la misère du monde.

crédit : Charles Rostan

Aussi intimement personnel que rigoureusement collectif, cet EP est aussi le nouveau chapitre d’une aventure de famille, dans laquelle notre artiste puise une grande partie de sa force. Il n’a ni le clinquant des superproductions actuelles, ni leur démesure ; mais il possède l’essentiel. Il est habité par ce supplément d’âme qui (re)donne de la valeur et du sens à l’idée même de créer, et fait de ce disque un cadeau simple de la vie.

« À fil continu » d’eLVINh est disponible depuis le 7 décembre 2017.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.