[Entourage #124] DYE CRAP

Un premier album éponyme sous le bras, les quatre membres de DYE CRAP font beaucoup parler d’eux au sein de la sphère indie rock depuis quelques mois maintenant. Face à des locomotives hexagonales telles que Mad Foxes, MNNQNS, Johnny Mafia, The Fabulous Sheep… pas si simple pourtant de sortir son épingle du jeu. Mais à travers leur leitmotiv pop évident et assumé, leur énergie à revendre, leur décontraction, les Normands teintent leur rock agité et électrique de bonne humeur communicative, d’un délicieux sens de la dérision, d’un brin de déconne et de créativité joueuse. Après leurs potes de We Hate You Please Die, d’ailleurs présents dans ce numéro, (la fameuse « rouennaise » connexion !) il y a quelques jours, c’est donc à leur tour de passer par la case Entourage d’indiemusic. En lisant ces confessions décomplexées et natures, la conclusion est simple : difficile de s’ennuyer avec les DYE CRAP, qui placent la fête, les rencontres et les joyeux hasards au cœur de leur musique. Ainsi si le côté délire et potache est un aspect de DYE CRAP, ce n’est que la partie immergée d’un étonnant iceberg grungo-mélodique, qui rappelle, pour ne citer qu’eux, la fougue et l’urgence des premiers pas de Nirvana, rien que ça.

crédit : Charlotte Romer

Caribou Bâtard

Ce sont les premiers avec qui on a partagé la scène. Ils nous ont proposé de partager des plateaux avec eux au tout début de DYE CRAP. Ils nous ont un peu mis le pied à l’étrier, notamment au 3 Pièces à Rouen lors de leur release party, mais aussi au Supersonic à Paris.


Film Jacket 35

C’est un groupe grec qu’on a fait venir jouer en France. Le courant est tout de suite bien passé avec eux, ils nous ont ensuite fait venir en Grèce pour une mini tournée avec notre ancien projet The Baked Beans, c’était vraiment une superbe expérience. On a joué dans des squats anarchistes, des mini-concerts clandestins avec des amplis 15 watts, mais aussi de belles salles. On a pas mal fait la fête, ça nous a permis de rencontrer plein de gens mégacool. Une nuit, on a été hébergé chez quelqu’un, il avait plein de chiens dont un chien sur roulette parce que ses pattes arrière étaient cassées. C’était bien fun ! D’ailleurs on est toujours en contact avec eux, car ils développent leur label Patari Records :  ils vont nous distribuer en Grèce avec DYE CRAP.


MNNQNS

C’est un groupe qu’on apprécie depuis un certain temps et avec qui on a fait quelques soirées. On a enregistré notre album avec Adrian de MNNQNS ; du coup, on était obligé de vous parler d’eux. On a record sur une semaine dans un endroit assez atypique. C’est dans un corps de ferme à côté d’une base militaire, dans une grange avec une partie studio et une partie pour vivre, avec des chambres et tout. Le décor est dans son jus, ambiance siècle dernier avec de grosses araignées et des meubles anciens qui font peur. On a déliré sur le fait que la grange était potentiellement hantée et on s’est amusé à invoquer l’esprit du grand Mugul pour l’enregistrement d’une partie du morceau « Candies » en utilisant un vieil instrument désaccordé qui traînait là-bas. Adrian nous a bien aidés pour les arrangements comme celui-ci, c’était vraiment cool.


We Hate You Please Die

C’est devenu de super potes qu’on voit souvent maintenant. Et puis Raphaël et Joseph nous ont signés sur leur label. Ils nous conseillent vachement par rapport au groupe et son développement. Rien à voir, mais récemment, on (Mimo et Léo) a aussi figuré dans un de leur dernier clip « Can’t Wait To Be Fine ». On a pu ressentir la vibe du groupe et voir à quel point ce morceau est important pour eux. L’ambiance est très différente de DYE CRAP, on se prend vraiment pas la tête.


Servo

Servo, c’est le groupe qui nous met une claque à chaque fois qu’on les voit en live. À part ça c’est aussi de bons copains, à chaque fois qu’on se retrouve au 3 Pièces, ça fini en tournées de B52. Ça part toujours en live avec eux honnêtement. Une fois, on s’est retrouvé à un festival où ils jouaient, et on n’a pas arrêté de jouer avec la barrière électrique, on faisait une chaîne avec notre zizi et on se prenait des coups de jus, c’était rigolo.


À l’écoute du généreux premier album de DYE CRAP, nous pourrions tenter d’analyser les raisons qui poussent autant de groupes en 2021 à sonner comme le meilleur du rock indé des années 90s, d’ailleurs trop souvent résumé au « Nevermind » de Nirvana. La nostalgie ? La quête de pureté et d’absolu dans une industrie musicale de plus en plus normative ? La loi des cycles… ? Le rock a toujours été et sera peut-être toujours une forme moderne du mythe d’Œdipe. Le punk s’est en grande partie construit dans son rejet de grands anciens, piétinant la généalogie du rock à coups de riffs saignants, de rythmes dévastateurs, de provocation teigneuse, mais sans pouvoir totalement se détacher de cette histoire à l’image de la pochette de « London Calling » des Clash, clin d’œil évident à Elvis. Depuis Seattle, le grunge assumait son ambivalence mélodie/bruit, il revendiquait une forme de normalité, il bouleversait les échelles de valeurs :  être un branleur, un loser devenait (l’espace d’un instant) le truc le plus cool du monde. Nous pourrions ainsi tenter l’analogie imagée entre la chimie et la musique rock indé, à travers la célèbre phrase de Lavoisier, « Rien ne se perd, rien ne se créée, tout se transforme ». Ainsi dans une époque complexe et incertaine, mettant plus que jamais en exergue les excès du capitalisme et de l’économie de marché, il n’y a peut-être toujours pas de moyen plus direct, plus libérateur, plus euphorisant pour un nouveau groupe comme DYE CRAP (issu des cendres des irrésistibles The Baked Beans, rappelons-le) que de verser dans un rock aussi joyeusement sale, impeccablement bruyant, subtilement psyché, sérieusement insouciant. Dans un morceau comme « My Shits », se conjugue ainsi avec naïveté et jubilation, la simplicité des Ramones, l’urgence des Pixies, l’esprit de corps collectif du punk hardcore originel façon Minor Threat, Bad Brains : un pour tous, tous pour un, très loin de l’incarnation messianique du rock symbolisée par Jim Morrison, Bowie, Iggy Pop…  Il y a quelque chose de profondément grisant, régressif, à se remettre une nouvelle fois sur la platine ce premier album ; parfaitement inutile au sens managérial du terme, mais pourtant totalement essentiel au sens purement rock du terme. En effet, la flamme est toujours là, allumée, intacte et vibrante, comme au premier jour. Elle maintient cette soif d’exister, cette utopie futile et désintéressée qui donne tant de vie et d’ardeur à la musique du quatuor rouennais.

« DYE CRAP » de DYE CRAP est disponible depuis le 30 avril 2021 chez Le Cèpe Records, Kids are Lo-Fi Records et Time Room Records.

La tournée « Parental Advisory » de DYE CRAP passera par Paris le 5 novembre 2021, Cherbourg le 9, Le Havre le 10, Tours le 11, Rennes le 12, Bordeaux le 13, Nantes le 14, Évreux le 2 décembre 2021 et Caen le 9 décembre 2021.

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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.