[LP] Ego Twister, ce n’est qu’un au revoir

Ego Twister se serait-il perdu dans son lit ? Sans doute trop fatigué de s’agiter dans tous les sens à cause d’un surplus de vitamine C et de caféine avalé trop tôt après la sieste. Dieu, que cette phrase est longue ! L’attente du plus grand label de gauchistes relativement instruits et bien éduqués le fut tout autant. Le sommeil a été long, perturbé des cauchemars de la sur-indépendance musicale à la française, mais s’est finalement ponctuée ce printemps. Brusquement, le label angevin porte deux coups à l’adversité pour tant de disques auxquels lui-seul nous a habitués : obsessifs, humains, différents. Yan Hart-Lemonnier et son label ont mis les choses au clair avant d’aller se reposer.

crédit : Pia-Mélissa Laroche
crédit : Pia-Mélissa Laroche

Gratuit ronge l’âme et les pensées de qui daigne l’écouter crier. Dans le délire nocturne de ses mots transis, l’homme des loups racle jusqu’aux recoins les plus perdus de ses tripes. Las, Antoine Bellanger fait de ses réflexions un partage sensoriel.

Gratuit - Là

« Là » ne ressemble à rien de déjà existant ; l’album donne tout son sens au terme « viscéral ». Il se ressent de la même manière qu’une injection de quelque liquide que ce soit. Douloureux braquage épidermique, le fuyard au sein des veines se fait entendre à travers tout le corps. Du grincement du sang dans les parois artérielles au bruit de l’eau qui frotte les lèvres du noyé, chaque chanson se révèle être une véritable expérience corporelle. Différent dans son approche, l’électronique des synthétiseurs de « Délivrance » et « Rien » laissent place ici à une texture sonore étonnamment vivante et naturelle.
Comme si Antoine Bellanger plaçait un micro au beau milieu d’une cabane et laissait l’hiver enneiger le pas de sa porte et givrer les gonds, alors que son isolement se voyait gravé sur les bandes.

« Là » est de ces disques cathartiques qui se vivent comme le témoignage d’une vision artistique totale. Libérée de toute convention, légère malgré la pesanteur du texte, Gratuit parvient à hisser sa musique au rang de chef d’œuvre inclassable le temps de « Là », un album hors norme.


Plus confidentiel, Audace joue dans une autre catégorie nettement plus surréaliste, pour ne pas dire folle. Expérimentale ? Décomplexée ? Débile ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non.

Audace - Audace

Une chose est certaine, cependant : Audace touche à tout et bouffe à tous les râteliers, avec pour fil d’Ariane les claviers bizarres. Noyé dans l’ivresse, le duo titube sur les pistes de danse de boîtes de nuits abandonnées par le bon goût. La liberté n’a de pareil qu’au cours de déambulations alcoolisées. Ce n’est ni de l’electro-clash pour pétasses, ni de la musique de synthétiseurs pour experts (vaniteux ?). En sachant Bernard Grancher et John Deneuve aux manettes, on aurait même été fort étonné !

La musique d’Audace ressemble plutôt à de la dance ayant pour but d’emmerder un entourage intolérant. Trop bordélique pour que le commun des mortels se laisse emporter par le rythme, trop étrange pour être prise au sérieux. Froussards de la première heure, faites un effort ! Il serait trop facile de passer à côté de ce disque, principalement par manque de volonté intellectuelle (les goûts peuvent évoluer ; vous écoutiez Merzbow à 12 ans ?).

Cependant, prendre le temps d’apprécier un disque qui semble inaccessible au premier abord se voit toujours récompensé. Au-delà de l’étrangeté de cet album, les différents rythmes et gimmicks qui le parcourent sont en réalité vraiment efficaces. Entre pulsion martiale technoïde, une surprise dance-hall et des basses acides de Roland SH-101, le groove est présent à sa manière : fou.

Yan Hart-Lemonnier - crédit : Fred Lombard
Yan Hart-Lemonnier – crédit : Fred Lombard

Le voici, le testament d’Ego Twister Records. Onze ans d’activité pour une valise de disques passionnants et exigeants. Le boss, Yan Hart-Lemonnier, a offert l’opportunité à des artistes d’exprimer le plus sincèrement possible leur art, leur musique, là où on n’en aurait rien eu à faire ailleurs. Laissons-le maintenant se reposer ; la vie de micro-label est une bataille artistique, économique et humaine sans fin. J’ai bien dit sans fin, du moins je l’espère.


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Maxime Dobosz

chroniqueur attaché aux expériences sensorielles inédites procurées par la musique