[Interview] Ebony Bones

Vendredi 28 mars dernier, Ebony Bones se produisait à Angers à l’occasion de la première célébration des 20 ans du Chabada.
J’ai saisi l’opportunité d’une rencontre intimiste avec la chanteuse et musicienne anglaise pour appréhender son regard singulier sur le monde et sur la musique, ainsi que son rapport à la création comme à la scène.

Ebony Bones

  • Tu viens de réaliser l’avant-dernier concert de cette tournée. Comment te sens-tu à l’approche de cette fin de circuit et quel était le public le plus fou que tu aies été amenée à rencontrer ?

Je suis toujours surprise des rencontres que je suis amenée à faire durant la tournée et c’est à chaque fois un honneur pour moi. Je suis toujours nerveuse à l’approche d’un concert, mais heureusement le public répond toujours présent.
Cependant, avant que la tournée ne commence, il faut être préparée, car cela peut s’avérer être très dur à vivre par moments. Il faut être prêts à la fois mentalement et physiquement, mais également s’assurer de partir avec des gens que l’on aime et en qui on peut avoir une pleine confiance.

Ainsi, je me sens très chanceuse de pouvoir vivre cette expérience de tournée à travers le monde, en passant notamment par la France. Par ailleurs, j’ai vécu ce soir un très bon concert. L’ambiance était vraiment là.  Après si je devais retenir un concert, je parlerais de celui Pologne où nous avons joué devant un public de 10 000 personnes. Les gens là bas étaient vraiment fous et très sauvages.

J’ai mis du temps à mes débuts à avoir un public qui me suit. Maintenant qu’il est présent, c’est amusant de revoir assez régulièrement certains visages familiers. Il y a notamment ceux qui sont musiciens ; ceux qui ont ce regard et cette oreille attentive aussi bien aux jolis passages qu’aux plantages que chaque musicien peut faire au sein d’un live. Il y a une espèce de suspicion qui, au final, est très divertissante.
Mais, en fin de compte, à la fin de notre concert, durant le rappel où nous jouons notre reprise des Smiths « What Difference Does It Makes », nous faisons monter tout le monde sur scène pour faire la fête et on s’éclate tous ensemble.

D’ailleurs ce soir à Angers, c’était particulièrement fou. Il y avait cette ambiance de folie durant le concert mais je crois que la présence d’un nouveau guitariste sur scène a eu un effet positif sur le déroulement du concert. Nous avons rencontré Stw (Future Dust, Eagles Gift, San Carol) deux jours auparavant lors de notre étape nantaise avec San Carol en première partie. Notre guitariste initial avait un problème qui s’est finalement résolu, mais nous avions besoin d’en trouver un pour le remplacer de toute urgence. Stw a dû apprendre les plans de guitares de nos 14 morceaux en très peu de temps et tout s’est très bien passé.

  • On va un peu parler de tes disques. J’avais pas mal écouté le premier, « Bone Of My Bones » et ton nouvel album « Behold, A Pale Horse » est très différent. Cherches-tu constamment de nouvelles idées, à te renouveler en permanence ?
Ebony Bones - Bone Of My Bones
Ebony Bones – Bone Of My Bones

Pour moi, un artiste doit prendre des risques, ne pas rester sur des acquis, sur une formule qui marche.

Il n’y a rien de pire pour moi qu’écrire 12 chansons qui se ressemblent.

Ma musique doit être le reflet de mes goûts, de ce que j’aime. Ainsi, on peut retrouver un peu de punk, d’électro et de disco dans ce que je fais. Ma musique est sensée me représenter. C’est un défi d’attendre, d’ailleurs, de quelqu’un qu’il comprenne l’un de mes albums. Je veux dire par là que c’est tellement personnel qu’au final, je crois que cela peut nécessiter un effort à la personne qui l’écoute pour rentrer pleinement dedans.

  • Qu’est-ce qui a changé dans ta manière d’écrire entre le premier album et le second ?

Je suis allée en Inde. C’était une chance pour moi de changer totalement d’environnement. J’y ai rencontré plein de musiciens et c’était juste incroyable de partager des choses avec eux, de collaborer avec des personnes dont la perception de la musique varie beaucoup de la mienne et de la musique occidentale de manière générale. Je suis passée de Brixton à Bombay et finalement, ces deux cultures rentrent en collision et produisent des tas de choses.

Ebony Bones -  Behold, A Pale Horse
Ebony Bones – Behold, A Pale Horse

L’Inde est très inspirante, je pense que c’est pour cela que beaucoup de groupes tels que les Beatles y sont allés afin d’y apprendre de nouvelles notions musicales entre autres. C’est simple, en Inde, les standards de la musique sont très différents et il y a quelque chose de très organique, qui semble lié à l’environnement. La musique y est plus libre en quelque sorte. Par exemple, des chansons qui en Europe peuvent être cataloguées « musiques psychédéliques » ne le sont tout simplement pas en Inde, et c’est très normal.

  • Je ressens quelques influences dans ta musique tels que l’afrobeat par exemple.

Le rythme est très important. La plupart du temps, je commence d’ailleurs à composer une chanson par la batterie. Le rythme, c’est pour moi comme un battement de cœur.

Il y a une influence de l’afrobeat en effet ou en tout cas de rythmes africains. Damon Albarn (Blur, Gorillaz) m’a fait découvrir beaucoup de groupes et d’artistes africains et notamment Amadou & Mariam pour qui j’ai fait une apparition sur leur dernier album.

En tout cas, pour moi, ce serait ennuyeux de ne prendre que des instruments classiques et de se dire « On fait un truc rock ». Beaucoup de groupes font ça et je ne trouve pas cela excitant du tout. Pour moi, la musique est synonyme de liberté. Je ne fais pas de musique pour la radio, mais pour moi.

  • Ton premier album « Bone Of My Bones » contenait beaucoup de chansons très puissantes et personnelles. J’ai l’impression qu’il y a un concept différent autour de « Behold, A Pale Horse ».

Les deux sont très différents.

Le titre « Behold, A Pale Horse » vient des quatre cavaliers de l’Apocalypse dans le livre de la Révélation. Les paroles de ces chansons se répondent entre elles.

J’ai été fascinée par ces histoires autour de la NSA, de l’espionnage et des complots.

J’ai été très inspirée par ce qui se passait socialement dans le monde au moment où j’écrivais ces chansons. Il y avait beaucoup d’émeutes et de manifestations en Égypte ou à Londres par exemple. Partir en Inde a provoqué une transition dans mon écriture comme dans mon regard, cela m’a appris à prendre en considération ce qui se passe autour de moi.

Ainsi mon message au sein de cet album est assez universel : il faut s’inspirer de tout ce qu’il y a autour de nous et des choses auxquelles nous ne sommes pas préparées.
Sois ton propre héros. Ne te laisse pas frapper au visage et sois tenace. Tout n’est que passion au final. C’est dur d’être un artiste au sein d’un monde qui marche à la terreur.

Ebony Bones

  • Ta musique est très personnelle et sans concession et pourtant il y a une très grande dimension pop. Le mélange de ces deux mondes est très intéressant, je trouve.

Je veux faire une musique qui me plaît et qui me représente.

Je n’ai pas de problèmes avec des gens comme Rihanna, même si ce sont finalement plus des produits de grande consommation que des artistes aujourd’hui.
J’ai besoin de reste une artiste à part entière et de m’épanouir grâce à mes créations. Je n’ai pas une perception individuelle de la musique en général et de ma musique.
J’aime pourtant des groupes populaires comme Funkadelic, mais qui défendent un regard plus radical à travers un choix de costumes sur scène et une approche musicale avant-gardiste d’une certaine manière.
Aussi, c’est un plaisir de voyager à travers le monde et d’être au contact de différents publics. Au final, une tournée, c’est avant tout une histoire de souvenirs et de partage.

  • Ton nouvel album est beaucoup plus sombre que le premier qui me semblait plus lumineux.

C’est la société telle que je la perçois. J’essaie d’illustrer dans ma musique mon sentiment vis-à-vis des évènements récents et vis-à-vis de la société actuelle.
J’ai toujours été intéressée par le fait de connecter le passé et le présent et de trouver des parallèles, par exemple avec l’Empire Romain.
Pour revenir à des sujets comme la NSA où l’on apprend que ces personnes peuvent lire nos emails et espionner les citoyens, on a cette sensation que quelqu’un nous surveille constamment à la manière du Big Brother. Être « punk », c’est se poser des questions sur le monde actuel et tout cela me questionne. Je ne pense pas qu’il faille accepter ce qu’il se passe, mais bien qu’il faille tout remettre en question et en perspective.

  • Quelles sont tes influences ?

J’aime l’énergie brute dont dispose le punk par exemple. Les gens voient la différence entre quelque chose de spontané et de sincère, et quelque chose de formaté. Je ne veux pas me faire belle pour la scène, j’ai besoin de crier, de faire rugir mes tripes.

  • Combien de temps t’a pris l’enregistrement de ce dernier disque ?

J’ai mis deux ans jusqu’à me dire, « C’est bon, je m’arrête là ». J’ai longtemps travaillé dessus et à un moment, il fallait que cela s’arrête sinon ce disque n’aurait jamais vu le jour.

  • J’ai été surpris de la direction artistique et de ce qu’il se passe sur scène durant tes concerts. Les danseurs déguisés en œil géant ou en cheval, que veux-tu illustrer à travers ces images ?
crédit : Fred Lombard
crédit : Fred Lombard

C’est directement lié aux cavaliers de l’Apocalypse et à Big Brother. Cependant, je ne voulais pas que cela soit trop évident ; j’aime que les gens se triturent l’esprit et s’interrogent. La musique a tellement de pouvoir, il faut en profiter avant qu’elle ne soit menacée. En réalité, je pense qu’elle est déjà en partie contrôlée d’une manière encore inconnue et inquiétante.

  • Pour finir, quel groupe te passionne en ce moment ?

C’est un groupe de Brooklyn qui malheureusement s’est séparé l’an dernier. Night Manager. Je suis tombée dessus en traînant sur internet. C’est un mélange de grosses guitares rock et de garage.


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Maxime Dobosz

chroniqueur attaché aux expériences sensorielles inédites procurées par la musique